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Providence; non dans son principe, qui est vrai, qui est le vrai.

Nous repoussons la théorie qui attente à la liberté de Dieu, qui dégrade son intelligence, qui, sous prétexte d'exalter et d'expliquer sa bonté infinie, le condamne à produire le mal, et à commencer la série des créations par le pire des mondes possibles; la théorie qui, sans autre motif qu'un caprice de la spéculation, veut établir que tout dans le monde suit fatalement la loi du progrès, non-seulement l'homme, mais les animaux, les plantes, la nature inanimée ; car c'est jusque là qu'il faut venir, avec cette doctrine des créations successives; on ne peut la limiter à une classe d'êtres; elle envahit tout, elle jette l'imagination dans une sorte de chaos, elle ouvre la porte aux absurdités les plus monstrueuses; elle contraint cette philosophie hautàine, après avoir débuté par des axiomes nullement justifiés, à peine intelligibles, à finir comme un conte des Mille et une nuits. Et que dit à cela l'histoire ? Que dit la science? Car il n'est pas permis de mettre de côté les faits, puisqu'il s'agit de leur loi; les transformations ne commencent pas à partir de ce jour, suivant le système; elles datent du jour de la création; les transformations passées doivent donc nous éclairer sur les transformations futures. Mais non; l'histoire ni la science ne disent mot; et pour ne parler que du corps de l'homme, rien à coup sûr ne nous autorise à dire que sa forme se soit améliorée ou même modifiée depuis l'origine.

Nous repoussons donc sans hésiter cette ambitieuse et vaine théorie, qu'on ne peut presser sans en faire sortir l'absurde.

Mais quand on restreint la théorie du progrès à ce qu'il y a de libre dans la nature, alors l'histoire répond et les témoignages abondent. Il est trop vrai que le monde physique subit aujourd'hui les mêmes lois que le jour de sa naissance; que la disparition de quelques espèces animées laisse indécise la question de savoir si elles ont été remplacées par d'autres espèces, et par des espèces supérieures; et qu'enfin le corps de l'homme n'a rien à attendre de l'avenir, et n'a rien gagné dans le passé; mais l'esprit de l'homme, sa moralité a fait des progrès; son patrimoine s'est accumulé. Il ne faut pas voir les anciens hommes dans Homère, qui ne parle que des héros, et qui les crée plutôt qu'il ne les décrit; il est plus juste de conclure ce qu'ils étaient de ce que nous savons de leurs lois, de leurs mœurs, de leur religion, de ceux de leurs actes qui sont restés dans la mémoire, et des jugements qu'eux-mêmes ont portés sur des événements célèbres. Ainsi dégagés des préoccupations de l'esprit de parti et du factice enthousiasme de quelques rêveurs pour la nature primitive, nous voyons l'homme sortir des ténèbres et de la nuit, pour marcher de siècle en siècle vers une lumière plus vive et plus pure. On retrouve l'homme à toutes les époques sans doute; mais d'abord l'homme enfant, barbare, livré à ses instincts, impuissant contre la nature; peu

à peu, l'intelligence qu'il porte en lui se développe; chaque génération élève mieux la génération qui va la suivre; les sociétés se perfectionnent; les lois naissent et s'améliorent; le génie de l'homme éclate dans les arts, se déploie plus lentement, mais avec une progression plus constante dans l'industrie. La science pénètre ensuite à loisir, pas à pas, dans le sein de la nature1; elle en étudie, elle en sonde les mystères; elle les rapporte à leurs causes : l'intelligence humaine prend possession du monde et d'ellemême. Quelques vices plus raffinés sortent d'une civilisation nouvelle, en même temps que des vices plus barbares disparaissent; les hommes deviennent à la fois plus rusés et plus doux. Il arrive de loin en loin une catastrophe; le monde est balayé par un vent d'orage, après lequel l'histoire nous montre des débris sur le sol, des peuples éperdus, ne connaissant plus leur voie, des enfants indignes de leurs pères. Puis ces années d'horreur disparaissent; les grands hommes se montrent de nouveau, et retrouvent le passé ou devancent l'avenir; ils traînent après eux l'humanité; ils lui rendent les arts perdus, ils recommencent son histoire, ils relèvent les autels, ils écrivent de nouvelles tables de la loi; et par eux naît une autre civilisation qui efface les merveilles de la première. Ne regardons pas ces cataclysmes,

1. Fichte, la Destination de l'homme, traduction de Barchou de Penhoen, p. 277.

si nous voulons suivre la vie de l'humanité à travers les siècles; ne nous attachons ni à une race ni à un peuple. Pour posséder les résultats de l'histoire, il faut la juger dans son ensemble; pour connaître une vaste plaine, il faut monter sur la hauteur. Les Grecs, les Romains ont eu leur décadence; l'humanité ne déchoit pas. Un peuple périt à côté de nous, un autre se lève. Une transformation politique s'étend de proche en proche, et arrête pour un temps l'essor et la fécondité de l'esprit. Ce n'est qu'un orage passager; n'étendons pas ces ténèbres sur le passé et sur l'avenir; le soleil brillait hier, il renaîtra demain. Si vous sentez en vous le découragement, entrez dans une bibliothèque. Que n'avons-nous conservé le catalogue de la bibliothèque d'Alexandrie! Nous y aurions vu la richesse des anciens; donc nous aurions touché au doigt leur pauvreté. Sans doute, nous n'avons pas un Homère; peut-être n'avons-nous ni un Platon ni un Aristote; mais pourquoi sont-ils si grands? Parce qu'ils sont grands dans une société de petits esprits. Platon parlait à l'élite d'Athènes; tandis que Leibnitz aurait trouvé un auditoire d'un bout à l'autre de l'Europe et dans le nouveau monde. Aristote avait tant demandé et tant découvert des secrets de la nature, qu'il avait pris pour ainsi dire plus que sa part; mais ceux qui ont travaillé après lui dans le même sens sont partis du point où il était arrivé, et ils marchent encore, sans que nous puissions dire, sans que nous puissions prévoir jusqu'où ils iront.

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Êtes-vous incapable de suivre les progrès de l'esprit humain dans la théorie? Écoutez les faits; la matière parle. Comparez les astronomes de la Chaldée aux savants de l'Observatoire de Paris; rappelez-vous les colonnes d'Hercule; rapprochez les galères anciennes d'un navire à hélice; entrez dans un bureau de télégraphie électrique; montez dans un wagon de chemin de fer; mettez la main sur le premier objet venu dans votre cabinet : voilà une montre, un télescope, une lampe voilà un livre! L'homme était comme Encelade écrasé sous trois montagnes, la pesanteur, la durée, l'étendue. Il a vaincu la pesanteur par les machines, il a pris à son service la force qui l'arrêtait; il a vaincu le temps par l'histoire et par la télégraphie, dans deux sens différents; et il est en train de détruire les espaces par la rapidité de sa course et la force de ses instruments d'optique. Prenez une carte du monde; voyez la place que la civilisation y occupe sur les deux hémisphères; et remontez ensuite le cours des siècles pour admirer avec quelle rapidité cette étendue va décroître. Le xv° siècle, à lui seul, vous enlèvera la moitié de la terre! L'empire romain qu'on appelait l'empire du monde, est pressé de toutes parts par la barbarie. Sous Périclès, la civilisation est resserrée dans un coin de terre1. Le progrès est écrit dans cette histoire en caractères si visibles qu'on ne peut presque le dire et le montrer sans sentir qu'on débite des lieux communs.

1. Fichte, la Destination de l'homme, p. 285 sqq.

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