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récompense. Il n'y a pas besoin de méditations profondes pour connaître la destinée de l'homme la conscience la découvre à l'intelligence la plus humble aussi clairement qu'aux philosophes. Je suis libre : donc j'ai une loi. Cette loi, quand je la regarde en moi même, s'appelle la justice; quand je la regarde dans sa source, elle s'appelle Dieu. Employer toutes mes forces à obéir à Dieu, à l'aimer, à le connaître, à tendre vers lui, voilà, en deux mots, toute ma destinée.

Que me faut-il pour la remplir? L'intelligence du devoir dans son principe et dans ses applications, un amour qui ne s'attache aux créatures que pour prendre des forces et s'élever plus énergiquement vers Dieu, une liberté sans limite.

Est-ce bien là ce que je suis? Suis-je cet être libre, intelligent, passionné, capable de comprendre le but de la vie, y marchant par le sacrifice, et conquérant à la sueur de son front un prix qui ne peut jamais être trop payé? Je n'ai pas même besoin de la science pour répondre penser, sentir, vouloir, c'est là en effet tout l'homme.

Qu'est-ce que penser? C'est se penser d'abord; car, si je ne me connais pas, que connaîtrai-je? Il faut que je m'affirme premièrement, pour pouvoir affirmer le reste. Je sais, je vois, je sens tout ce qui se passe en moi, et je connais plus encore que les phénomè

nes, car je connais la force qui les produit; j'en mesure la portée; je la sens épuisée ou renouvelée, selon le cas; je la concentre, je la lance ou je la retiens, et je proportionne chaque fois mon effort à la résistance que je prévois. Cette intuition de moimême est la première de mes facultés intellectuelles : je l'appelle la conscience.

Me connaissant, et me connaissant limité, je vois partout autour de moi d'autres êtres, contingents et éphémères comme moi; ma vie est une lutte perpétuelle contre ces forces étrangères; je les dompte et je les subis tour à tour. La faculté par laquelle je les connais s'appelle la perception.

N'y a-t-il dans ma pensée que moi et le monde? Le monde, s'il était seul (car, pour moi, je ne suis qu'une partie du monde), ne pourrait ni être, ni être connu ; il lui faut, pour exister, autre chose que luimême, et, pour être connu, autre chose que les impressions des sens. Le monde et les impressions qu'il produit sont quelque chose de flottant et d'éphémère; c'est de l'être sans doute; ce n'est pas l'être. Il y a en moi une troisième faculté qui me fait sortir du rêve, et donne de la précision, de la réalité, et, si on l'ose dire, de la substance aux autres. C'est le sens de l'absolu ou la Raison. Cette faculté souveraine a pour objet toutes les vérités éternelles qui servent de principe à l'être et à la connaissance, de but à l'amour, de règle à la liberté. Créatures imparfaites, nous connaissons chaque chose imparfaitement, mais dans

la mesure de nos besoins. Nous voyons Dieu, sans le comprendre, et dans le fond, nous ne nous comprenons pas nous-mêmes. La petitesse de nos organes, et en somme, la petitesse de nos facultés restreignent notre horizon; mais il y a dans notre intelligence des facultés qui l'étendent bien au delà du temps et de l'espace que nous remplissons. Chaque instant d'une vie bien employée est une victoire sur le temps et sur l'espace, et par conséquent un accroissement de l'être. Nous avons la mémoire pour retenir le passé, l'induction pour prévoir l'avenir, la déduction pour développer les principes, l'abstraction pour amener les objets à notre point de vue, la généralisation pour nous élever, par degrés, du monde multiple à l'unité, l'imagination pour nous consoler par l'espérance des bornes nécessairement étroites où la science humaine est circonscrite. Ces facultés si concordantes, si étroitement liées entre elles, si nécessaires l'une à l'autre, si fécondes en découvertes, en ravissements, qui nous soumettent tous les animaux et toutes les forces de la nature, qui embrassent le monde, qui s'élèvent jusqu'à la contemplation de Dieu, ne sont-elles pas la preuve d'un grand dessein de l'auteur de notre être? Quel nom, si ce n'est celui de Providence, peut convenir à la cause de cet ordre, de cette régularité, de cet accord constant des moyens avec le but?

Si je n'étais qu'une intelligence; si je ne faisais

que voir et comprendre sans aimer, je n'agirais pas. Je resterais dans mon repos, voyant passer devant mon esprit les faits, les vérités, les principes, avec une indifférence absolue. Il faut que je jouisse et que je souffre, que j'aime et que je haïsse, pour me déterminer à vouloir. La raison me donne une règle; mais c'est la passion qui me donne un mobile.

Lorsque, abandonnant le monde froid et sévère de la pensée, j'entre dans les domaines tragiques de la passion, la première chose qui me frappe, c'est qu'ici encore, avec les mêmes rapports, je retrouve les mêmes divisions et les mêmes analogies. Comme notre intelligence s'applique à trois objets, à Dieu par la raison, au moi par la conscience, et, par la perception, au monde extérieur, embrassant ainsi l'ensemble de tous les êtres et de tous les rapports; de même notre cœur est divisé entre trois amours, l'amour de Dieu, l'amour de soi et l'amour du monde. La passion est bien multiple, et pourtant, quelque forme qu'elle revête, et sous quelque nom qu'elle se déguise, toute passion humaine n'est qu'une transformation de l'un de ces trois amours. Nous avons beau différer les uns des autres, il n'y a pas d'homme qui ne puisse trouver ce triple amour au fond de son cœur. L'égoïste, à une heure donnée, est capable de s'attendrir. Celui dont toute la vie est un sacrifice, qui compte ses heures par ses bienfaits, qui n'a d'autre occupation que de chercher des malheureux pour les secourir, d'autre bonheur que le bonheur commun, d'autre

rêve que l'amélioration du sort de ses frères, celui-là même a, par la volonté de Dieu, des retours sur son propre sort; il sent de la douceur dans le sacrifice, et cette part qu'il prend à la félicité commune le rapproche de l'humanité, sans le rendre moins grand. Enfin, l'amour de Dieu est un sentiment si nécessaire qu'on le trouverait jusque dans le cœur d'un athée. On peut ignorer Dieu, le méconnaître, le nier; mais on ne peut pas ne pas l'aimer. En vain s'efforce-t-on de ne pas penser à lui; c'est par le seul amour de Dieu que l'homme est capable de poésie et d'enthousiasme; ce que nous appelons, en tout, l'idéal, c'est, à notre insu, un abandon de la terre, une aspiration vers Dieu. Et quel est l'homme assez enseveli pour n'avoir jamais rien rêvé au delà de ce qui se voit et de ce qui se touche? Quelle est la nuit que n'a traversée un éclair? Plus d'un s'est endormi athée et réveillé mystique. Le froid caillou contient en soi l'étincelle. Ainsi, par une belle disposition, notre esprit et notre cœur sont faits sur le même plan, et appropriés avec le même soin à tous nos besoins et à tous nos rapports'. Et ce n'est pas la seule analogie. S'il nous était possible d'approfondir ici la psychologie, nous montrerions dans l'intelligence comment le moi et l'absolu sont les deux pôles

1. « Toi-même, chétif mortel, tout petit que tu es, tu entres pour quelque chose dans l'ordre général, et tu t'y rapportes sans cesse. L'univers n'existe pas pour toi; mais tu existes toi-même pour l'univers. » Platon, les Lois, liv. X.

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