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rentes figures et de différents mouvements; car, comme il a été dit dans la cinquième règle, quand on est arrivé jusqu'à connaître la nature d'une chose, on n'a plus rien à chercher ni à demander quant à la cause formelle. Et ainsi je puis seulement me demander pourquoi mon esprit est, et pourquoi l'étendue est; et alors je dois répondre par la cause efficiente, que c'est parce que Dieu a créé l'un et l'autre.

Comme donc il est clair que je pense, il est clair aussi que je pense à quelque chose, c'est-à-dire que je connais et que j'aperçois quelque chose; car la pensée est essentiellement cela. Et ainsi, ne pouvant y avoir de pensée ou de connaissance sans objet connu, je ne puis non plus me demander à moi-même la raison pourquoi je pense à quelque chose, que pourquoi je pense, étant impossible de penser qu'on ne pense à quelque chose. Mais je puis bien me demander pourquoi je pense à une chose plutôt qu'à une autre.

Les changements qui arrivent dans les substances simples ne font pas qu'elles soient autre chose que ce qu'elles étaient, mais seulement qu'elles sont d'une autre manière qu'elles n'étaient; et c'est ce qui doit faire distinguer les choses ou les substances d'avec les modes, ou manière d'être, que l'on peut appeller aussi des modifications. Mais, les vraies modifications ne se pouvant concevoir sans concevoir la substance dont elles sont modifications, si ma nature est de penser, et que je puisse penser à diverses choses, sans changer de nature, il faut que ces diverses pensées ne soient que différentes modifications de la pensée qui fait ma nature. Peut-être qu'il y a quelque pensée en moi qui ne change point et qu'on pourrait prendre pour l'essence de mon âme. (Ce n'est qu'un doute que je propose, car cela n'est pas nécessaire à ce que j'ai à dire dans la suite.) J'en trouve deux qu'on pourrait croire ètre telles : la pensée de l'Être universel, et celle qu'a l'àme de soi-même, car il semble que l'une et l'autre se trouve dans toutes les autres pensées. Celle de l'Etre universel, parce qu'elle enferme toute l'idée de l'ètre, notre

âme ne connaissant rien que sous la notion d'être ou possible ou existant; et la pensée que notre âme a de soi-même, parce que, quoi que ce soit que je connaisse, je connais que je le connais, par une certaine réflexion virtuelle qui accom pagne toutes mes pensées.

Je me connais donc moi-même en connaissant toutes les autres choses. Et en effet, c'est par là principalement, ce me semble, que l'on doit distinguer les êtres intelligents de ceux qui ne le sont pas, de ce que les premiers sunt conscia sui et suæ operationis, et les autres non. C'est-à-dire que les uns connaissent qu'ils sont et qu'ils agissent, et que les autres ne le connaissent point. Ce qui se dit plus heureusement en latin qu'en français.

Mais, quelque soin que nous prenions de nous consulter nous-mêmes, nous ne sentons point qu'il y ait autre chose dans les pensées de notre âme qui peuvent changer, et que nous jugeons par là n'en être que des modifications, que dans celles qui ne changent point; car dans les unes et dans les autres nous ne voyons autre chose que la perception et la connaissance d'un objet. Nous ne ferions donc que nous embarrasser et nous éblouir, si nous voulions chercher comment la perception d'un objet peut être en nous, ou ce que l'on entend par là ; parce que nous trouverons, si nous y voulons prendre garde, que c'est la même chose que de demander comment la matière peut être divisible ou figurée, ou ce que l'on entend par être divisible et figuré. Car, puisque la nature de l'esprit est d'apercevoir les objets, les uns nécessairement, pour parler ainsi, et les autres contingemment, il est ridicule de demander d'où vient que notre esprit aperçoit les objets; et ceux qui ne veulent pas voir ce que c'est qu'apercevoir les objets en se consultant eux-mêmes, je ne sais pas comment le leur faire mieux entendre.

Ainsi, au regard de la cause formelle de la perception des objets il n'y a rien à demander; car rien ne peut être plus clair, pourvu qu'on ne s'arrête qu'à ce que l'on voit claire

ment dans soi-même, et qu'on n'y mêle point d'autres choses que l'on n'y voit point, mais qu'on s'est imaginé faussement y devoir être, ce qui a produit toutes les erreurs des hommes touchant leur âme, comme saint Augustin a très-judicieusement remarqué dans le livre X de la Trinité.

Mais la seule question raisonnable que l'on peut faire sur cela ne peut regarder que la cause efficiente de nos perceptions contingentes, c'est-à-dire ce qui est cause que nous pensons tantôt à une chose et tantôt à une autre; car, pour les nécessaires, on ne peut douter que ce ne soit Dieu. Et c'est de quoi nous nous réservons à parler à la fin de ce Traité.

CHAPITRE III.

Que l'auteur de la Recherche de la Vérité a parlé autrement des idées dans les deux premiers livres de son ouvrage que dans le troisième livre, où il en traite exprès.

Ce que je viens de dire de l'âme et de ses perceptions est si conforme à nos notions naturelles que l'auteur même de la Recherche de la Vérité en a parlé de la même sorte quand il n'a consulté que les premières notions qui lui sont venues dans l'esprit sur cela, et qu'il ne les a point embrouillées par d'autres notions philosophiques, qu'il a cru trop facilement être véritables dans le fond, et n'avoir besoin que d'être rectifiées.

Voici donc premièrement ses sentiments purs et naturels touchant cette matière, et nous verrons qu'il y a très-peu de chose qui ne se puisse très-bien accorder avec ce que nous venons de dire, quoiqu'il y ait peut-être quelques expressions ambigues et qu'il a pu prendre dans le faux sens de ces idées mal entendues, mais qui de soi-même peuvent aussi être prises dans le sens de la vérité.

Il dit généralement, tout au commencement du troisième livre : « que si, par l'essence d'une chose, on entend ce que << l'on conçoit de premier dans cette chose, duquel dépendent «< toutes les modifications que l'on y remarque, on ne peut <<< douter que l'essence de l'esprit ne consiste dans la pensée. » Mais il explique plus au long ce qui se passe dans notre âme dans le premier chapitre du premier livre, en se servant de la comparaison de la matière avec l'esprit :

<< La matière ou l'étendue renferme en elle deux propriétés, << ou deux facultés. La première faculté est celle de recevoir « différentes figures, et la seconde est la capacité d'être mue. << De même l'esprit de l'homme renferme deux facultés : la « première, qui est l'entendement, est celle de recevoir plu«sieurs idées, c'est-à-dire d'apercevoir plusieurs choses; la «< seconde, qui est la volonté, est celle de recevoir plusieurs « inclinations, ou de vouloir différentes choses. Nous expli<< querons d'abord les rapports qui se trouvent entre la pre« mière des deux facultés qui appartiennent à la matière, et «< la première de celles qui appartiennent à l'esprit. »

Remarquez bien ces paroles: recevoir plusieurs idées, c'està-dire apercevoir plusieurs choses; car on n'aura besoin dans la suite que de mettre cette définition en la place du défini, pour ruiner la fausse notion des idées qu'il donne ailleurs, en voulant que nous les concevions comme de certains étres représentatifs des objets, réellement distingués des perceptions et des objets.

« L'étendue est capable de recevoir de deux sortes de «<figures. Les unes sont seulement extérieures, comme la «< rondeur à un morceau de cire; les autres sont intérieures, << et ce sont celles qui sont propres à toutes les petites parties <«< dont la cire est composée; car il est indubitable que toutes <«<les petites parties qui composent un morceau de cire ont « des figures fort différentes de celles qui composent un mor«ceau de fer. J'appelle donc simplement figure celle qui est « extérieure, et j'appelle configuration la figure qui est inté

<«<rieure et qui est nécessairement propre à la cire afin « qu'elle soit ce qu'elle est.

« On peut dire de même que les idées de l'àme sont de <«< deux sortes, en prenant le nom d'idée en général pour <«< tout ce que l'esprit aperçoit immédiatement. Les premières <«< nous représentent quelque chose hors de nous, comme «< celle d'un carré, d'une maison, etc. Les secondes ne nous représentent que ce qui se passe dans nous, comme nos <«< sensations, la douleur, le plaisir, etc. Car on fera voir dans <«< la suite que ces dernières idées ne sont rien autre chose « qu'une manière d'ètre de l'esprit, et c'est pour cela que je <«<les appellerai des modifications de l'esprit. »>

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Les définitions des mots sont libres. Il est fàcheux néanmoins de donner à une espèce le nom du genre, et ne le point donner du tout à l'autre espèce; car cela peut empècher qu'on ne considère cette autre espèce comme ayant part à la notion du genre. Et ainsi, pour éviter cet inconvénient, qu'il me soit permis aussi de faire mon dictionnaire et de dire que la perception d'un carré est une modification de mon âme, aussi bien que la perception d'une couleur; car la perception d'un carré est quelque chose à mon âme. Or, ce n'en est pas l'essence : c'en est donc une modification. De plus, selon cet auteur, la perception d'un carré est à mon âme ce que la figure est à l'étendue. Or, la figure est une modification de l'étendue : donc, recevoir l'idée d'un carré, c'est-à-dire apercevoir un carré, est une modification de mon âme. Cependant il faut encore remarquer ici qu'il prend le mot d'idée pour perception et non pour un certain étre représentatif, dont il prétend ailleurs que nous avons besoin pour apercevoir les choses; car il demeure d'accord, dans le troisième livre, partie 11, chapitre 4o, qu'au regard des sensations, c'est-à-dire dans les perceptions des couleurs, de la lumière, etc., l'âme n'a pas besoin de ces étres représentatifs, et cependant il appelle ces perceptions des idées.

« On pourrait appeler aussi les inclinations de l'àme, des

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