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inséparables de la substance. En concluent-ils que tout ce qui est dit de la substance peut se dire des attributs, ou que ce qui se dit des attributs peut se dire de la substance? Pas du tout. La substance a la nature d'une substance, et les attributs ont leur nature d'attributs : ce sont deux natures que personne ne peut ni séparer ni confondre. Et dès qu'il en est ainsi, pourquoi ne pas permettre aux panthéistes de distinguer une substance parfaite du monde, substance active, agissante, féconde, et des attributs ou phénomènes sans cesse produits par cette substance, et qui en diffèrent d'autant plus que leur nature est d'être produits, tandis que la sienne est de produire? Quand les panthéistes disent que le tout est Dieu, ils n'entendent pas le moins du monde que chacune des parties du tout soit Dieu elle-même. Le tout est complet, parce qu'il est le tout, et il est par conséquent parfait; la partie au contraire, par cela même qu'elle est une partie, est forcément incomplète et imparfaite: où est la contradiction? où est la confusion?

Il y a du vrai dans cette réponse; et pourtant l'objection du sens commun subsiste. Une substance qui produit nécessairement le mal, et qui, dans le même temps, est le réceptacle nécessaire du mal, ne peut pas être la perfection absolue. Un tout, dont le mal fait partie, peut être bon; il ne peut pas être le bon. Il n'est pas l'idéal, car je puis supposer un autre tout, d'où le mal serait exclu. Un corps peut être beau, quoiqu'il ait une plaie; mais c'est s'aveugler

volontairement que de prétendre que la beauté ne serait pas plus grande, si cette plaie était ôtée. Ainsi les distinctions sont vaines; et le mal, en Dieu, est une dégradation de Dieu. Les panthéistes ont raison de soutenir que l'existence du mal est embarrassante, même pour nous; mais, à coup sûr, il y a de la différence à produire un être capable du bien et du mal, ou à être soi-même à la fois capable du bien et du mal. Notre Dieu peut être une perfection difficile à expliquer; mais le Dieu des panthéistes n'est pas une perfection 1.

Ainsi rétabli dans ses véritables termes, ce genre d'objections, qui est dans toutes les bouches, a une valeur véritable. On doit même être frappé des conséquences qu'il entraîne pour l'usage de la liberté humaine. Il semble, dans le système panthéiste, que le mal puisse légitimement avoir sa place en moi, puisqu'il a sa place en Dieu. J'ai des défaillances, et Dieu aussi; je souffre, je dérange l'ordre, j'outrage la nature, je désobéis à la règle, et Dieu aussi. Comment dirai-je qu'il y a une règle pour le bien? Il n'y a pas de règle, si tout est en Dieu, à moins que le mal ne soit pas. Il n'y a pas même de principe

1. « Est-ce une perfection que d'être injuste dans ses parties, malheureux dans ses modifications, ignorant, insensé, impie? Il y a plus de pécheurs que de gens de bien, plus d'idolâtres que de fidèles quel désordre, quel combat entre la Divinité et ses parties! Quel monstre, Ariste ! quelle épouvantable et ridicule chimère! Un Dieu nécessairement haï, blasphémé, méprisé! » Malebranche, Neuvième Entretien sur la métaphysique, § 2.

ni d'axiome dont le contraire ne soit vrai. Je ne puis aimer Dieu pour le bien qu'il me fait, sans le haïr pour le mal qu'il me fait. Il est bon et méchant, beau et laid, intelligent et aveugle, digne d'être adoré et digne d'être détesté. L'invoquerai-je après cela? L'adorerai-je? Je perds à la fois la règle, la prière et l'espérance. Le panthéisme m'ôte ce qui fait la force de ma pensée et ce qui soutient mon cœur.

Il est remarquable que le panthéisme, comme toutes les doctrines fausses, tourne ses conclusions contre ses prémisses. Il en est de même du mysticisme, et de toute doctrine qui, par l'identité permanente ou l'identification temporaire des natures opposées, compromet le principe de contradiction et, avec lui, toute la logique. Que demandent les panthéistes au commencement? L'absolue perfection de Dieu. Que font-ils à la fin? Ils placent toutes les imperfections dans le sein de Dieu. Cela seul les condamne. Pour les réfuter, on n'a besoin que d'eux

mêmes.

On peut ouvrir Spinoza, mais surtout Plotin: jamais on n'a parlé en termes plus magnifiques de la perfection absolue; jamais on ne l'a mieux démontrée. Il semble que ce Dieu va cesser d'être parfait, si seulement il se pense lui-même, car il y aura en lui deux états: l'acte de penser, et celui d'être l'objet de la pensée. Plotin recule son Dieu par delà le possible et le réel, dans la région des chimères, à force d'en

vouloir ôter tout ce qui est distinction et limite; et quand il l'a relégué dans cette solitude inaccessible, et que de cette dialectique hautaine il descend à l'explication de la genèse, que fait-il? Il verse dans le sein de Dieu les flots de la multiplicité indéfinie. Il emploie la première partie de la philosophie à exclure de Dieu tout le mal, et la seconde à l'y faire tout

rentrer.

Avec toutes ces contradictions et tous ces vices, le panthéisme attire beaucoup d'esprits : il a une fausse apparence de mysticisme; il remplace la communion et l'extase par l'identité permanente. Les panthéistes ont l'art de déplacer la question, et de réfuter le principe de la création au lieu d'éclaircir le principe de la confusion des substances. Pendant qu'ils s'occupent à constater que la création est incompréhensible, on oublie de leur demander ce que c'est que l'émanation par laquelle ils la remplacent. Mais ils ont beau changer de figure, et remplacer l'émanation par l'irradiation, et faire de Dieu tour à tour une source et un foyer, ce sont des images et des métaphores, qu'il est presque puéril d'ériger en doctrine. Que le monde émane de Dieu comme la chaleur émane de la flamme, ou comme l'eau s'écoule d'un vase trop plein, voilà ce que l'on substitue à la création grande découverte ! et qui met bien le sens commun à l'aise! Ce vase et cette eau qui en découle forment en effet une image trèsnette; mais ce qui est un peu plus difficile, c'est d'en

faire l'application, et de comprendre que l'eau qui sort de ce vase n'y fût pas avant d'en sortir, et ne cesse pas d'y être après en être sortie.

Ce n'était pas la peine de tant insister sur l'incompréhensibilité de la création, pour arriver à une hypothèse tout aussi incompréhensible, qui double l'importance de toutes les difficultés, et qui, de plus, contient des contradictions si palpables. En vérité, pour rendre leur hypothèse plausible, les panthéistes devraient y joindre l'hypothèse de Berkeley. Berkeley est un sceptique d'une espèce particulière, qui admet la raison et ses lois, et qui même ne rejette pas absolument l'expérience; mais qui, dans la difficulté de comprendre la réalité des corps, suppose que Dieu nous a créés pour croire qu'il y a des corps, et des lois qui régissent les corps, bien qu'il n'existe rien de tel dans la nature. Ainsi, par exemple, je crois voir cette table devant moi, je crois la toucher; j'affirme qu'elle est carrée, de couleur brune, etc. Rien de tout cela n'est véritable. Il n'y a ni forme carrée, ni couleur brune, ni objet résistant, puisque les corps ne sont pas; mais nous rêvons que cela existe, et par la volonté de Dieu, tous les hommes sont dupes de leur rêve. Les panthéistes sont obligés d'en venir là, et de dire que nous rêvons les corps, et que Dieu nous rêve. Cela est un peu plus compréhensible que l'émanation, parce qu'un rêve n'a besoin pour exister que d'un rêveur, et aussi parce que toute l'existence d'un rêve est dans le rêveur. Admettons le panthéisme à

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