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pour leur croyance, et laissant après eux le monde vaincu et transformé. Il ne s'agit plus aujourd'hui que d'un enseignement pacifique, d'un apostolat sans péril. Dans cette phase nouvelle, l'Église et surtout l'Église catholique a conservé ses apôtres. Le prêtre parle au nom de Dieu avec autorité. Il s'appuie sur la tradition, sur un livre sacré, sur l'Église dont il est le ministre. Il a reçu une consécration; il s'assoit dans une chaire qu'entoure la majesté de la religion, il parle dans un temple où la Divinité semble plus présente. La grandeur de sa situation, le dévouement dont elle est la preuve, les sacrifices qu'elle impose, l'habit qu'il porte lui tiennent, s'il le faut, lieu de talent. Il parle au cœur et à l'imagination plutôt qu'à la raison; et le cœur et l'imagination sont plus forts que la raison pour entraîner les hommes. Tout lui vient en aide la pompe extérieure du culte, ou même parfois, sa misère, car la pensée religieuse s'exalte dans un temple comme par une force naturelle, et une église de village parle aussi haut qu'une basilique. On le tient quitte le plus souvent de prouver et de discuter, il parle à un auditoire convaincu d'avance qui ne demande qu'à être éclairé et consolé. Les femmes se pressent autour de sa chaire avec une confiance sans bornes; il n'est occupé qu'à les retenir, car il est dans leur nature d'aimer et de rêver. Elles lui apportent leurs enfants pour qu'il leur donne les premières notions de religion et de morale. On l'appelle dans l'intérieur des familles comme un

consolateur, comme un maître. Il est admis jusque dans les intérieurs d'où la foi est absente. La coutume, une sorte de bienséance passée dans les mœurs, le rend nécessaire, même au chevet de l'athée. S'il publie un livre, son nom seul, et son titre de prêtre, le recommandent à tous les fidèles. Il peut, sans crainte, attaquer la doctrine de ceux qui ne partagent pas sa foi. Pourvu que la charité ne soit pas blessée, cette attaque est une preuve de zèle dont tout le monde le loue avec raison. L'auteur blàmé ne lui répond, s'il l'ose faire, qu'avec respect et timidité; il atténue, il enveloppe sa pensée, il demande grâce; avec ces précautions, il n'est pas sûr de ne pas courir quelque péril, parce que la loi protége contre la liberté des écrivains tous les cultes autorisés. Dans la religion catholique, l'usage de la confession auriculaire centuple la force du corps sacerdotal. Un enfant est né; on le baptise. Il commence à penser; on le catéchise, on l'admet à la sainte table. L'homme, pour se marier, va s'agenouiller aux pieds du prêtre. Moribond, il trouve un prêtre à son chevet. Mort, on le porte à l'église, on l'ensevelit en terre sainte.

Mais qu'est-ce qu'un philosophe? C'est un homme qui a tout juste autant d'autorité que lui en donne son talent. Il ne va pas vous prendre dans votre demeure; il n'est il n'est pas associé aux joies et aux misères des familles; il n'a de rôle officiel nulle part. Il écrit une page sans savoir qui la lira, ni si elle sera lue. Il traite les sujets les plus difficiles, souvent les plus ingrats,

et ne peut être compris que par des intelligences trèsexercées; cependant le premier venu le juge sans appel. Il n'échappe ni à la calomnie, ni au dédain, ni, selon les temps, à la persécution. Il s'estime heureux, s'il obtient, d'un petit nombre d'oisifs, une attention distraite. Le public l'ignore, les lettrés le raillent, les autres philosophes le discutent sans justice; presque personne ne le comprend, parce que personne ne se donne la peine nécessaire pour le comprendre. Lui-même travaille sans relâche pour édifier un système dont il n'est jamais entièrement satisfait. Tantôt il ne trouve pas la vérité, tantôt, l'ayant trouvée, il ne peut l'exprimer clairement. Sa vie n'est qu'une lutte pénible contre la passion et l'erreur. Plus il aime l'humanité et la vérité, plus il souffre de son impuissance et de son isolement. C'est sa grandeur qui fait son supplice.

Cependant, quels que soient les obstacles dont la voie du philosophe est semée, il y a quelque chose qui combat pour la philosophie; c'est la force de la liberté et de la vérité, force invincible, contre laquelle rien ne prévaut. On a beau étouffer la science, fermer les écoles, interdire les chaires, brûler les livres. La persécution même est un enseignement. On ne sait si la pleine et absolue liberté de tout dire porte mieux et plus loin une doctrine. Les discussions métaphysiques sont pour les savants et ne passent pas le seuil des écoles; mais quand il se dégage de leurs disputes une seule vérité, elle va, quoi qu'on fasse

d'ailleurs, à son adresse, c'est-à-dire au peuple. Il est possible qu'elle ne chemine pas vite, mais elle avance sourdement, infailliblement, jusqu'à ce que tout le monde soit convaincu, et que le paradoxe d'hier devienne la vérité d'aujourd'hui. Qu'est-ce que le sens commun, sinon une masse d'opinions évidentes, que l'éducation fait entrer en nous, et qui font, pour ainsi parler, partie de notre substance? Et pourquoi le sens commun se compose-t-il, à chaque siècle, d'un plus grand nombre de vérités nouvelles ? C'est parce qu'il y a des hommes inconnus, dédaignés, qui déposent, dans des livres qu'on ne lit pas, une vérité au milieu peut-être de beaucoup d'erreurs : Le temps emporte l'erreur, et l'humanité hérite du

reste.

Quand Descartes écrivit, au commencement du xvIe siècle, cette phrase célèbre : « Ne rien recevoir en sa créance, qui ne paraisse clairement et évidemment être vrai,» il ne fit d'émotion que parmi les lettrés. Un siècle après, sa doctrine, malgré sa force, était momentanément oubliée; mais cette phrase était restée; ce principe était devenu la foi commune de tout ce qu'il y avait d'ardent et d'agissant dans le monde; il engendra d'abord l'Encyclopédie, et l'Encyclopédie engendra la Révolution. Le Code, qui promulgua pour la première fois la Liberté et l'Égalité, n'est qu'une consécration légale du principe de la philosophie cartésienne. L'histoire d'un siècle n'est que le développement d'une idée.

Il y a donc aussi un apostolat de la science; et il n'est pas nécessaire, pour l'exercer, d'être un homme de génie. Tout ce qui se fait en ce monde pour déraciner les préjugés, pour répandre l'instruction, pour donner aux hommes le goût et l'intelligence de la liberté, profite à la philosophie. C'est un devoir, quand on croit posséder une portion de la vérité, d'essayer de la répandre, de se consacrer à son service, de tenir pour rien les intérêts personnels, l'ambition, la vanité; de persévérer sans jamais faiblir, sans jamais reculer; d'honorer soi-même sa doctrine, de lui rendre témoignage par sa conduite, de s'identifier avec la cause qu'on a embrassée, et de se tenir toujours prêt à la soutenir, à la défendre, à se sacrifier pour elle. A défaut d'autre consécration, que la noblesse morale soit le sceau de l'apostolat philosophique. Un cœur droit est le premier organe de la vérité. C'est descendre au rang de sophiste, que de disputer sur le vrai et le bien sans croyance véritable; mais les chercher avec passion, les enseigner avec respect et tremblement, c'est faire l'œuvre d'un homme et d'un philosophe. Quelle que soit la faiblesse d'une intelligence, Dieu doit bénir et féconder des efforts qui n'ont que la vérité pour objet, et ne cherchent pas d'autre récompense.

Remettons-nous sous les yeux, avant de clore ces pages, les principaux dogmes de la religion naturelle, et les principaux préceptes du culte. Un Dieu tout

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