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dire que Dieu soit possible, ou, en d'autres termes, que l'idée d'un être parfait ne soit pas une idée contradictoire. Leibnitz crut donc avoir donné à l'argument de saint Anselme le dernier degré de rigueur et de clarté, en l'exprimant par la formule suivante :

« L'être dont l'essence implique l'existence, existe, s'il est possible, c'est-à-dire s'il a une essence (c'est un axiome d'identité, qui n'a pas besoin de démonstration).

<«< Or, Dieu est un être dont l'essence implique l'existence (par définition);

«< Donc, si Dieu est possible, il existe (par la seule force de l'idée que nous en avons)'. »

Faut-il l'avouer? cet argument paraît plus subtil que profond; et, sans le respect qu'inspirent des noms comme ceux de Descartes, Bossuet, Fénelon, Leibnitz, on oserait dire qu'il ressemble à un sophisme. Ce mot de sophisme s'est trouvé tout naturellement sous la plume de Descartes au moment où il l'exposait. Les perfectionnements ajoutés par

1. « Ens, ex cujus essentia sequitur existentia, si est possibile, << id est si habet essentiam, existit (est axioma identicum, demon<stratione non indigens).

<< Atqui Deus est ens ex cujus essentia sequitur existentia (est « definitio).

<< Ergo Deus, si est possibilis, existit (per ipsius conceptus ne<cessitatem). >>

2. «.... Bien qu'à la vérité cela ne semble pas d'abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. »> Cinquième Méditation.

Leibnitz ont eux-mêmes quelque chose de peu rassurant. Il fait bien sans doute de déclarer que si, par quelque contradiction ou quelque impossibilité, l'idée de la perfection était par elle-même évidemment chimérique, on ne pourrait conclure de la présence en nous d'une telle idée la réalité de l'existence de son objet; mais, en revanche, il paraît difficile de ne pas reconnaître que, si la présence en nous de l'idée du parfait ne nous empêche pas de supposer l'impossibilité du parfait, elle nous empêche encore moins d'en supposer la non-réalité.

Le tort de cet argument est d'avoir une réalité pour conclusion et une abstraction pour principe. Il est vrai que nous concevons Dieu comme parfait; il est vrai que l'existence est une perfection: il est donc vrai que nous concevons Dieu comme existant, en même temps et de la même manière que nous le concevons comme parfait. Or, comment concevons-nous Dieu comme parfait ? Quand je dis : « Je conçois un être parfait, » cela veut dire : « Je conçois qu'il y a, ou qu'il pourrait y avoir un être parfait. » De même quand je dis : « Je conçois que l'être parfait existe, cela veut dire : « Je conçois qu'il y a ou pourrait y avoir un être parfait, et qu'il ne pourrait être parfait qu'à la condition d'exister. >>

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Descartes, qui a prévu cette objection, soutient que nous ne concevons pas l'existence de Dieu comme simplement possible, mais bien comme nécessaire, << attendu que Dieu n'a besoin que de lui-même pour

exister, et que ce qui existe par sa propre force existe toujours'. » Or, il en est de cette réponse comme de presque tous les arguments précédents. Elle est vraie, mais elle est à elle seule tout le raisonnement. C'est dire qu'ici encore il n'y a pas de raisonnement, et que Descartes ne fait une fois de plus qu'affirmer le principe de la philosophie rationaliste.

Si, au lieu de recourir à cette forme scolastique, qui semble mieux à sa place dans saint Anselme que dans Descartes, on s'était borné à dire que notre esprit, en considérant la perfection, comprend qu'elle doit exister par la nécessité de sa nature, tandis qu'au contraire, en considérant l'imperfection, il reconnaît que l'être imparfait ne peut exister qu'à la condition d'être produit par quelque cause étrangère, ce principe, qui est tout le fond de l'argument, aurait entraîné la conviction. Bossuet s'en est emparé dans ses Élévations : « Pourquoi l'imparfait serait-il, et l'imparfait ne serait-il pas ? C'est-à-dire, pourquoi

1. «< Si nous examinons soigneusement, savoir, si l'existence convient à l'être souverainement puissant, et quelle sorte d'existence, nous pourrons clairement et distinctement connaître, premièrement, qu'au moins l'existence possible lui convient, et après (parce que nous ne pouvons penser que son existence est possible qu'en même temps, prenant garde à sa puissance infinie, nous ne connaissions qu'il peut exister par sa propre force), nous conclurons de là que réellement il existe. » Réponse aux premières objections, et cf. Réponse aux deuxièmes objections, et surtout, à la suite de ces Réponses, les Demandes de Descartes (cinquième demande).

ce qui tient plus du néant serait-il, et que ce qui n'en tient rien du tout ne serait pas ?... Mon âme, âme raisonnable, mais dont la raison est si faible, pourquoi veux-tu être, et que Dieu ne soit pas? Hélas! vaux-tu mieux que Dieu? Ame faible, âme ignorante, dévoyée, pleine d'erreur et d'incertitude dans ton intelligence, pleine dans ta volonté de faiblesse, d'égarement, de corruption, de mauvais désirs, faut-il que tu sois, et que la certitude, la compréhension, la pleine connaissance de la vérité et l'amour immuable de la justice et de la droiture ne soit pas1?... Dis, mon âme, comment entends-tu le néant, sinon par l'être? Comment entends-tu la privation, si ce n'est par la forme dont elle prive? Comment l'imperfection, si ce n'est par la perfection dont elle déchoit?... Il y a une perfection avant qu'il y ait un défaut; avant tout déréglement, il faut qu'il y ait une chose qui est elle-même sa règle, et qui, ne pouvant se quitter soi-même ne peut non plus ni faillir ni défaillir 2. »

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De même Spinoza : « Rien, dit-il, ni en Dieu ni hors de Dieu ne peut faire obstacle à l'existence de Dieu. Un cercle carré ne peut exister, parce que sa nature est contradictoire; et un cercle ne peut exister sans une cause, parce que sa nature n'est pas nécessaire; mais Dieu, au contraire, ne peut pas ne pas exister,

1. Première Semaine, première Elévation. 2. Première Semaine, deuxième Élévation.

puisqu'il se suffit, et qu'il n'y a rien dans sa nature qui le rende impossible'. »

En parlant ainsi, Bossuet et Spinoza ne font que reproduire le principe de l'argument de Descartes, dont ils négligent, on oserait presque dire dont ils dédaignent la forme.

Descartes, dont le génie était essentiellement métaphysique, a volontairement omis la démonstration que l'on tire du spectacle de l'univers, et de la nécessité d'une cause parfaite qui en explique l'existence et l'harmonie.

Cette démonstration comporte trois parties, ou plutôt elle se divise en trois démonstrations différentes.

On établit d'abord que la matière du monde a besoin d'une cause; car pourquoi subsisterait-elle par ellemême, puisqu'elle est le plus imparfait, et en quelque sorte le moins réel de tous les êtres? Donc l'existence de la matière prouve la nécessité d'un créateur.

On prouve ensuite que la matière abandonnée à elle-même est inerte. Elle subit le mouvement, elle le reçoit, elle le transmet, mais elle ne le produit pas. Donc tout ce qu'il y a en elle d'organisé et de puissant lui vient d'une cause extérieure. Donc il y a un premier moteur de la matière.

Enfin, on tire un argument de l'harmonie universelle des mouvements et des êtres. Non-seulement

3 Ethique, Ire partie, prop. 11.

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