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Non; de l'aveu de tous, c'est le très-petit nombre. Ainsi, pour une famille d'élus, qui achète son bonheur par de longues et terribles souffrances, l'immense majorité n'a que l'épreuve sans le bonheur? Et c'est après avoir proclamé cette vérité désespérante, qu'on vient chanter des hymnes en l'honneur de la bonté divine?

Laissons le mal sous cette forme, et prenons la limite sous sa forme abstraite dans le temps et dans l'espace. Le monde est limité dans le temps. Que faisait Dieu avant de produire le monde? Pourquoi s'est-il passé du monde pendant un temps, et pourquoi ensuite a-t-il voulu que le monde fût? Quel est le rapport de la durée du monde avec le temps qui a précédé et avec le temps qui suivra? Mêmes questions pour l'espace. Pourquoi Dieu a-t-il rempli un coin de l'espace et laissé le reste vide? Que fait-il de ce vide? Quel est le rapport de dimension du vide au plein? Il y a nécessairement quelque part un atome qui est le dernier du monde; de ce côté où nous sommes il touche à un autre atome; à quoi touche-t-il de l'autre côté? Serait-ce par hasard au néant? Cette doctrine de la création est obligée partout de donner un rôle au néant. C'est comme le châtiment d'une philosophie qui repose sur un nonsens, et qui emploie des mots sans idée.

Du moment que le monde est limité dans le temps et dans l'espace, on peut demander pourquoi le créateur a choisi telle limite plutôt que telle autre ;

pourquoi il n'a pas doublé la durée et la dimension du monde; pourquoi il a placé le monde là où il est, et non à côté; pourquoi il ne l'a pas créé une minute plus tôt, ou un million d'années plus tôt, car c'est tout un. Il ne peut pas y avoir de réponse à ces questions; et prenez garde que ce n'est pas à cause de notre ignorance; non : c'est à cause de la nature des choses. Tout espace est égal à un autre espace, et tout temps à un autre temps; donc tout temps et tout espace pouvaient recevoir le monde, comme le temps et l'espace qui l'ont reçu. Si donc Dieu a choisi ce temps et cet espace plutôt que tout autre, il a choisi sans motifs : d'où il suit qu'il se détermine au hasard, et qu'il n'est ni bon, ni intelligent, ni libre. C'est être au-dessous des créatures raisonnables, que de se déterminer sans motif, ou sur des motifs insignifiants. Et comment la nature de Dieu souffrirait-elle le hasard, s'il est vrai que l'excellence de la fin est, en toute chose, ce qui fait la bonté de l'acte et la supériorité de l'agent?

Telles sont, en bref, les principales raisons des panthéistes contre la création qu'ils déclarent impossible, contradictoire, absurde; d'où il suit que si Dieu est la cause du monde, il ne l'est pas par voie de création. Au lieu d'introduire ce mot de création qui n'exprime aucune idée, que ne cherchait-on, dans l'observation de la nature, l'explication de

l'action d'une force? Nous sommes nous-mêmes une force; que faisons-nous à ce titre? Nous modifions hors de nous une matière préexistante; nous modifions en nous notre substance propre. Dieu ne peut pas modifier hors de lui une matière préexistante, car il n'y a rien et il ne peut rien y avoir hors de lui. Que fait-il donc? Il modifie en luimême sa propre substance; et ces modifications, distinctes et inséparables de Dieu, sont les phénomènes du monde. Ainsi se comble l'abîme qu'on voulait creuser entre Dieu et nous; les métaphores inintelligentes disparaissent; tout devient simple, clair, compréhensible. Le mal même disparaît dans cette unité, puisque tout est solidaire, et que tout se répare. Nous n'avons plus besoin de nous faire violence pour comprendre que Dieu est près de nous, puisque c'est en lui que nous vivons et que

nous sommes.

Nous avons indiqué les objections : nous allons essayer de répondre.

On dit que nous nous payons de mots en admettant la doctrine de la création, parce que le mot de création est incompréhensible et ne porte aucune idée à l'esprit.

Est-il vrai que le mot de création ne porte aucune idée avec lui? Toute la question est là. Or, il y a des mots qui représentent une idée simple, et des mots qui représentent une idée complexe. Le

mot de création appartient à la seconde catégorie, et nous nous efforcerons de montrer par une analyse minutieuse quelles sont les idées simples qu'il

contient.

Premièrement, en disant que Dieu a créé le monde, nous affirmons que Dieu est la cause du monde. C'est là une idée positive, parfaitement claire, et dont nous comprenons très-bien la portée.

En second lieu, le mot de création implique évidemment que la cause du monde est extérieure au monde. Il est si vrai que cela est compris dans le mot de création, qu'il n'y a, pour ainsi dire, pas d'autre discussion entre les panthéistes et nous; car les panthéistes disent que les phénomènes du monde sont de simples modifications de la substance divine, et nous soutenons au contraire que les phénomènes du monde modifient, non la substance de Dieu, mais une substance étrangère, et que Dieu a produite de sa pleine puissance et volonté libre. Est-ce que cela ne se comprend pas?

Voilà donc deux idées, l'une positive, l'autre négative, que le mot création implique et l'on vient nous dire qu'il n'a aucun sens?

:

Quand je dis : « Dieu a créé le monde; » cela veut dire : « Dieu a produit le monde, et il l'a produit en dehors de lui-même. » Cette affirmation et cette négation sont l'une et l'autre de la plus incontestable clarté.

Le mot de création implique quelque chose de plus.

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Il signifie que, quand Dieu a produit le monde en dehors de lui-même, il n'existait rien en dehors de Dieu, ni substance ni phénomène. Est-ce que cette troisième idée n'est pas aussi claire que les deux autres?

Ainsi donc sous le mot de création sont renfermées trois idées parfaitement intelligibles, si intelligibles que toutes trois provoquent des négations très-explicites et dans lesquelles ne se rencontre pas la moindre cause d'obscurité. Que vient-on nous parler de doctrine insignifiante? Il n'y en a pas de plus pleine de sens. Certes, quand j'affirme la création, je sais fort bien ce que j'affirme et ce que je nie.

Qu'y a-t il donc de réellement incompréhensible sous ce mot de création? Une seule chose, mais capitale. Je comprends que Dieu est la cause du monde ; je comprends que Dieu a produit le monde hors de lui; et je comprends enfin qu'avant la production du monde, il n'existait rien en dehors de Dieu. Mais je ne comprends pas comment Dieu a pu produire le monde dans ces conditions.

Maintenant la prétention des panthéistes apparaît dans toute sa nudité : ils veulent savoir comment Dieu a produit le monde. Nous aurons beau leur dire dans quelles conditions il l'a produit: si nous ne pénétrons le secret même de sa puissance créatrice, ils nous accuseront de ne pas nous entendre nousmêmes, et de mettre des mots à la place des idées.

La vérité est que, loin de savoir le comment de la

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