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dans cette fin de sa réponse, « sinon qu'il ne s'ensuit pas «que l'on connaisse clairement la nature des choses que « l'on peut compter, » comme si on avait supposé qu'on les connaît clairement, parce qu'on les peut compter. Ce qui n'est jamais venu dans l'esprit de M. Descartes, qui n'a dit qu'on pouvait compter autant de modifications de notre âme qu'elle en connaît dans les autres choses, que pour montrer qu'il n'y a point de choses dont on connaisse tant d'attributs que de notre esprit. Mais il n'a pas prévu qu'on le dût arrêter sur le défaut de clarté, dans la connaissance qu'a notre âme de ses propres modifications, parce qu'il avait supposé, aussi bien que saint Augustin, qu'il n'y avait rien qui nous fùt plus clair. Et, comme je prétends avoir fait voir que cet auteur n'a eu aucune raison de le nier, je prétends aussi qu'il n'a nullement satisfait à l'argument par lequel M. Descartes a voulu prouver « que la nature de l'esprit est plus <«< connue que celle de toute autre chose. » Car on n'a qu'à prévenir sa distinction, en prenant pour vrai, comme il l'est aussi, ce qu'il a voulu révoquer en doute :

On connaît la nature d'une chose d'autant plus distinctement, qu'on en connaît davantage d'attributs, pourvu qu'on les connaisse clairement.· Cette fin met cette majeure hors d'état de pouvoir être niée par l'auteur de la Recherche de la Vérité.

Or, notre esprit connaît clairement plus d'attributs ou de propriétés de lui-même que de toute autre chose. Car je ne puis connaître l'attribut ou propriété d'aucune autre chose, que je ne connaisse clairement la perception que j'en ai, et cette perception est un attribut ou propriété de mon esprit. D'où il s'ensuit, par l'aveu de cet auteur, que, mettant à part si l'esprit connaît clairement ou obscurément ses propres perceptions, il peut compter en soi une infinité de propriétés, s'il a une infinité de perceptions.

Il connaît donc plus de propriétés de lui-même que de toute autre chose; et pourvu qu'il connaisse clairement ses

propres perceptions, de quoi on ne peut raisonnablement douter, on ne peut douter aussi que la nature de notre esprit ne nous soit plus connue que celle de toute autre chose.

CHAPITRE XXV.

Si nous connaissons sans Idées les âmes des autres hommes.

Je ne dirai qu'un mot de la manière dont il veut que nous connaissions les âmes des autres hommes. « Il dit que nous <«< ne les connaissons point en elles-mêmes, parce qu'il n'y «< a que Dieu que nous voyions d'une vue immédiate et di<<< recte. >>

<< Que nous ne les connaissons point par leurs idées,» sans qu'il en donne des raisons particulières, parce qu'il a cru sans doute qu'on n'avait qu'à appliquer celles qu'il avait données pour montrer que nous n'avions point d'idée de notre âme propre.

Que nous ne les connaissons point par conscience, parce qu'elles sont différentes de nous, et qu'on ne connaît par conscience que ce qui n'est point différent de soi. D'où il conclut << que nous les connaissons par conjecture, c'est-à<< dire que nous conjecturons que les âmes des autres hommes << sont de même espèce que la hôtre. »

Je n'ai pas besoin de m'étendre sur cela : Car 4o. tout ce que j'ai dit, pour faire voir que s'il était vrai que nous vissions les choses en Dieu, ce qu'il prend pour la même chose que de les voir par des idées claires, il n'y aurait nulle raison d'en excepter notre âme, est encore plus fort pour prouver que, ne pouvant voir par conscience les âmes des autres hommes, comme chacun peut voir la sienne, il serait encore plus contraire à l'uniformité de la conduite de Dieu de ne nous pas faire voir ces âmes, comme il nous fait voir,

selon cet auteur, les choses matérielles, c'est-à-dire «< en "nous découvrant ce qui est dans lui qui les représente. »

2o. Si nous pouvons voir par des idées claires les choses matérielles singulières, comme le soleil, du feu, de l'eau, un cheval, un arbre, on ne comprend pas pourquoi nous ne pourrions pas voir de même par des idées claires les âmes des autres hommes. Car je ne vois point d'une simple vue la substance du soleil, mais par des jugements que j'en fais, sur le rapport de mes sens, qui me font apercevoir quelque chose de fort élevé dans le ciel, fort lumineux et fort ardent. Je juge de même sur le rapport de mes sens que des corps semblables au mien s'approchent de moi, et cela me porte à croire que ce sont des corps humains; mais, quand je leur parle et qu'ils me répondent, et que je leur vois faire un grand nombre d'actions qui sont des marques infaillibles d'esprit et de raison, j'en conclus bien plus évidemment que ces corps, semblables au mien, sont animés par des âmes semblables à la mienne, c'est-à-dire par des substances intelligentes, distinguées réellement de ces corps, que je ne conclus qu'il y a un soleil, et ce que c'est que le soleil. Et ainsi je sais cela aussi certainement pour le moins que tout ce que je sais du soleil, ou par les observations des astronomes, ou par les spéculations de M. Descartes.

Or, je suis persuadé, comme j'ai dit dans les chapitres précédents, qu'au regard des connaissances naturelles, c'est la même chose de connaître un objet certainement et de le connaître par une idée claire, soit qu'on le connaisse d'une vue simple, ou que ce ne soit que par raisonnement, puisque autrement les géomètres ne verraient presque rien par des idées claires, puisqu'ils ne connaissent presque rien que par raisonnement.

Et ainsi je ne trouve point mauvais que l'on dise que nous ne connaissons que par conjecture les âmes des autres hommes, pourvu que, d'une part, on prenne généralement le mot de conjecture pour ce qui est opposé à la simple vue,

et qu'on l'étende à tout ce que l'on connaît par raisonnement et par les démonstrations mêmes les plus certaines, et que, de l'autre, on ne s'aille pas imaginer qu'on ne voit point par des idées claires ce que l'on connait par raisonnement, comme quelques adversaires de M. Descartes l'ont voulu prétendre sans raison, pour avoir plus de moyen d'affaiblir ses démonstrations de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme, fondées sur les idées de l'un et de l'autre.

CHAPITRE XXVI.

Si nous voyons Dieu en lui-même et sans idée.

On a de la peine à découvrir les vrais sentiments de l'auteur de la Recherche de la Vérité, touchant l'idée de Dieu; car d'une part il l'admet en plusieurs endroits, et en fait même le principe des plus belles démonstrations de son existence, et en d'autres il la nie si positivement, et soutient si expressément que nous connaissons Dieu sans idée, et que rien de créé ne le peut représenter, que l'on ne sait comment il a pu avancer des choses si opposées sans se contredire.

Dans les Éclaircissements, page 494. « Les hommes disent << quelquefois qu'ils n'ont point d'idée de Dieu, et qu'ils n'ont << aucune connaissance de ses volontés, et même ils le pen<< sent souvent comme ils le disent, mais c'est qu'ils ne con<«< naissent point ce qu'ils savent peut-être le mieux; car, ой << est l'homme qui hésite à répondre, lorsqu'on lui demande «< si Dieu est sage, juste, puissant, s'il est ou n'est pas trian<< gulaire, divisible, mobile, sujet au changement, quel qu'il << puisse être. Cependant on ne peut répondre, sans craindre « de se tromper, si certaines qualités conviennent ou ne con«< viennent pas à un sujet, si l'on n'a point d'idée de ce sujet. Dans les Éclaircissements, page 538. « Si nous n'avions «< point en nous-mêmes l'idée de l'infini, et si nous ne voyions

« pas toutes choses par l'union naturelle de notre esprit avec <«< la raison universelle et infinie, il me paraît évident que << nous n'aurions pas la liberté de penser à toutes choses. Il reconnaît donc que nous avons en nous-mêmes l'idée de l'infini, c'est-à-dire de Dieu.

Et dans la page 543. « Il y a toujours idée pure et senti<<ment confus dans la connaissance que nous avons des << choses comme actuellement existantes, si on en excepte <«< celle de Dieu et celle de notre âme. J'excepte l'existence <<< de Dieu, car on la reconnaît par idée pure et sans senti<< ment, son existence ne dépendant point d'une cause, et « étant renfermée dans l'idée de l'Etre parfait, comme l'éga«lité des diamètres est renfermée dans l'idée du cercle. >> C'est reconnaître l'idée de Dieu en la manière que M. Descartes a pris ce mot, puisque c'est approuver la démonstration qu'il a donnée de l'existence de Dieu, fondée sur ce que l'existence nécessaire est aussi évidemment renfermée dans l'idée de l'Etre parfait, qu'il est renfermé dans l'idée du triangle d'avoir ses trois angles égaux à deux droits, ou, ce qui est la même chose, que l'égalité des diamètres est renfermée dans l'idée du cercle.

Il parle encore conformément à cette pensée de M. Des→ cartes, lorsqu'il dit, dans le livre III, partie II, chapitre 6 " page 201 : « Enfin la plus belle preuve de l'existence de Dieu, « c'est l'idée que nous avons de l'infini; car il est constant << que l'esprit aperçoit l'infini, quoiqu'il ne le comprenne pas, « et qu'il a une idée très-distincte de Dieu. »

Et c'est encore après ce philosophe qu'il ajoute au même endroit : : « Non-seulement l'esprit a l'idée de l'infini, il l'a <«< même avant celle du fini; car nous concevons l'Etre in<< fini de cela seul que nous concevons l'être, sans penser s'il «<est fini ou infini. Mais afin que nous conçevions un être << fini, il faut nécessairement retrancher quelque chose de <«< cette notion générale de l'ètre, laquelle par conséquent « doit précéder. »>

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