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sence, qui est l'être même en tant que cette chose en participe, et sa limitation, ou différence spécifique, qui est en elle à cause de son imperfection et de sa finité, et qui, la séparant de l'être absolu, la réduit à n'être plus qu'une quantité, une grandeur, la rend mesurable par conséquent, susceptible d'être comparée, et lui assigne un rang parmi les créatures. Dieu est tout être parce qu'il est infini et qu'il comprend tout, mais il n'est aucun être en particulier. Ce que nous voyons en Dieu est très-imparfait, mais ce n'est pas Dieu, car, pour lui, nous ne le pouvons comprendre dans son être absolu. Nos esprits voient la substance divine en tant que relative aux créatures ou participable par elles. Nous voyons en Dieu ce qu'il veut bien nous y laisser voir; de là vient que notre connaissance est limitée, même dans son idée ou objet, quoique Dieu, la seule substance immédiatement intelligible, ne puisse être limité. Les couleurs et autres modifications que nous attribuons aux objets, dans la réalité ne leur appartiennent pas, mais à notre âme qui se sent ainsi affectée, et qui, par une habitude invétérée, joint l'idée avec le sentiment, et met dans les choses ce qui ne peut exister hors d'elle-même. Nous n'avons pas en Dieu le sentiment des choses matérielles. Dieu connaît, et ne sent pas. Il cause le sentiment dans notre âme, en même temps qu'il lui découvre dans sa propre substance l'idée pure à laquelle nous rattachons ce sentiment. Notre esprit apercevant en Dieu l'étendue intelligible immobile, elle nous paraît cependant mobile à cause du sentiment de couleur que nous attachons successivement à diverses parties de cette étendue. Enfin, si nous voyons en Dieu l'étendue, ce n'est pas qu'il soit étendu lui-même : « il y a deux espèces d'étendue (Médit. IX); l'une intelligible, l'autre

matérielle. L'étendue intelligible est éternelle, immense, nécessaire; » par conséquent, elle n'enferme ni mouvements, ni figures, ni divisions, et elle est toute pénétrable et incorporelle; «l'autre espèce d'étendue est la matière dont le monde est composé. »

Telle est, dans ses points principaux, la doctrine de Malebranche sur la vision en Dieu. Cette doctrine est trèscomplexe; et comme elle renferme de graves erreurs et d'importantes vérités, rien ne peut être plus utile pour l'intelligence de la discussion, que de mettre séparément et de distinguer avec soin les diverses opinions qui s'y trouvent contenues.

1o. L'esprit humain ne connaît directement, et sans l'intermédiaire d'aucune idée, que Dieu et les phénomènes que lui découvre sa propre conscience; et, pour les autres objets, il ne les connaît que par leurs idées;

2o. Les idées ne sont produites ni par l'opération des objets de l'entendement, ni par l'activité propre de l'intelligence humaine, ou comme on parle dans l'école, par l'intellect agent. Il n'y a point d'intellect agent, mais seulement un intellect patient, et l'esprit humain est purement passif dans l'acquisition et dans la perception des idées; 3o. Les idées sont des êtres très-réels;

4o. Elles sont les conceptions mêmes de Dieu, et c'est en Dieu que nous les voyons.

A l'exception de la doctrine de la passivité absolue de l'esprit humain dans la connaissance que nous rejetons tout à fait, sur les autres points nous n'avons que des distinctions à présenter; nous sommes fort éloignés de rejeter, comme Arnauld, au rang des chimères philosophiques, la théorie de la vision en Dieu proprement dite; nous mon

trerons pour quelle sorte d'idées et dans quel sens elle peut et doit être admise comme véritable.

II.

DE LA NATURE DES IDÉES, ET DE L'ACTIVITÉ DE L'ESPRIT HUMAIN.

1. L'esprit humain ne connaît directement, et sans l'intermédiaire d'une idée, que Dieu et les phénomènes lui découvre sa propre conscience; et pour les autres objets il ne les connaît que par leurs idées.

que

« Qu'est-ce qu'une chose qui pense? c'est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent 1. » Sentir, vouloir, ne sont pas proprement des idées; mais je ne puis sentir ni vouloir sans en être averti, et cet avertissement est la pensée ou l'idée que je conçois de mon sentiment et de ma volonté. Cette pensée est immédiatement possédée par mon intelligence, parce que le phénomène qui en est l'objet se passe en moi-même, ou plutôt parce que c'est alors moi-même que je connais dans un certain état, et sous une certaine modification particulière. La détermination de la connaissance est différente lorsque l'objet est hors de moi; car je ne puis lui être aussi intimement uni que je le suis à mes modifications propres, et il faut que j'emploie quelque faculté, et que je produise ou subisse quelque opération dont le résultat est un phénomène qui se passe dans ma propre substance, comme le sentiment et la volonté, et qui, pour être véritablement

' DESCARTES, Seconde Méditation, page 50, éd. Charp.

possédé par moi, et entrer en quelque sorte dans ma vie, doit aller aussi jusqu'à ma conscience. La conscience ne connaît qu'elle-même et son opération (conscia sui et suæ operationis); et elle a pour objets, les sentiments, les volontés et les idées. L'idée est donc véritablement un intermédiaire entre moi et l'objet externe de ma connaissance, soit que l'idée ait une nature et une essence propre, ou qu'elle existe dans la pensée de Dieu, ou qu'elle soit simplement un état particulier de ma faculté de connaître. Il est donc facile de comprendre, même sans entrer dans la considération de l'essence des idées, la distinction que Malebranche fait ici entre la perception du moi, et celle des objets extérieurs.

Quant à la connaissance immédiate de Dieu, qu'il nous accorde, on ne saurait l'expliquer par les mêmes principes sans faire que nous ayons immédiatement conscience de la nature de Dieu, et que, par conséquent, nous soyons un même être avec lui. Cette expression, que nous voyons Dieu sans idée, doit être entendue dans le sens de la vision en Dieu, et signifie seulement que c'est Dieu même que nous voyons et non pas l'idée que Dieu a de lui-même. Ainsi, en prenant les mots dans le sens que nous avons exposé tout à l'heure, et qui est le sens ordinaire, il faut dire que si nous connaissons Dieu et que ce ne soit pas par la conscience, nous le connaissons par l'idée que s'en forme notre faculté de connaître ; et si on les prend dans le sens de Malebranche, qui soutient que notre faculté ne peut directetement s'appliquer aux objets extérieurs, et n'est unie qu'avec Dieu, il faut dire que nous connaissons Dieu directement, et le reste des choses par les idées que Dieu en a. Voilà d'où proviennent les apparentes contradictions

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qu'Arnauld a pris le soin de relever; Malebranche, après avoir dit que nous voyons Dieu sans idée, établit que la preuve de l'existence de Dieu qui se tire de l'idée de Dieu, est la plus belle et la plus solide; il n'est personne qui ne voie, sans le secours d'Arnauld, qu'il s'agit dans le premier cas de l'idée qui est en Dieu, et dans le second de la perception qui est en nous. Arnauld luimême n'est pas fort éloigné du sentiment de Malebranche sur l'immédiation de la connaissance de Dieu, et par conséquent ses objections sur ce point n'ont pour but que d'embarrasser son adversaire sans profit pour la science. Si, à son rare talent de dialecticien, Arnauld avait joint plus de profondeur métaphysique, il aurait vu que c'est là ce que la science gardera dans la théorie de la Vision en Dieu, et qu'un des plus glorieux titres de Malebranche est d'avoir, non pas découvert, mais mieux démontré et mieux développé qu'aucun autre la constante intervention de l'idée de Dieu dans toutes nos pensées.

Du reste, il importe de remarquer et de ne pas perdre de vue dans tout le cours de la discussion, que Malebranche soutient à la fois que nous ne pouvons pas ne pas connaître Dieu et que nous ne pouvons pas le comprendre. C'est qu'en effet, Dieu comme souverain intelligible, est l'objet immédiat et nécessaire de la pensée, tandis que comme essence infinie, il dépasse la portée de tout esprit fini. Nous savons que Dieu est, et qu'il est parfait, mais nous n'entendons pas en quoi consiste sa perfection.

2. L'esprit humain est purement passif dans la perception des idées.

Malebranche, comme toute l'école cartésienne, a tou

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