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La puissance humaine est une dans son principe, triple dans ses manifestations. Vivre, c'est penser, sentir, vouloir.

Qu'est-ce que sentir? Est-ce seulement éprouver des sensations de plaisir et de peine? Ce n'est là que le début de la sensibilité. A ces phénomènes éphémères se rattache quelque chose de plus grand et de plus durable: ce sont nos amours. D'où viennent-ils? Est-ce le monde qui les apporte, ou sortent-ils de notre cœur comme d'un ardent foyer pour se répandre sur ce qui nous entoure? Si l'amour nous venait du dehors, pourquoi le même objet ne serait-il pas partout également aimable? D'où viendraient ces différences entre les âmes froides et les âmes passionnées? Comment pourrait-on comprendre tant de grandes passions allumées par des objets indignes, ou cette magie de l'amour, qui crée dans son objet toutes les beautés qu'il y admire, ou ces âmes nées pour l'amour, qui, ne trouvant rien à aimer, périssent d'un mal inconnu, victimes de leur propre richesse et de la pauvreté de ce monde? La même main qui, dans le germe d'une plante, a déposé la force mystérieuse qui pousse les racines vers la terre, élève la tige audessus du sol et la développe en fleurs et en fruits, a mis au fond de notre âme un amour de l'éternelle beauté qui nous fait tendre vers tout ce qui est bon et tout ce qui est beau, par une secrète et puissante analogie. Quel est-il, cet amour du beau et du

bien, sans lequel nous ne saurions aimer? Quelle est cette beauté vers laquelle tout notre cœur s'élance, et que nous adorons sous ses voiles dans les glorieuses créatures qui la manifestent? N'est-ce pas l'infinie, l'éternelle et la parfaite Beauté? Et cet amour sans bornes n'est-il pas un des liens qui nous rattachent à Dieu ?

A côté de notre faculté de sentir, au-dessus d'elle peut-être, rayonne notre intelligence. Penser, pour les âmes ordinaires, c'est connaître la forme, la dimension et le poids des corps; c'est calculer le degré de force musculaire dont il faut user pour déplacer une masse; c'est prévoir qu'un besoin naîtra sur un point du globe pour y porter au moment précis la marchandise qui va être réclamée; c'est acheter et vendre à propos; c'est mesurer exactement la dépense sur le profit qu'elle rapporte; en un mot, c'est concentrer l'intelligence sur cet unique but: conserver et nourrir le corps. N'allons pas plus loin, ne cherchons pas plus haut: même pour ce but ainsi restreint, quel est le mécanisme de l'intelligence? Ne faut-il pas qu'elle conçoive des lois, des rapports nécessaires entre les choses? Aperçoit-elle ces rapports dans les choses mêmes, le nécessaire dans le contingent, le droit dans le fait, la loi dans ce qui la subit? S'il est vrai que le monde visible ne contient pas la loi, voilà déjà comme une première intuition du monde invisible. Mais marchons vers

lui par un autre chemin. Considérons les objets qui nous entourent, cet horizon étroit où nous étouffons. Nous ne touchons que ce qui est tout près de nous, ce qui est, comme on dit, à notre portée; nous ne voyons distinctement qu'à vingt pas; à une certaine distance, tout disparaît, tout nous échappe. Hâtons-nous de fuir cette prison, puisque nous avons le pouvoir de nous déplacer, péniblement et lentement par nos moyens naturels, très-rapidement par le secours des machines; faisons, pour jouir de l'espace, mille lieues, deux mille lieues, le tour du globe: nous introduirons ainsi dans notre esprit la conception d'espaces considérables que nous ne pouvons voir que successivement, mais que nous concevons par une idée unique. Au fond, nous n'avons pas même besoin de nous déplacer pour concevoir toutes ces étendues; l'imagination nous suffit, et nous pouvons par son secours nous représenter comme dans un rêve la grandeur de toute la terre. Mais ce n'est rien encore que la terre, quoiqu'une vie d'homme suffise à peine à en faire le tour; nous savons qu'elle est elle-même un atome dans l'immensité. Eh bien! voyageons par la pensée d'étoile en étoile; figurons-nous ces grands corps, aussi vastes que la terre, séparés par des espaces sans fin, et plus nombreux que les sables de la mer : quand nous aurons ainsi accumulé toutes ces grandeurs et tous ces nombres, épuisé pour les indiquer les ressources de la langue et les vertus du chiffre, nous

sentirons encore une force qui nous pousse en avant, au delà du réel, au delà du possible, au delà de l'imaginaire. Qu'en faut-il conclure? Qu'il nous est impossible de concevoir un espace qui ne soit contenu par un autre. Et d'où vient cette impossibilité? Est-ce l'étendue bornée que nous concevons qui introduit cette impossibilité dans notre esprit? Est-ce cet atome qui apporte avec lui cette immensité? N'y a-t-il pas là quelque chose qui vient de notre fonds, et qui, loin de résulter de la donnée des sens, la contredit? Si nous quittons l'espace pour la durée, nous trouvons au bout de notre analyse une conclusion identique. Si du temps et de l'espace nous passons au mouvement, ou à la multiplicité, nous retrouvons le même progrès à l'infini, la même nécessité de concevoir quelque chose qui dépasse les données des sens et les forces de notre imagination. Nous appelons ce quelque chose de différents noms, suivant le chemin qui nous a conduits vers lui: l'immensité, si nous sommes partis de l'espace; ou l'éternité, si c'est le temps que nous avons voulu épuiser; ou l'immuable, si nous avons songé au mouvement; ou l'unité, si c'est au multiple. Mais cette immensité, et cette éternité, et cette immutabilité, ce n'est, sous tant de noms, qu'une idée unique, l'idée de l'infini. Examinons-la en ellemême, demandons-lui ce qu'elle enveloppe; nous la trouverons toujours nécessaire, entière, indivisible, tandis que le monde est contingent, variable, mo

bile, enfermé de toutes parts dans d'étroites limites Comment ne pas être frappé de la constante opposition de ces deux idées? Comment ne pas conclure qu'il y a en effet une idée que n'expliquent ni le monde, ni les facultés par lesquelles nous analysons le monde, et que cette idée est l'idée de l'infini, que l'infini seul peut produire1?

La liberté humaine, étudiée dans son fond, nous mène droit à la conception de l'infini. Qu'est-ce que la liberté? Le pouvoir de faire ou de ne pas faire. C'est par elle qu'au lieu d'être menés, comme le reste du monde, nous sommes maîtres et responsables de nos destinées grand privilége, qui nous soumet le présent, et nous répond de l'avenir. Cependant cette liberté peut-elle subsister sans règle? La liberté sans règle ne grandit pas celui qui la possède : elle le dégrade. Seuls dans le monde, nous n'aurions pas de loi nous ne serions qu'une chose vaine et légère, indifférente à l'ordre et au plan de l'univers. La liberté ne nous est pas. donnée pour nous soustraire à la loi, mais pour lui obéir en connaissance de cause. Voilà sa force et la nôtre. Livrée à ellemême, elle nous détruit; soumise à une loi et à une loi immuable, elle est l'instrument et la marque de notre grandeur. Quelle est cette loi? D'où vient-elle?

1. « Insinuavit nobis Christus animam humanam et mentem ra<<tionalem non vegetari, non beatificari, non illuminari, nisi ab << ipsa substantia Dei. » D. Augustinus, In Joann., tract. 23.

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