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Dieu a produit le monde librement'. Nous avouons cela. Ce n'est pas qu'on ne trouve des partisans de la création qui ont soutenu que Dieu ne pouvait pas ne pas produire le monde; mais nous les accusons nous-mêmes d'inconséquence, et nous soutenons la liberté de la création. Croit-on augmenter la perfection de Dieu en lui ôtant la liberté et en le soumettant à des lois fatales?

Voici une conséquence directe de cette prétention: c'est que la liberté est mauvaise en soi, qu'elle est, dans l'être libre, une infériorité. Est-ce soutenable?

De quel droit vient-on imposer à Dieu des conditions? Est-ce que la nécessité de produire l'imparfait est comprise dans l'idée que nous nous faisons de l'être parfait?

Mais, dit-on, si Dieu a voulu le monde, il l'a toujours voulu, et le monde est éternel. Cette objection ne devrait pas être à l'usage des panthéistes. Est-ce que leur Dieu, enchaîné au monde, a commencé à produire des phénomènes? Puisqu'ils admettent l'éternité, qu'ils n'en fassent pas un obstacle pour les autres. Il y a cette difficulté pour eux, que le monde n'étant pas séparé de Dieu, la divisibilité fait partie

1. Corollaire de la proposition 22. « Il résulte de là 1o que Dieu n'agit pas en vertu d'une volonté libre. »

....

n'ont

Proposition 33. « Les choses qui ont été produites par Dieu pu l'être d'une autre façon, ni dans un autre ordre. » Spinoza, Éthique, Ire partie; traduction de M. Émile Saisset, p. 33.

de l'unité. Est-ce là ce qu'ils appellent la clarté et la compréhensibilité de leur hypothèse?

Mais si notre Dieu a voulu le monde, il l'a souhaité : il a souhaité l'imparfait; et s'il l'a souhaité, il l'a connu; il a connu l'imparfait. C'est pour lui, au dire des panthéistes, une déchéance. En effet, la logique leur donne raison. Nous n'affirmerons pas qu'il en soit ainsi; mais nous avouons qu'il paraît en être ainsi. Des philosophes, qui n'étaient pas panthéistes, ont été les premiers à reconnaître, qu'à prendre les choses au pied de la raison humaine, Dieu ne peut créer le monde, ou le souhaiter, ou le connaître sans déchoir. C'est Aristote disant: Dieu ne connaît rien, excepté Dieu même, car il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas connaître que de les connaître; ou Malebranche s'écriant, dans les Méditations chrétiennes, « que Dieu a bien voulu prendre la condition basse et humiliante de créateur. » Mais, qu'on y songe, c'est la difficulté de tout à l'heure qui reparaît, c'est la question de la coexistence de l'un et du multiple; et il le faut bien, car, en vérité, sous des formes diverses, toutes les difficultés qu'on peut faire sur la création reviennent à celle-là. Or ici, comme tout à l'heure, le problème reste insondable à la raison humaine; mais il est, en quelque sorte, plus inaccessible encore aux panthéistes qu'à tous les autres. Il y a pour eux des difficultés et des impossibilités spéciales dans l'impossibilité commune. En effet, comment les panthéistes

viennent-ils alléguer que vouloir l'imparfait, le souhaiter, le penser, est une dégradation, et que le contenir n'en est pas une? N'est-ce pas se jouer? Ne faut-il pas un effort pour comprendre que le parfait. se dégrade en produisant l'imparfait? En faut-il pour comprendre que le parfait cessera d'être le parfait, si l'imparfait est compris dans sa nature même? Quand les panthéistes triomphent à outrance de l'imperfection du monde, et veulent en faire un obstacle à la perfection divine, on dirait vraiment qu'ils vont rendre le monde parfait ou le détruire; mais non, tout leur artifice est de le transporter en Dieu; voilà comment ils détruisent l'antagonisme qui existe entre Dieu et le monde, entre l'un et le multiple, entre l'immuable et le mobile, entre le parfait et l'imparfait. Et c'est cette perfection nécessairement unie à l'imperfection, qu'ils nous donnent pour l'idéal de la perfection! C'est ce Pan composé de deux parties, dont l'une est la contradiction de l'autre, qu'ils nous donnent pour une nature souverainement compréhensible!

En rabaissant même la question, et en la prenant dans les termes où ils la posent, est-ce qu'eux-mêmes n'admettent pas que Dieu pense le monde? S'ils le nient, ils ne sont plus que des athées; s'ils l'avouent, pourquoi viennent-ils nous faire des objections qui tombent si évidemment sur leurs propres principes?

Certes l'éternité et l'infinité du monde sont des difficultés redoutables; ses limites, s'il en a, font naître

des problèmes qui troublent l'esprit humain. Mais au moins, nous nous rendons compte de ce trouble. Nous savons que le temps et l'espace ne sont rien de réel; que ce sont de purs rapports; que par conséquent les totalités et les unités, manquant de terme de comparaison, échappent au temps et à l'espace; que notre esprit, condamné à l'analyse, et ne marchant qu'à l'aide de comparaisons et de définitions, doit nécessairement se troubler et se confondre en présence de ce qui ne peut être ni comparé, ni défini, ni mesuré. Nous avons appris que l'homme est fait pour le milieu, et pour agir sur le milieu; qu'il n'est ni infiniment grand ni infiniment petit; qu'il a de la perspicacité dans son horizon, et qu'au delà il ne voit plus que les ténèbres; heureux d'avoir assez d'intelligence pour connaître sa voie, et pour apercevoir, dans le monde invisible, une étoile qui le dirige, étoile aimable et brillante, malgré sa nature inconnue, source indéfectible de la lumière et de l'amour. Mais tous ces problèmes, que nous posons sans les résoudre, et que nous déclarons insolubles, ce ne sont pas des problèmes pour le panthéiste, ce sont des contradictions. Il ne peut plus distinguer le temps et l'éternité; ou, s'il les distingue, c'est à condition de les unir dans la même réalité. Il prétend vainement que Dieu ne se meut pas, puisque selon lui-même le mouvement jaillit sans cesse de cette source immobile et y retombe sans cesse. Dieu sera tout au plus pour lui la substance dont le mouvement

et le temps seront les attributs; et il faudra faire combattre ensemble la substance et le phénomène, l'être et la vie, la nature naturante et la nature naturée1. Il semble que l'on assiste à ce supplice rêvé par le Dante, de deux âmes luttant dans un même corps.

Enfin, comment s'expliquer que les panthéistes fassent de l'imperfection physique et morale du monde un obstacle à la création? Nous avouons bien la difficulté d'expliquer le mal. Il est vrai : le mal est trop grand. Tous les systèmes philosophiques, tous les optimismes, ne réussissent pas même à le pallier. Le triomphe de la philosophie, sa vraie grandeur, est de nous apprendre la résignation. Nous arrivons à vaincre la souffrance par la résignation: cela prouve combien est amère la saveur de la vie. Eh! quand même la souffrance aurait une moindre part, nous la reprocherions encore à Dieu dans notre faiblesse, car nous passons notre vie à souffrir, et à ne pas apprendre à souffrir. Cependant, nous qui croyons à la création, et qui faisons de l'homme un être distinct et séparé de l'ensemble des êtres, si nous n'arrivons pas

1. «Par nature naturante, on doit entendre ce qui est en soi et est conçu par soi, ou bien les attributs de la substance, qui expriment une essence éternelle et infinie, c'est-à-dire Dieu, en tant qu'on le considère comme cause libre.

« J'entends au contraire par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu. Spinoza, Éthique, partie I, prop. 19, scol., traduction de M. Émile Saisset, t. II, p. 31.

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