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idée, m'étant déjà donné de toutes les choses la plus difficile à acquérir, à savoir, la substance. Si l'on suppose que j'ai toujours été ce que je suis maintenant, cela ne me dispense pas d'avoir une cause, car la durée d'une substance finie n'est que la répétition non interrompue de l'acte par lequel elle est produite. Recourir à mes parents, ou à quelque autre cause moins parfaite que Dieu, ce n'est rien expliquer, puisque je pourrai toujours dire d'une telle cause ce que je viens de dire de moi-même. On ne peut supposer une série infinie de causes successives, car il ne s'agit pas de trouver seulement une cause qui produise, mais une cause qui conserve, et par conséquent une cause actuelle. Enfin, plusieurs causes n'ont pas concouru à ma formation, et ajouté chacune quelque perfection à la notion que j'ai de la perfection de Dieu; car l'unité et la simplicité est le principal caractère que je lui attribue. Ainsi donc, par cela seul que j'existe et que l'idée de Dieu est en moi, l'existence de Dieu est démontrée.

On reconnaît, dans cette démonstration, la vigueur de l'esprit de Descartes à l'enchaînement des propositions et à l'exacte énumération de toutes les hypothèses possibles. Cependant elle ne satisfait pas entièrement l'esprit, et il n'est personne en la lisant qui ne se trouve arrêté par plusieurs assertions à tout le moins contestables.

Ainsi, par exemple, quand Descartes dit que, si je

m'étais fait moi-même, je me serais donné toutes les perfections dont j'ai l'idée, parce qu'il est moins difficile de se donner les autres perfections que de se donner la substance, il y a au moins de la bizarrerie dans cette façon de parler, et l'esprit ne saisit pas bien pourquoi il est plus difficile de se donner la substance que de se donner la perfection. Comme nous ne comprenons pas ce que c'est que de se donner la substance, et que nous ne comprenons pas davantage ce que c'est que de se donner la perfection, nous ne pouvons guère décider, de ces deux difficultés incompréhensibles, quelle est la plus difficile. Descartes aurait pu dire plus simplement que l'être qui existe par lui-même, si un tel être existe, a nécessairement toutes les perfections, et cette proposition, ainsi rétablie, ne paraît pas pouvoir être contestée.

Il en est à peu près de même de cette opinion, que la durée d'une substance n'est qu'une création continuée, d'où Descartes conclut, qu'étant imparfaits, nous n'avons pas seulement besoin d'une cause qui nous ait produits, mais d'une cause qui nous conserve, et par conséquent d'une cause actuelle. Au fond, il est très-vrai que, n'ayant pas d'autre raison d'être que la volonté du Créateur, nous n'avons pas non plus d'autre raison de durer; mais, d'une part, Descartes complique assez mal à propos cette idée simple de sa théorie de la création continuée; et de l'autre, si on convient que nous avons besoin, pour subsister, d'une cause conservatrice, cet aveu com

porte la reconnaissance de l'existence de Dieu, et la démonstration devient superflue.

Enfin, la dernière assertion de Descartes, que l'unité et la simplicité est le principal caractère que notre esprit attribue à la perfection, paraîtra sans doute incontestable aux rationalistes, et très-contestable aux autres philosophes. D'où il suit que la plupart des propositions dont se compose cet argument ont le défaut de rendre le reste de la démonstration inutile, si on les admet, et le défaut plus grand de ne pouvoir être admises que par les philosophes de l'école rationaliste.

On trouve encore, dans le Discours de la Méthode et dans les Méditations, une troisième démonstration de l'existence de Dieu, qui n'est autre que la fameuse preuve connue sous le nom d'argument de saint Anselme, et qui consiste à conclure directement l'existence de Dieu de l'idée de Dieu '. Voici à peu près comment on peut l'exposer, d'après saint Anselme, Descartes et Leibnitz.

J'ai en moi l'idée de Dieu, c'est-à-dire d'un être parfait, d'un être qui a toutes les perfections. Or,

1. « La preuve de l'existence de Dieu la plus belle, la plus relevée, la plus solide et la première, ou celle qui suppose le moins de choses, c'est l'idée que nous avons de l'infini. Car il est constant que l'esprit aperçoit l'infini, quoiqu'il ne le comprenne pas. » Malebranche, Recherche de la vérité, liv. III, II partie, chap. vi.

2. Discours de la Méthode, IV partie.

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Cinquième Méditation. – Les Principes de la philosophie, I" partie, § 14.

l'existence étant une perfection, je ne puis, sans absurdité, supposer que l'être parfait n'existe pas.

Il faut faire un assez grand effort pour entendre cet argument dans cette extrême brièveté. Nous donnerons tour à tour la formule de saint Anselme, celle de Descartes, et la formule plus perfectionnée de Leibnitz.

<< Il est impossible, dit saint Anselme1, de penser que Dieu n'existe pas; car Dieu est, par définition, un être tel qu'on n'en peut concevoir de plus grand. Or, je puis concevoir un être tel qu'il soit impossible de penser qu'il n'est pas; et cet être est évidemment supérieur à celui dont je puis supposer la nonexistence. Donc, si l'on admettait qu'il est possible de penser que Dieu n'existe pas, il y aurait un être plus grand que Dieu, c'est-à-dire un être plus grand que l'être tel qu'on n'en peut concevoir de plus grand, ce qui est absurde. »

En exposant cette même preuve dans la cinquième Méditation, Descartes l'a développée et fortifiée. Je ne puis, dit-il, concevoir une montagne sans vallée, ni un triangle rectiligne dont les trois angles ne soient pas égaux à deux angles droits; et de même je ne puis concevoir Dieu sans existence, puisque l'existence est une perfection, et que Dieu est la somme de toutes les perfections. On pourrait objecter, continue-t-il encore, que, si je ne puis concevoir une montagne sans vallée, cela ne prouve pas qu'il y ait

1. Proslogium, cap. ш.

une montagne ni une vallée, mais seulement qu'elles ne pourraient exister l'une sans l'autre; et que de même, si je ne puis concevoir Dieu sans l'existence, parce que Dieu est parfait, cela ne prouve pas que Dieu existe, mais seulement qu'il ne saurait être parfait sans exister. Or, cette objection n'est que spécieuse, puisque c'est l'existence même, et non telle autre qualité, qui est inséparable de la notion de Dieu. «< Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence, c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection, comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes1. >>

De grands esprits ont jugé ce raisonnement inattaquable; Leibnitz s'appliqua même à le perfectionner, en allant au-devant d'une objection qu'on pourrait faire. Ce raisonnement, suivant lui, démontre péremptoirement que, si Dieu est possible, il est nécessaire. En effet, tout consiste à établir que la définition même de Dieu implique l'existence de Dieu; il faut donc avant tout que Dieu ait une définition, c'est-à

1. Descartes a résumé son argument sous la forme suivante dans sa Réponse aux objections recueillies par le père Mersenne :

« Dire que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d'une chose, c'est le même que de dire que cet attribut est vrai de cette chose, et qu'on est assuré qu'il est en elle.

« Or, est-il que l'existence nécessaire est contenue dans la nature et dans le concept de Dieu. Donc, il est vrai de dire que l'existence nécessaire est en Dieu, ou que Dieu existe. »

2. Leibnitz, Nouveaux essais sur l'entendement humain, liv. IV, chap. x.

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