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peuvent rien croire que de démontré et de raisonnable.

Nous n'exagérons pas cette dernière proposition au point de dire que tout peut être démontré, et que tout peut être compris. Il y a des choses qui n'ont pas pu jusqu'ici être démontrées et qui probablement ne le seront jamais; et, parmi les choses démontrées, il y en a d'incompréhensibles. Ainsi nous croyons que Dieu est incompréhensible, que la création est incompréhensible; et cela ne nous empêche pas d'admettre l'existence d'un Dieu créateur; mais le dogme de la trinité n'est pas seulement incompréhensible : il constitue ce que l'on appelle un mystère'. A ce titre, il peut être admis dans une religion; il n'a point de place dans une philosophie.

Ces deux mots de mystère et d'incompréhensible sont souvent joints ensemble dans l'usage. C'est d'abord que tout mystère est incompréhensible, mais tout ce qui est incompréhensible n'est point un mystère. Admettre une chose incompréhensible, c'est reconnaître que la raison a des bornes; admettre un mystère, c'est nier l'autorité de la raison. Quand nous soutenons que Dieu est incompréhensible, nous n'exprimons pas autre chose qu'un aveu de notre faiblesse; quand on dit qu'il est un en trois hypostases, on exprime une opinion sur la nature d'un être in

1. «Dictum est tamen tres personæ, non ut aliquid diceretur, sed « ne taceatur. » D. August., de Trinitate, lib. V, cap. x.

compréhensible, et cette opinion est à la fois déterminée et contradictoire. Il n'y a pas de confusion possible entre deux assertions d'une nature aussi différente. Ainsi, par exemple, la religion catholique soutient que Dieu est incompréhensible, et cela est si peu un mystère que l'on donne les raisons de cette incompréhensibilité dans toutes les écoles de théologie; puis elle ajoute que ce Dieu incompréhensible est un et triple, un dans sa substance, triple dans ses personnes, et, pour cette fois, elle n'allègue plus d'autre raison que l'autorité, parce que ce dogme, étant un mystère, ne peut être proposé au nom de la raison, et dépend uniquement de la foi.

Insistons sur cette différence dont on ne sera jamais trop pénétré. La confusion que l'on fait entre ces deux ordres de choses trouble l'idée de la philosophie, et amène une confusion entre la religion et la science. Si je démontre par des raisons irréfragables que ce monde a une cause extérieure à lui, ne serai-je pas obligé de croire à l'existence de cette cause? Et cette obligation cessera-t-elle, si on me démontre que je ne pourrai jamais connaître la nature de cette cause? Évidemment non. Je puis donc croire à une chose que je ne comprends pas. On dit vulgairement : « Je ne crois que ce que je comprends. C'est mal parler; il faut dire : « Je ne crois que ce qui m'est démontré. »

Ainsi pas de difficulté sérieuse pour ce qui concerne l'incompréhensible. Si un raisonnement est in

compréhensible, il est non avenu, il ne prouve rien; mais si un raisonnement est clair, et de nature à entraîner l'assentiment de tout esprit sensé, on ne peut le rejeter sous ce prétexte qu'il a pour effet de démontrer l'existence d'une certaine chose dont nous ne saurons jamais rien, sinon qu'elle existe. Démontrer l'existence d'un être, comprendre la nature de cet être, sont deux opérations entièrement différentes, et le résultat de l'une ne peut pas dépendre de celui de l'autre. Nous croyons, comme tous les rationalistes, que la raison est souveraine; mais nous ne croyons nullement que cette souveraineté soit sans limites. Il n'y a pas, dans l'homme, de faculté qui puisse contrôler la raison; mais il y a dans la nature des réalités que la raison ne peut atteindre.

Voyons maintenant les mystères. Quand la raison est arrivée à sa limite, elle déclare que tout ce qui est au delà est incompréhensible. Cette déclaration ne peut choquer que ces ambitieux qui croient à la possibilité pour des esprits finis de sonder l'infini et de posséder une science infinie. Mais si, au lieu de s'arrêter à cette déclaration, humble il est vrai, sage à coup sûr, de l'impuissance de notre raison, on veut passer outre à la description et à l'explication d'une nature dont l'incompréhensibilité a d'abord été reconnue; si, dans cette explication de l'incompréhensible, on énonce des propositions qui ne sont pas prouvées, qui ne portent pas un sens précis à la pensée, et qui impliquent des contradictions dans les

termes, cette nouvelle doctrine est ce qui constitue proprement le mystère. Elle n'est pas seulement incompréhensible; par-dessus ce caractère, elle en a trois autres : elle est affirmée sans être démontrée; elle n'est pas intelligible dans son énoncé; elle contient une contradiction formelle. De ces trois caractères, le premier et le second font qu'elle est un pur non-être en philosophie; le troisième fait qu'elle est la négation même de la philosophie, puisqu'elle est la négation de l'autorité de la raison. Il suit de là que les mystères ne peuvent être imposés qu'au nom d'une révélation, et admis que par une foi méritoire. La foi philosophique est contrainte et forcée par la vertu de la preuve; il n'y a donc aucun mérite à croire une doctrine philosophique. Mais quand, pour obéir à un précepte religieux, on se contraint à admettre, par un effort de volonté, un dogme qui répugne à la raison, il y a, en effet, du mérite dans ce sacrifice, au point de vue de la religion qui l'impose.

Pour revenir, après ce détour, à la solution alexandrine, disons, pour être justes, qu'elle n'est pas condamnable au même degré que la doctrine d'Aristote ou celle des panthéistes. Si même elle n'avait contre elle que de n'être pas prouvée, on pourrait l'accepter, en dehors de la science, comme une trèsingénieuse hypothèse. Lorsque Platon apercevait, au delà de la science proprement dite, une théorie qui

plaisait à son génie spéculatif, sans être appuyée sur des preuves suffisantes, il n'hésitait pas à la développer, après avoir prévenu qu'il s'élevait dans une région où la philosophie ne pouvait plus le guider. Avec cette réserve, il n'y a plus aucun danger dans ces spéculations hardies; et, semblables à un éclair qui perce un instant le nuage pour nous laisser retomber ensuite dans la nuit, elles peuvent servir d'excitation et d'avertissement à la pensée philosophique.

Par malheur, la théorie des hypostases, en affirmant la coexistence en Dieu de l'immobilité et du mouvement, implique une contradiction dans les termes, et, par conséquent, ne peut pas même être admise à titre d'hypothèse.

Cette solution, souvent reprise par les diverses écoles rationalistes jusqu'au xvII° siècle, ne peut donc nous être d'aucun secours, et l'histoire nous laisse, sans nous rien fournir, en présence de ce problème : Comment Dieu a-t-il pu créer le monde sans cesser d'être immuable?

Faut-il le dire? cette stérilité de l'histoire, cette impuissance de la philosophie ne nous surprennent pas. Il y a deux problèmes dans le problème complexe de la création; l'un, qui se présente le premier : Comment se peut-il que, de rien, le Créateur ait fait quelque chose? et l'autre, qui est celui-même dont nous nous occupons: Comment se fait-il que l'être

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