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et, pour le trouver dans la succession des faits, nous n'avons pas besoin que l'historien les commente. La simple succession des événements nous avertit. Enfin, il n'est pas jusqu'au spectacle du monde qui ne révèle partout la trace d'une destination harmonieuse, d'une appropriation de tous les êtres à un but spécial, et d'un concours de ces forces et de ces applications diverses à une fin unique. Cependant le mal est inégalement réparti. Tel homme est heureux, tel autre malheureux ; ou, si vous voulez que personne ne soit heureux, le malheur de l'un est plus grand que celui de l'autre. Qu'on y prenne garde ceci est une injustice; et ceci est une difficulté réelle. On ne peut pas dire ici que le degré du mal n'est rien; car nous ne comparons plus la somme des maux à un idéal fictif., mais un certain mal à un autre mal; et nous ne reprochons pas à Dieu de nous faire souffrir, mais de nous faire souffrir plus qu'un autre. Il peut nous faire souffrir, quoiqu'il soit bon; mais, s'il est juste, il doit nous faire souffrir également.

La difficulté prend encore plus de force quand on réfléchit que l'inégalité des souffrances n'est nullement justifiée par l'inégalité du mérite. Si l'on pouvait répondre celui-ci souffre moins, parce qu'il est meilleur, tout serait sauvé; mais on ne le peut. Voici un homme qui naît dans la richesse; et un autre qui naît dans la pauvreté. Celui-ci travaillera et souffrira pour celui-là est-ce juste? Qu'on ne dise pas que la fortune n'est rien. Ces grandes maximes

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ne sont vraies que dans leur mesure; il est absurde et criminel de préférer la richesse au devoir; mais la richesse est, en ce monde, un grand instrument et une grande condition de bonheur. Ceux qui soutiennent que le bonheur ou le malheur doit se mesurer uniquement au degré de notre sensibilité, font encore un paradoxe, parce qu'ils exagèrent une vérité au point d'en faire un mensonge. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à se rappeler, dans les diverses phases d'une vie, quels ont été les temps heureux et les temps malheureux : on verra que le bonheur dépend en partie de la richesse. En d'autres termes, un homme juste, et qui est riche, est plus heureux qu'un homme juste qui est pauvre. Cela étant, pourquoi Dieu permet-il qu'un juste naisse dans la pauvreté?

Enfin l'injustice deviendra plus grande encore si nous considérons, non plus un juste et un juste, mais un juste et un criminel; que nous supposions le juste accablé de privations et de misères, trahi dans ses affections, emprisonné, chassé de son pays, flétri par un arrêt, écrasé sous le poids de la calomnie; et l'autre triomphant, entouré de luxe, jouissant des plaisirs de l'intelligence, et peut-être même du plaisir d'être aimé et admiré; proposé pour modèle à la jeunesse, parlant de vertu, peut-être sans remords, vivant vertueusement des fruits de son crime, parce que la vertu est facile pour celui à qui rien ne manque, glorifié encore après sa mort, grâce à la puis

sance fascinatrice du succès. Pensons à cela, et de ce spectacle, de lui seul, demandons compte à la justice de Dieu.

Il y a trois réponses.

Certains utopistes généreux s'imaginent que tout ce mal vient des hommes et de la manière dont la société est organisée. Suivant eux, il n'y a qu'à changer les bases de l'ordre social pour remettre chacun à sa place et faire régner la justice. A Dieu ne plaise que nous voulions décourager de telles espérances ! Nous croyons que les abus sont nombreux, et qu'à beaucoup il y a du remède; et nous demandons seule

ment que l'ambition ne prenne pas le masque du dé

vouement, que l'ignorance ne se fasse pas dénigrante,

le désir de retrancher le mal ne se change pas que en manie de tout transformer, qu'on n'emploie pas, même pour une bonne fin, des moyens condamnables, et qu'on ne remplace pas un ordre défectueux par un désordre absolu. Nous demandons surtout qu'on ne se repaisse pas d'espérances vaines, et qu'on n'oublie pas, dans toutes ces réformes, la nature même de l'être social pour qui elles sont faites. Telle est la nature de l'homme que l'imperfection et par conséquent l'injustice l'accompagnera toujours : tout l'effort du législateur doit tendre à rendre l'injustice moins fréquente ou moins complète. Laissons donc ces espérances excessives, qui traitent trop mal la société, et trop bien l'homme; et ne croyons pas ré

pondre à cette objection de l'existence de l'injustice par la présentation d'un code nouveau.

Il y a d'ailleurs un point qui résiste à tous les utopistes. Nous naîtrons, sous vos lois, égaux pour la richesse: soit; la richesse n'est après tout qu'une convention purement humaine. Naîtrons-nous égaux par l'intelligence? En vain direz-vous que vous rendrez les fonctions également honorables et également attrayantes: ce ne sont là que des rêves. A côté de l'inégalité intellectuelle, n'y a-t-il pas aussi l'inégalité morale? C'est là ce qui est terrible et ce que vous ne pouvez ni nier ni corriger. L'éducation peut beaucoup; il ne faut ni en méconnaître la force, ni l'exagérer au point de dire qu'elle rétablit l'égalité intellectuelle et morale entre les hommes.

Une réponse plus sérieuse à l'objection qui se tire de l'injustice est celle-ci c'est que Dieu a donné à l'homme une grande part dans le gouvernement de la société. La Providence gouverne le monde de haut; mais la part qui nous est laissée a sa trace: c'est l'injustice. Ce n'est pas ici sous une forme nouvelle la réponse que nous venons de rejeter. Au contraire; quelle que soit la forme de la société, si elle est humaine, disons-nous, elle ne peut être absolument juste. Ainsi l'existence de l'injustice est expliquée par l'intervention de l'homme dans le gouvernement de l'humanité, comme l'existence du vice est expliquée dans chacun de nous par les conditions et les exigences de la liberté.

Cette réponse a du vrai; elle est plausible; elle at

ténue le mal, sans le détruire. Si la loi de la justice est absolue, et elle l'est, la vertu constitue un droit imprescriptible, et Dieu est, si on ose le dire, le débiteur de l'homme juste. Le juste peut attendre, mais il faut que Dieu ait son heure.

Ainsi la difficulté est invincible; ou plutôt elle le serait sans l'immortalité. La philosophie triomphe de tout, hormis de cela. Le mal physique n'est rien, la douleur est méprisable : l'injustice seule, quand elle persiste, est une objection invincible contre la justice de Dieu. Qu'on cherche à l'expliquer, à la pallier : on ne trouvera que des faux-fuyants. Car l'injustice est un mal absolu, le plus grand des maux, le seul mal; quiconque permet et sanctionne l'injustice est impuissant ou méchant. Il suffit d'une injustice consommée et irréparable, pour qu'il n'y ait pas de Dieu.

Nous ne parlons pas ici de l'homme vertueux; nous ne disons pas que la récompense lui est nécessaire. La vertu peut se passer de récompense, mais Dieu ne peut se passer de récompenser la vertu. Toi, tu mourras pour la justice, sans proférer une plainte; mais nous, en présence de cette mort, nous serions réduits à accuser la Providence, si cette tragédie était une consommation, et n'était pas, au contraire, une transition et une preuve'.

1. << Bonum virum (Deus) in deliciis non habet: experitur, indu<< rat, sibi illum præparat. » Senec. de Provid., cap. 1.

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