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poétique que cette conception qui nous fait voyager d'étoile en étoile. L'imagination peut se donner carrière, et supposer, dans chaque planète, des corps doués des propriétés les plus merveilleuses et servis par les organes les plus parfaits, et des sociétés dont l'organisation laisse bien loin derrière elle nos sociétés humaines. C'est véritablement dans cette hypothèse que l'homme peut se croire le roi de la création. Au lieu d'être relégué pour toujours sur ce globe terrestre qui n'est qu'un atome, le ciel étoilé est à lui. Lorsque le soir le soleil descend à l'horizon, et qu'au milieu du silence de la nature on regarde à travers une douce et tranquille clarté ces clous d'or qui étincellent sur le bleu du firmament, on peut se demander où est le monde qu'on habitera d'abord, après avoir dépouillé l'enveloppe mortelle qui nous couvre, et quel est celui où respirent, affranchis et puissants, ceux que nous avons pleurés, dont nous gardons les cendres enfermées dans des tombeaux, et qui, du ciel où ils sont montés, prennent en pitié nos ignorances et nos misères.

Sub pedibusque videt nubes et sidera.

Malheureusement, il ne suffit pas qu'une hypothèse soit brillante et séduise l'imagination. Si on ne l'appuie pas sur des preuves solides, elle reste à l'état de rêve, et ne peut entrer dans la science. On nous dit que nos âmes ont déjà vécu, avant d'habiter le corps dont elles se servent aujourd'hui; que cette existence

antérieure est nécessaire pour expliquer l'inégalité de nos aptitudes et de nos fortunes, et que si notre vie actuelle a été précédée d'une ou de plusieurs autres, il est naturel de ne la considérer que comme un anneau intermédiaire dans une série de transformations. Nous n'avons pas besoin de discuter la force de cette induction, car nous ne saurions admettre le principe sur lequel elle repose. Il est très-vrai que la somme des biens et des maux n'est pas également répartie entre les hommes, et qu'il est très-difficile de concilier cette inégalité avec la justice de Dieu. Mais ce qui serait bien plus difficile encore, ou plutôt ce qui serait absolument impossible, ce serait d'admettre que Dieu nous punisse en cette vie de fautes dont nous aurions perdu le souvenir. Il n'y a aucune solidarité entre ma vie actuelle, et ces vies antérieures dont je ne retrouve en moi aucune trace. Dans cette ignorance invincible où je suis de mon ancienne condition et de mes anciennes fautes, je ne puis me soumettre à un châtiment et l'accepter comme légitime. C'est un tyran qui punit ainsi, et non un père. C'est parce que la punition ne peut être séparée du souvenir de la faute commise, que je suis assuré de ressusciter avec la pleine et entière conscience de mon identité. Si l'on abandonne ce principe, dont l'évidence n'est plus contestée dans l'application de la justice humaine, il faut avouer que la vie à venir sera comme les vies antérieures séparée de celle-ci par des abîmes infranchissables, et que l'immortalité promise n'est que

l'immortalité de la substance, non de la personne. Aussitôt les deux plus grands dogmes de la philosophie morale périssent; car d'un côté le principe du mérite et du démérite est faussé, de l'autre l'immortalité, sans la conscience et le souvenir, devient inutile et indifférente. Enfin, s'il faut encore ajouter cela, la doctrine qui transforme les biens et les maux de la vie actuelle en récompenses et en châtiments, détruit les sources de la charité, en ne nous faisant plus voir dans les malheureux que des coupables. Le principe des vies antérieures est donc faux, et ne peut servir d'argument pour la théorie des migrations futures.

On tire une autre preuve, en faveur de la métempsycose, de la brièveté de cette vie humaine. Une épreuve si courte ne saurait, dit-on, être décisive; elle ne peut suffire à la justice de Dieu. Mais qu'appelle-t-on la brièveté de l'épreuve? A quoi la comparet-on? Si c'est à l'éternité, une pareille comparaison n'a pas de sens. On peut rendre la vie mortelle cent fois plus longue sans changer son rapport avec la vie éternelle'. Ainsi l'épreuve est complète en une courte vie. Il est vrai, nous le reconnaissons, que les conditions de l'épreuve ne sont pas égales pour tous les hommes; mais que peut-on conclure de ce fait pour la vie à venir, sinon que le jugement de Dieu tiendra

1. « Undecumque ex æquo ad coelum erigitur acies, paribus in<< tervallis omnia divina ab omnibus humanis distant. » Seneca, Consolatio ad Helviam, cap. IX.

compte exact et scrupuleux de toutes les circonstances? Nous savons que chacun sera puni et récompensé selon ses œuvres. L'inégalité de l'épreuve sera compensée par l'inégalité de la récompense ou de la peine. Voilà ce que nous pouvons affirmer, parce que cela ressort de la notion de la justice : le reste n'est qu'une conjecture sans preuve et sans vraisemblance.

Mais, nous dit-on, pourquoi le coupable ne pourrait-il, en subissant sa peine, satisfaire par son repentir à la justice divine, et mériter un pardon plus prompt et plus complet? Et qui nous empêche, si le temps de la peine devient ainsi une seconde épreuve, de supposer, même dans le juste, le pouvoir de mériter encore, et d'arriver par un plus grand mérite à une récompense supérieure? Notre réponse sera bien simple. On demande s'il est impossible que, pendant la durée du châtiment, le coupable mérite un pardon? Non, cela ne paraît pas impossible. Est-ce à dire que cela soit? Nul ne peut, sur un tel sujet, faire autre chose que des conjectures. Hors de la proportionnalité des peines, tout devient conjectural. Qu'est-ce donc que cette théorie de la métempsycose, sinon une conjecture fondée sur des conjectures? Ajoutons qu'il n'est pas exact de dire que, si le pécheur peut obtenir un adoucissement à sa peine, il s'ensuit que le juste doit obtenir un accroissement de bonheur. On tenterait en vain d'établir un parallélisme entre le châtiment et la récompense, et la justice peut être tempérée par la miséricorde, sans qu'il

en résulte pour les élus aucun droit à une félicité plus parfaite.

On nous dit à la vérité qu'en vertu des principes sur lesquels repose la croyance à l'immortalité de l'âme, l'homme doit ressusciter tout entier, et se retrouver dans un autre monde avec la même intelligence, le même cœur, la même liberté. S'il est libre après cette vie, nous dit-on, il doit exercer la liberté dans les conditions où la liberté s'exerce, c'est-à-dire avec chance de mérite et de démérite; il est donc encore dans l'épreuve; il a donc à espérer ou à craindre. Ce raisonnement est fondé sur ce point, que l'action est nécessairement partout et dans tous les êtres ce qu'elle est en nous ici-bas. Qui le prouve? Qui prouve même que l'action, l'action limitée, variée, diverse, soit nécessaire à la liberté? De ce que l'homme ne peut être libre qu'à la condition de pouvoir faillir, s'ensuit-il que la liberté, dans son essence absolue, implique la possibilité de la faute? Pour soutenir une pareille doctrine, il faudrait dire ou que Dieu peut faire le mal, ou que Dieu n'est pas libre. S'il est évident que la liberté et l'infaillibilité appartiennent également à la nature de Dieu, il en résulte que la possibilité de faillir n'est pas comprise dans l'essence de la liberté. Qu'y a-t-il donc encore une fois de solide dans ces preuves accumulées, qui ne reposent que sur des données ou fausses ou conjecturales?

Enfin, on veut nous persuader que nous ne saurions être heureux dans le ciel, si nous n'y avons

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