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Il n'y a rien en nous qui ne parle de la bonté de Dieu, et qui ne résiste à la triste et dure hypothèse d'un Dieu négligent ou indifférent. Le désir d'estime, que l'on flétrit dans ses excès ou dans ses misères du nom de vanité; le désir du pouvoir, souvent condamné à juste titre sous le nom d'ambition, si nous savons les retenir dans leur mesure, et les discipliner sous la règle, concourent à rendre la société possible, en y introduisant l'honneur et la honte, et en rendant aimable la possession du pouvoir qui, de sa nature, n'est qu'un fardeau. Dans les derniers temps de la puissance romaine, les charges étaient devenues si onéreuses, qu'on demandait comme une faveur d'être exclu des dignités municipales: c'est le signe infaillible de la décadence, quand, au lieu d'utiliser les sentiments humains, la législation les repousse, les contrarie et leur fait violence. Nous devons vivre en profitant de notre nature et par les ressources qu'elle nous fournit, parce que notre nature est sage et sagement ordonnée. Non-seulement elle vient à notre aide par le secours des passions, et transforme nos devoirs en plaisirs; mais ces attraits, par lesquels elle nous sollicite à remplir notre mission, elle les proportionne, en bonne mère, à notre faiblesse. Quand elle prévoit qu'un mobile d'une nature trop élevée ne sera pas assez puissant pour triompher de notre inertie, elle y ajoute quelque mobile d'intérêt plus personnel, ou dont l'énergie est plus immédiate. Quel plus magnifique but à se proposer que de

doter l'humanité d'une science nouvelle, et par conséquent d'une nouvelle puissance? Mais l'amour de l'humanité n'est pas toujours assez fort pour commander une vie entière de sacrifices, qui peut-être resteront impuissants: si l'amour de l'humanité ne suffit pas, la vérité elle-même aura un attrait. Le savant peut oublier les résultats de la science: il y a une force en lui qui le pousse, coûte que coûte, à chercher la vérité, même inutile.

Une école s'était formée au commencement de ce. siècle qui, partant de ce principe qu'il n'y a rien d'inutile dans la nature, ni par conséquent dans l'homme, faisait le procès à nos mœurs et à nos lois, si remplies d'entraves de toutes sortes, et voulait remplacer la civilisation, dont le ressort est la loi, par une organisation nouvelle dont l'unique ressort eût été le plaisir. Cette école était pleine d'erreurs. La plus grave était de considérer cette vie transitoire comme un but définitif, et de vouloir supprimer l'épreuve. Elle se trompait encore en pensant que le mobile peut tenir lieu de règle, et cette faute avait pour déplorable conséquence la négation de la morale. Elle se trompait même dans l'analyse des passions, qu'elle déifiait, et dans la recherche du plaisir, dont elle faisait son tout, tant il est difficile de faire de ces réformes radicales, qui, entre autres malheurs, ont celui de supprimer l'expérience. Mais elle avait raison en ce point, que tous les sentiments inspirés par la nature sont sains et utiles; que le devoir du mora

liste et du législateur est de les respecter, de les utiliser; que la société et l'homme ne vivent que par eux; qu'ils sont les instruments du bien et les auxiliaires de la vertu, et que la suppression d'un sentiment naturel, quel qu'il soit, est toujours une diminution et une dégradation de l'homme.

Pour nous, qui ne savons pas comprendre la liberté sans la règle, ni la vertu sans le sacrifice, ni la vie terrestre sans la vie à venir, nous demandons que la passion soit à la fois acceptée et gouvernée; que le cœur soit honoré et béni dans sa condition de serviteur de la volonté morale; et que le spectacle des vices que l'homme s'est donnés ne nous cache pas celui des forces et des vertus qu'il tenait de Dieu,

Il y aurait encore, avant de quitter ce sujet de méditations sur les passions humaines, qu'on n'épuiserait jamais, à les suivre dans leurs transformations. La destinée nous emporte, aucun de nous ne sait vers quel but ici-bas. Nous ne sommes maîtres que de nousmêmes, et nous servons de jouets aux événements. Dans les changements soudains que la fortune nous fait éprouver, il est bien rare que nous ne sentions pas dans notre cœur de nouvelles forces vives pour nous aider à souffrir une situation nouvelle. Nous ne voulons pas parler ici de ces sentiments communs, mais dont l'époque et l'heure, pour ainsi dire, sont marquées dans la vie, comme l'amour paternel; non, les sentiments dont nous parlons n'ont reçu de nom dans

aucune langue, parce qu'on n'a pas le besoin de les généraliser, et qu'ils semblent naître des accidents. Un parvenu sent grandement dans une position élevée, et la foule se dit : « On ne lui soupçonnait pas cette grandeur. » C'est qu'il ne l'avait pas; Dieu la lui a donnée quand il l'a porté en haut. Faites la même observation dans le sens opposé. Telle infortune nous effraye dans un roman, et nous ne comprenons pas qu'on ait la force d'y survivre: elle nous atteint, et nous nous trouvons de taille à la braver. Nous n'avions pas ce courage; c'est le même Dieu qui nous envoie la résignation avec la douleur. Ce n'est pas assez dire, la résignation: il nous donne des sentiments appropriés à nos nouveaux besoins. Il semble qu'en changeant de poste nous changions aussi de cœur. Un voyageur en Sibérie a remarqué avec quelle facilité les condamnés se transforment pour approprier, en quelque sorte, leur corps, leur esprit et leurs sentiments à leur nouvelle situation. Tel grand seigneur, accoutumé à toutes les recherches et à toutes les vanités de la richesse, sort un matin d'une forteresse sans nom, sans famille, sans argent. Il part, le sac sur le dos, pour servir à perpétuité, comme simple soldat, dans l'armée du Caucase; ou il est dirigé vers un gouvernement sibérien pour y travailler comme colon, ou y remplir un emploi de commis subalterne dans quelque bureau. C'est une nouvelle vie, où rien ne le suit de sa vie antérieure, et pour laquelle il se trouve du courage, des aptitudes, de la force.

On en a fait honneur à l'extraordinaire souplesse du caractère russe; mais il y a de cela en nous tous; notre nature change, dans une certaine mesure, avec les circonstances et avec nos besoins. Nous sommes comme un navire bien approvisionné de toutes choses, qui trouve des mâts tout prêts dans ses magasins pour le jour où la machine est hors de service; qui a de quoi se faire un mât de fortune lorsque sa mâture est enlevée; et dont le pont, au dernier moment, se trouve tout prêt à devenir un radeau. Le passager, qui doit la vie à tant de prévoyance, s'amusera-t-il à la révoquer en doute, au moment où il en profite?

Mais ce qui prouve encore, plus que l'amour et l'intelligence, la grandeur des desseins de Dieu dans la création de l'homme, c'est la liberté.

Il ne faut pas demander ce que serait la liberté sans intelligence; car, pour vouloir, il faut savoir que l'on veut, et ce que l'on veut, et par conséquent être un esprit. Et même, pour vouloir, il ne suffit pas de penser, il faut aimer; car c'est la raison qui nous trace le chemin, et c'est le plaisir qui nous excite à le suivre. Ainsi l'intelligence et l'amour sont nécessaires à la liberté; mais la liberté, à son tour, est nécessaire au cœur et à la pensée. L'action est le but; c'est pour elle que la pensée s'applique et que le cœur s'échauffe. Sans la résolution, notre méditation et notre désir seraient perdus; ils seraient comme s'ils n'étaient pas. Ils prennent un corps, en quelque sorte,

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