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de la perfection idéale, oublient ou méprisent le monde, c'est en admirant le monde, au contraire, c'est en l'aimant, qu'ils apprennent à aimer Dieu. Leur science n'est ni exigeante, ni ardue: tout est uni chez eux, tout est simple, tout est bienveillant, tout est dans les voies ordinaires de la nature. Ils ont un langage qui ne demande pas d'effort pour être entendu, et ils se glorifient avec raison de parler à l'esprit et au cœur de la foule tendres et bienfaisants philosophes, âmes d'élite qu'on ne peut rencontrer sans les aimer, et dont on ne peut lire les ouvrages sans une secrète et douce émotion. On dirait que, par une grâce spéciale, ceux qui consacrent leur vie à nous apprendre l'amour de Dieu, sont euxmêmes les plus dignes d'amour et les plus aimés parmi les hommes.

A Dieu ne plaise que nous voulions détourner personne de ces études qui sont à la fois une démonstration, une exhortation et une prière! C'est une sainte et salutaire pensée que de s'attacher ainsi à pallier le mal, à exalter le bien, à reconnaître partout la main de celui qui, étant le créateur du monde, veut aussi en être appelé le père. Rien n'est plus doux à contempler que ces âmes inclinées à l'indulgence, dont la sympathie est toujours prête et toujours sincère, qui voient le mal sans s'y attacher, et se sentent emportées comme par un vol vers tout ce qui est bien et tout ce qui est beau; âmes naïves, compatissantes, généreuses, faites pour sentir le bonheur et pour le

répandre, imprudentes quelquefois, trompées souvent, et fières encore d'être trompées quand leur erreur vient d'avoir trop présumé des autres hommes. Laissons ces privilégiés de l'amour nous raconter leur monde enchanté, où tout est grand, beau, utile, bien ordonné, où il n'y a pas de monstres, où il n'arrive pas de catastrophes. Laissons-les oublier les grandes injustices de l'histoire, et suivre d'un œil charmé le progrès continu des arts, des lettres, de la civilisation, de l'honnêteté publique. Laissons-les croire que tous les hommes naissent bons et vertueux, et que le vice n'est jamais qu'une exception et un malheur. Leur illusion, si c'en est une, est plus près de la vérité que le désenchantement des autres. Il y a dans le monde assez de grandeur et d'harmonie, il y a dans l'histoire assez de justice, et surtout il y a dans nos cœurs assez d'élan vers le bien, assez de force pour expliquer, pour justifier leur enthousiasme. De même qu'en montant sur des sommets très-élevés on n'aperçoit plus la fange des chemins, on échappe aussi à la vue du mal dans le monde, dans l'histoire, dans le cœur de l'homme, lorsqu'au lieu de s'abîmer dans les détails, on accoutume son esprit à voir au loin, à regarder de haut. C'est pour cela qu'il y a de la beauté dans tout ce qui est grand; et pour le dire ici, c'est pour cela que la science des abstractions, la métaphysique, lorsqu'on la pousse un peu loin et qu'on sait la comprendre, produit dans l'âme les mêmes effets que la grande poésie.

Les objections qu'on élève contre la démonstration de la Providence, faite sous cette forme, portent plutôt sur les exagérations des optimistes que sur le fond même de la thèse qu'ils soutiennent.

Êtes-vous bien sûrs, leur dit-on, de cette perfection universelle ? Le monde est si vaste pour notre faiblesse, le nombre des êtres qu'il contient si immense, que les plus longues énumérations laissent la pensée indécise, tant il reste encore à connaître après ce qu'on nous montre! De tant de sciences diverses dont se compose la science, qui peut se vanter d'en savoir plus d'une ou deux, et de les savoir à fond? La plupart des sciences n'en sont, pour ainsi dire, qu'à leur commencement; on les traverse à force de peine, et, lorsqu'on a appris tout ce qu'elles enseignent, on découvre au delà un horizon à perte de vue, du travail pour des milliers de générations. Quand même il se pourrait qu'un seul esprit en une seule vie parcourût toutes les sciences, toutes les sciences réunies ne nous expliqueraient qu'un bien petit coin de l'univers. Depuis deux mille ans que nous travaillons, nous avons fait beaucoup si nous comparons la science actuelle à ce qu'elle était sous Thalès et Pythagore combien peu, si nous mettons les secrets arrachés à la nature en balance avec ceux qu'elle recèle encore dans son sein1! Cette condition de la

1. « Quota pars operis tanti nobis committitur? » Sénèque, Quæst nat., lib. VII, cap. xxx.

science humaine ne doit pas nous décourager de chercher; mais elle peut à bon droit nous détourner de résumer et de conclure. Hélas! quand il sera prouvé que tout ce que nous connaissons est bon, il en résultera tout au plus un préjugé pour la bonté de tout le reste.

Non-seulement nous sommes limités dans l'étendue de nos connaissances; mais ne le sommes-nous pas dans leur nature? Nous connaissons peu de chose : connaissons-nous réellement ce que nous croyons connaître? Ce n'est pas ici un argument de scepticisme, tant s'en faut; mais le besoin de savoir, l'orgueil humain, et sa sœur la frivolité humaine, l'habitude d'accepter comme expliqué ce qui est seulement familier, ne nous portent-ils pas à chaque instant à prendre des comparaisons pour des démonstrations, des préjugés pour des connaissances? Quelquefois c'est par résignation qu'on se contente de peu, et plus souvent c'est par ambition. Il n'est pas aisé de persuader à un chimiste qu'il ignore la nature de la matière, à un physicien qu'il ignore la nature de l'étendue, à un philosophe que Dieu est incompréhensible. Les doctrines les plus puériles ont été gravement enseignées par des hommes de génie dans des écoles illustres. Nous parlons au passé par respect humain. L'histoire ne nous dispense que trop, par des exemples éclatants, de faire la guerre aux écoles contemporaines. Lisons dans Xénophonl'énumération des merveilles par lesquelles Socrate

prouvait de son temps la Providence la plupart de ces merveilles sont des erreurs qu'une science plus haute a fait disparaître. N'allons pas si loin; prenons un livre qui nous a tous charmés dans notre enfance: sans être devenus bien savants, nous ne pouvons plus lire le Spectacle de la nature de l'abbé Pluche. Nous sentons trop combien sa science est incertaine. Nous mesurons avec effroi la tâche qu'il s'est donnée de démontrer que tout est bien dans le monde. Buckland lui-même, le dernier venu, le plus savant parmi ces ennemis du mal, trébuche à chaque pas. Sa science a trente ans : elle a bien vieilli! Et lui-même, dans sa ferveur, il est bien près quelquefois de nous faire sourire. On lui objecte que le loup mange les moutons. L'objection est plus grave qu'elle n'en a l'air; elle est fort générale, et nous nous mangeons tous un peu les uns les autres dans ce monde. Or, que répond l'excellent homme? Ils les mangent sans doute, dit-il, « et c'est en cela qu'éclate la bonté de la Providence; » car les moutons sont presque toujours mangés lorsqu'ils sont encore gras, jeunes et bien portants. Ils échappent ainsi à la maladie et à la vieillesse. Si les moutons étaient raisonnables et qu'ils connussent l'avenir, ils béniraient en mourant leurs bienfaiteurs carnivores.

Pendant que les apologistes tournent à la déclamation ou se repaissent de puérilités, d'autres esprits, dans des buts très-divers, s'épuisent en efforts pour faire ressortir tout ce qu'il y a d'imparfait, d'inachevé, de

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