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chevaux, à vingt maisons, à vingt stades. C'est une troisième idée ou perception.

Il s'avise, de plus, de réfléchir sur cette idée abstraite du nombre de vingt, c'est-à-dire qu'il la considère avec plus d'attention par une vue réfléchie, qui est une des plus admirables facultés de notre esprit; et la première chose qu'il y découvre est qu'il peut être partagé en deux moitiés égales : car il voit sans peine qu'en mettant dix d'un côté et dix de l'autre, cela fait vingt; et il voit en même temps que s'il avait ajouté un à vingt, le nombre de vingt et un ne se pourrait pas partager en deux moitiés égales, parce que, le plus près que l'on pourrait approcher du partage juste serait de mettre dix d'un côté et onze de l'autre. Et cela lui fait juger qu'il est bon de distinguer par des mots particuliers les nombres qui se peuvent ou ne se peuvent pas partager en deux moitiés égales, en appelant les uns pairs et les autres impairs.

Considérant ensuite ce qui est encore enfermé dans cette idée ou perception du nombre de vingt, il recherche quelles mesures il peut avoir, c'est-à-dire quels nombres, étant pris tant de fois, font justement ce nombre de vingt. Il commence par l'unité, et il voit tout d'un coup que l'unité en doit être une des mesures, puisque l'unité prise vingt fois fait vingt. D'où il est aisé de faire une règle générale, qui est que l'unité est la mesure de tous les nombres, puisqu'elle l'est de soimême, un étant un, et que chacun de tous les autres nombres n'est qu'une certaine multitude d'unités.

Il prend deux ensuite, et il trouve que deux est encore une mesure de vingt; car en comptant deux à deux, deux, quatre, six, etc., après avoir fait cela dix fois, il arrive justement à vingt.

Il prend trois et il trouve que ce n'est point une mesure de vingt; car, en comptant trois à trois, trois, six, neuf, douze, etc., après avoir fait cela six fois, il arrive à dixhuit, après quoi il n'y a plus que deux jusqu'à vingt.

Il prend quatre et trouve que c'est une mesure de vingt, parce que quatre pris cinq fois fait justement vingt.

Il trouve la même chose de cinq, parce que cinq pris quatre fois fait justement vingt.

Il trouve ensuite que ni six, ni sept, ni huit, ni neuf ne peuvent être des mesures de vingt, par la même raison qu'il a trouvé que trois ne le pouvait être.

Mais il trouve que dix en est une mesure, parce que dix fois deux font vingt.

Mais que ni onze, ni douze, ni treize, ni quatorze, ni quinze, ni seize, ni dix-sept, ni dix-huit, ni dix-neuf, ne peuvent, étant pris tant de fois, faire justement vingt, et ainsi n'en peuvent être la mesure.

Mais que vingt la peut être, parce qu'une fois vingt est vingt.

Il fait ensuite sur tout cela diverses autres réflexions :

La première, que pouvant y avoir des nombres qui n'ont point d'autre mesure que l'unité et eux-mêmes, il est bon de leur donner un nom qui les distingue des autres, et qu'on les peut appeler nombres premiers;

La deuxième, que tous les nombres pairs, pouvant être partagés en deux moitiés égales, ont tous deux pour mesure.

La troisième, que de tous les nombres pairs il n'y a que deux qui soit un nombre premier, parce qu'il est le seul de tous les pairs qui n'ait pour mesure que l'unité et soi-même.

Je ne pousse pas cela plus loin; mais voici les réflexions que j'y fais la première, que je ne suppose aucun étre représentatif, mais seulement que ce philosophe a eu d'abord les deux perceptions directes de vingt hommes et de vingt dragmes, sans se mettre en peine d'où il les a eues; et je veux bien, si on le veut, que ce soit Dieu qui les lui ait données à l'occasion des mouvements corporels qui se sont faits dans les organes de ses sens et dans son cerveau. Quoi qu'il en soit, de quelque opinion que l'on soit sur cela, on ne peut nier qu'il n'ait eu ces deux perceptions, puisque l'on

suppose qu'il a aperçu, qu'il a connu ces vingt hommes et ces vingt dragmes, et qu'il n'est pas possible aussi qu'il n'ait aperçu, qu'il n'ait connu ces vingt hommes et ces vingt dragmes, pourvu qu'il ait eu ces deux perceptions, de quelque part qu'il les ait cues, ce qui ne regarde point la nature des idées, mais leur origine.

La deuxième est que ces deux perceptions, que j'appelle idées, étant une fois posées, on ne peut nier que notre esprit n'ait la faculté de faire tout ce que j'ai fait faire à ce philosophe, car nous le faisons tous les jours; et ainsi nous sommes assurés que nous le pouvons faire certissima scientia et clamante conscientia, comme dit saint Augustin. Or, c'est cela proprement qu'on doit appeler voir les propriétés des choses dans leurs idées : voir dans l'idée de l'étendue qu'elle doit être divisible et mobile, voir dans l'idée de l'esprit que ce doit être une substance distinguée réellement de la substance étendue, voir dans l'idée de Dieu, c'est-à-dire dans l'idée de l'Etre parfait, qu'il faut nécessairement qu'il existe; voir dans l'idée d'un triangle qu'il faut nécessairement que ces trois angles soient égaux à deux droits. On n'a besoin pour cela que de comprendre que notre esprit a le pouvoir de réfléchir sur ses pensées, et lorsqu'il a une fois la perception d'un objet, de le considérer avec plus d'attention.

On n'en peut pas douter, et c'est d'où dépendent toutes les sciences, surtout les abstraites, comme la métaphysique, la géométrie, l'arithmétique, l'algèbre; car on n'y fait autre chose que de concevoir nettement et distinctement les objets les plus simples, à quoi servent les définitions. On y joint les rapports les plus faciles à connaître entre ces objets simples, ce qui fait les axiomes. Et de là, par de simples réflexions sur ces premières connaissances (et non sur des étres repré– sentatifs imaginaires), on tire cette chaîne admirable de conclusions, qui forcent par leur évidence tous les esprits raisonnables à s'y rendre, en vertu de cet unique principe : « Que tout ce qui est contenu dans la vraie idée d'une chose (c'est

à-dire dans la perception claire que nous en avons) en peut être affirmé avec vérité. » Et il faut que ce soit Dieu qui nous ait donné une inclination invincible d'acquiescer à cela, et de le prendre pour le fondement de toute la certitude humaine; puisque, s'il y a des gens qui peuvent dire de parole qu'ils n'y acquiescent pas, ils ne laissent pas d'y acquiescer en effet, comme il paraît en ce que les sciences où l'on s'applique uniquement à consulter ces idées, c'est-à-dire les perceptions naturelles que nous avons des choses, et à pénétrer ce qui est enfermé dans ces idées, telles que sont l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, se font recevoir par tout le monde pour indubitables.

Mais, comme mon principal but dans ce chapitre a été de démêler l'équivoque du mot immédiatement, je déclare ici que, si par concevoir immédiatement le soleil, un carré, un nombre cubique, on entend ce qui est opposé à les concevoir par le moyen des idées, telles que je les ai définies dans le chapitre précédent, c'est-à-dire par des idées non distinctes des perceptions; je demeure d'accord que nous ne les voyons point immédiatement, parce qu'il est plus clair que le jour que nous ne les pouvons voir, apercevoir, connaître, que par les perceptions que nous en avons, de quelque manière que ce soit que nous les ayons. Mais il est clair aussi que cela n'est pas moins vrai de la manière dont nous concevons Dieu et notre âme, que de celle dont nous concevons les choses matérielles. Que si par ne les pas connaître immédiatement, on entend ne les pouvoir connaître que par des étres représentatifs distingués des perceptions, je prétends que selon ce sens, ce n'est pas seulement médiatement, mais aussi immédiatement que nous pouvons connaître les choses matérielles aussi bien que Dieu et notre âme, c'est-à-dire que nous les pouvons connaître sans qu'il y ait aucun milieu entre nos perceptions et l'objet ; je dis nos perceptions, parce que j'avoue que nous avons souvent besoin de la perception réfléchie, outre la perception directe, pour les bien connaître.

Tout ce que dessus étant supposé, je crois pouvoir démontrer la fausseté de l'hypothèse de ces étres représentatifs; car pour cela je n'ai besoin que de faire deux choses : l'une, de prouver clairement et évidemment que tous les principes et toutes les preuves sur lesquels on a bâti cet édifice des idées n'ont aucun fondement solide; l'autre, de montrer que nous n'avons nulle nécessité, pour connaître les choses que Dieu a voulu que nous connussions, de ces étres représentatifs, distingués des perceptions. Et c'est ce que j'espère que l'on verra par les démonstrations suivantes.

CHAPITRE VII.

Démonstrations contre les idées prises pour des êtres représentatifs, distingués des perceptions.

Propositions à démontrer.

Notre esprit n'a point besoin, pour connaître les choses matérielles, de certains étres représentatifs, distingués des perceptions, qu'on prétend être nécessaires pour suppléer à l'absence de tout ce qui ne peut être par soi-même uni inti– mement à notre âme.

PREMIÈRE DÉMONSTRATION.

Un principe, qui n'est appuyé que sur une expression équivoque, qui n'est vraie que dans un sens, qui ne regarde point la question qu'on veut résoudre par ce principe, et qui, dans l'autre sens, suppose sans aucune preuve ce qui est en question, doit être banni de la véritable philosophie.

Or, telle est la première chose que l'auteur de la Recherche de la Vérité prend pour principe de ce qu'il veut prouver touchant la nature des idées.

Il ne pouvait donc pécher plus ouvertement contre ses propres règles, qu'en commençant par là son traité de la Na

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