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liberté est à la fois l'instrument et le gage, ils n'ont pas besoin qu'on leur démontre la grandeur de la liberté, puisque c'est elle, à leurs yeux, qui fait toute la grandeur de l'homme. Tout change d'aspect et de caractère dans la vie, quand, au lieu de la considérer comme un but définitif, on ne voit en elle qu'une épreuve.

On raconte que, sous la Terreur, il y avait dans les prisons de Paris des salles de greffe, où l'on faisait entrer les condamnés à mort, avant de procéder à la toilette. Ils y attendaient leur tour. On laissait pénétrer, dans cette même salle, des parents et des défenseurs qui venaient voir d'autres prisonniers. Le désespoir était souvent sur tous les visages, et rien au dehors ne pouvait faire discerner ceux qui sortaient de là pour aller vivre, et ceux qui sortaient pour aller mourir. C'est ainsi que nous différons dans cette vie, quoique semblables en apparence, et que selon nos croyances diverses, chacune de nos heures nous rapproche ou de l'immortalité ou de la mort.

Quand on essaye ainsi de montrer la Providence de Dieu dans ses actes, on est toujours effrayé du peu que l'on dit, en pensant à tout ce qu'il y aurait à dire; mais ce peu suffit pour montrer la solidarité de toutes les grandes doctrines. Ce peu est tout pour une âme religieuse. Si vous réduisez tout, dans le monde, à la matière, et dans l'homme à la satisfaction de ses besoins et de ses plaisirs égoïstes, vous pouvez à la

rigueur vous passer de Dieu, l'ignorer, quoique l'existence de ce monde, sans une cause qui le produise et le conserve, soit un problème insoluble. Mais si vous savez entendre les harmonies de la nature, si les phénomènes de l'ordre physique ne sont à vos yeux que le développement régulier et puissant d'un système de lois analogues entre elles et parfaitement enchaînées l'une à l'autre; si dans l'homme vous faites dépendre toutes les pensées de la pensée de l'infini, tous les amours de l'amour de l'infini; si vous ne voyez dans la liberté que le pouvoir de glorifier et de sanctifier la vie par le sacrifice; si vous fondez la grandeur de l'homme, non sur ses plaisirs, mais sur l'austérité de ses devoirs; si vous avez appris à regarder l'humanité comme une seule famille, à comprendre, à aimer, à pratiquer le dogme de la fraternité universelle; si vous croyez que l'humanité marche sans cesse, par la liberté et par le travail, à des conquêtes scientifiques nouvelles, à des mœurs plus douces et plus pures, à des lois plus conformes au divin idéal qui luit dans la conscience du juste; si vous sentez au-dedans de vous le besoin, la promesse, la preuve de votre immortalité : toutes vos doctrines, tous vos amours, tous vos instincts vous répondent de la Providence. Elle revient, en quelque sorte, à vous par tous les chemins, à tous les moments de votre vie. Vous trouvez le grand ouvrier tout entier dans la plus humble de ses œuvres.

Il ne faut pas se rebuter de ce genre de spécu

lation, parce qu'elle est devenue, presque dès l'origine de la philosophie, une sorte de lieu commun. La prière est aussi un lieu commun, et pourtant on ne se lasse pas de prier. L'homme religieux est un amant de la Providence ; il ne peut se rassasier d'étudier et d'exalter la beauté de ses amours. I adore dans le moindre détail cette puissance et cette sagesse infinie; mais c'est surtout quand il songe à l'ensemble que sa pensée est ravie; c'est quand il compare les lois entre elles pour se convaincre de leur analogie, et pour reconnaître que toutes les classes de l'être, toutes ses formes, tous ses mouvements, ne sont que des traductions différentes de l'unique Parole, des applications diverses de l'unique Volonté. Cette simplicité dans cette profusion, cette immobilité dans ce mouvement, cette éternité dans ces flots pressés et fuyants, c'est Dieu même qui se dévoile, et qui se communique de plus près à l'âme qui le cherche. Comme on voit le matin un brouillard flotter sur un vaste horizon, et le dérober aux yeux, jusqu'à ce que les rayons du soleil le percent et le dissipent, pour nous montrer tout à coup derrière ce voile, un monde enchanté, vivant, baigné de lumière, la philosophie chasse les vaines apparences, les bruits importuns, les beautés vulgaires et périssables, et nous fait entrevoir la source éternelle d'où jaillissent sans relâche la beauté, la force et la vie.

CHAPITRE II.

EXAMEN DES OBJECTIONS TIRÉES DE L'EXISTENCE DU MAL.

<«< Tu non dubitas de Providentia, sed quereris........ Inter « bonos viros ac Deum amicitia est, conciliante virtute. » Sénèque, de Providentia, A.

Voici une des misères de l'homme. A peine avonsnous démontré la Providence, à peine avons-nous joui de la consolante pensée que Dieu veille sur nous avec la sollicitude d'un père, qu'au lieu de le remercier du bien qu'il nous donne, nous lui demandons compte de celui que nous n'avons pas. Le mal fait murmurer ceux mêmes qui croient à la Providence il sert d'argument à l'impiété des autres. << Personne, disent-ils, ne peut vouloir le mal, n'est méchant; ni le faire sans le vouloir, s'il n'est impuissant. >> Cet argument nous contraint à rendre compte de l'existence du mal, ou à renoncer au dogme de la Providence.

s'il

A cette question: Comment le mal peut-il exister? les stoïciens répondaient : « Il ne peut pas exister. » Ils traitaient le mal et la douleur comme les

éléates traitaient la multiplicité et le mouvement, c'est-à-dire que ne pouvant l'expliquer, ils le

niaient.

Au contraire, un grand nombre de sectes religieuses ont en quelque sorte divinisé le mal, en lui donnant pour cause un principe vivant, toujours en lutte contre le principe du bien. Leur malheur est de renoncer à la raison pour s'attacher uniquement au fait, et le malheur des stoïciens est de sacrifier l'évidence du fait à la rigueur de la logique.

En dehors de ces deux doctrines, qui ne sont pas des solutions, puisque la première nie l'un des termes qui se contredisent, et que la seconde accepte la contradiction et la subit, se placent trois théories célèbres qui se partagent encore les esprits : la théorie de la chute, celle du progrès et l'op

timisme.

Nous dirons d'abord quelques mots de la doctrine de la chute.

Pour comprendre cette doctrine, il faut avant tout se rendre compte du point précis de la difficulté. Ce qu'il s'agit d'expliquer, ce n'est pas le mal physique, ou la laideur, dont on vient à bout aisément, c'est la douleur et le mal moral. Encore faut-il bien comprendre que la douleur et le mal moral sont des conséquences nécessaires de la liberté humaine. En effet, être libre, c'est pouvoir choisir, et choisir entre le bien et le mal. Ce choix suppose les sollici

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