dispense d'enseigner, comme les athées, que le monde est nécessaire, et, comme les panthéistes, que le monde est Dieu. Enfin, il importe de ne pas perdre de vue la différence qu'il y a entre les divers ordres d'inductions dont se compose le peu que nous savons de la nature de Dieu. Un court résumé est ici indispensable. Toutes les preuves de l'existence de Dieu peuvent se rapporter à deux catégories : les unes partent de l'idée de l'absolu, les autres de la nécessité d'une cause créatrice. En vertu de ces deux ordres de démonstration, nous savons de Dieu deux choses: l'une qu'il est parfait, l'autre qu'il est créateur. Nous savons cela d'une façon certaine, en nous appuyant non sur deux ou trois syllogismes, mais sur la psychologie tout entière, sur la logique, sur la morale, sur toute la philosophie. Ces deux vérités sont l'une et l'autre si solidement établies qu'il n'y rien ni dans la science, ni dans le sens commun, de plus universellement accepté et de plus incontestable. Il est impossible que Dieu soit, s'il n'est parfait; et il est inutile que Dieu soit, s'il n'est créateur. Une fois en possession de ces vérités, dont la certitude est pleine et entière, la science, l'humanité peuvent en déduire tout ce qui importe véritablement au gouvernement et à la consolation de la vie. Si le monde, si l'homme a une cause et une cause parfaite, il n'y a rien qui ne dépende de la volonté de cette cause, rien par conséquent qui n'ait sa règle et sa destinée. L'homme trouve au fond de lui-même l'idée nette, précise, infaillible, nécessaire de sa propre règle. Il la développe, il l'explique, il la commente, en se rendant compte de ses facultés, de ses aptitudes, de sa valeur relative en ce monde, de la place que ses facultés lui assignent au milieu de toutes les créatures, et des transformations qu'il doit subir pour arriver à la pleine possession de son être. Il comprend que cette loi n'a pu être placée en lui que par la main du Créateur. Cette conviction, en rendant la loi plus sainte encore et plus douce, donne à la vertu même le caractère de l'amour, et enlève sa plus grande amertume au sacrifice. Guidé par cette pensée, échauffé par ce sentiment, l'homme est armé contre tous les troubles de l'intelligence et du cœur. Il sait d'où il vient et où il va; il connaît sa route; il se sent soutenu par la main d'un père. Rien ne lui manque pour satisfaire, assouvir ces deux nobles et impérieux besoins de sa nature: adorer et espérer. Tout cet ensemble de faits et de croyances est solide, et paraît suffisant. Une grande partie de l'humanité s'en contente; certaines âmes se sentent comme contraintes de chercher au delà, et, à partir de ce moment, elles entrent dans des régions moins accessibles, où la lumière de la raison devient un guide moins sûr. Ce passage de la science aisée et en quel que sorte infaillible, à une science à la fois plus profonde et moins sûre d'elle-même, doit être scrupuleusement signalé par quiconque aime la vérité comme elle veut être aimée, c'est-à-dire avec ferveur et tremblement. Quand nous savons que Dieu existe, qu'il est parfait, qu'il a créé le monde; et quand nous savons qu'il nous aime et qu'il nous attend, qui donc nous pousse à chercher encore au delà? Un instinct puissant de notre nature, qui est peut-être le premier instrument de la science: la curiosité. Dès que nous savons qu'une chose existe, nous voulons savoir comment elle peut exister. Connaître d'abord, comprendre ensuite telle est la loi qui entraîne notre esprit. De là cette succession d'idées : Dieu est et il est parfait qu'est-ce que la perfection? Il a créé le monde : qu'est-ce que créer? Or il y a l'infini entre ces deux problèmes: connaître qu'une chose existe; comprendre comment elle existe. Connaître qu'une chose existe, c'est posséder le fait; comprendre comment elle existe, c'est pénétrer le secret même de l'existence. On ne peut pas plus confondre ces deux ordres de connaissances, que l'on ne confondrait, par exemple, la science de celui qui lit les heures sur le cadran, et la science du mécanicien qui comprend, explique et reproduit le mouvement de la montre. Disons sur-le-champ, pour amnistier en quelque sorte la curiosité humaine en ce qui touche à la connaissance de Dieu, qu'il est bien difficile de se tenir à ces mots de perfection, de création, de bonheur futur; que la perfection, sans aucun développement, est bien abstraite; elle n'est pas visible, si on peut le dire. Ce Dieu qui nous fait savoir qu'il est parfait, sans nous laisser rien entrevoir de ses perfections, reste trop au-dessus de nous. Il nous étonne sans nous attirer; il nous écrase. Par une conséquence nécessaire, nous ne saisissons pas nettement la nature du bonheur qu'il nous promet, et qui doit évidemment dépendre de ce qu'il est lui-même. Ainsi, notre science est bien étroite, et l'inconnu nous presse de toutes parts. Un Dieu inconnu au-dessus de nos têtes, un bonheur inconnu au delà de la tombe; nous sommes trop petits pour nous contenter de cette parole. Cette science froide ne nous protége pas assez. Voilà comment notre curiosité a son excuse. Cependant, comme il faut être sage, et mettre en pratique le fameux précepte de Socrate : « Connaistoi toi-même,» sur le seuil même de ce monde nouveau, il est juste de nous rappeler qu'en toutes choses, lors même que le fait nous est parfaitement connu, nous ne connaissons qu'imparfaitement le secret; qu'en outre il y a, en grand nombre, des faits familiers, importants, dont le secret nous échappe complétement; que nous nous faisons illusion sur notre ignorance, en prenant des compa raisons pour des explications, semblables au valet de la comédie qui cesse d'avoir peur des mauvaises rencontres, parce qu'il voit une maison qui lui est connue; que, si nous sommes dans cette ignorance et dans cette impuissance pour ce qui est du monde et de nous-mêmes, à plus forte raison devons-nous désespérer de comprendre ce qui est parfait et infini; qu'entre le fini et l'infini il n'y a pas de mesure commune, et même que l'infini n'a pas de mesure; qu'il ne peut être comparé; qu'il échappe à notre esprit, non-seulement parce qu'il le domine, mais parce que les lois de notre esprit n'étant que proportion, comparaison, analogie, mesure, ne s'appliquent plus à ce qui n'a pas d'analogue : d'où il suit que la nature de la perfection, de l'acte créateur, de la félicité promise dans une autre vie sont au-dessus de notre portée. Que faire done? Rester dans nos ténèbres, ou nous jeter dans des spéculations téméraires? Le danger semble égal des deux côtés, soit que l'on se condamne à une aridité qui peut décourager l'amour et même la foi, soit qu'on coure le risque de se jeter dans de fausses abstractions et de se confondre dans ses pensées. Il est à remarquer que toutes les écoles prennent le second parti. Il n'y a de différence que dans le procédé. Les écoles plus essentiellement métaphysiques continuent de développer l'idée de la perfection infinie; et les écoles plus essentiellement |