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raison, de ne pas choquer les habitudes du vulgaire, d'écarter le mystérieux, de rendre compte de tout, de définir, et, en quelque sorte, de mesurer tout. Or, un Dieu compréhensible était nécessairement un Dieu humain. On le comprendra par un exemple. Que savons-nous du corps? qu'il est figuré, coloré, pesant, sapide, sonore. Nous connaissons ses formes par la vue et par le toucher, sa sonorité par l'ouïe, etc. Pouvons-nous affirmer qu'il n'ait pas d'autres qualités que celles que nous connaissons? Comment le pourrions-nous? Est-il impossible qu'il ait même de certaines qualités imperceptibles à nos sens? Cela n'est pas impossible. Si ces qualités existent, pouvonsnous nous en faire une idée, ou, en d'autres termes, pouvons-nous les comprendre? Il est clair que nous ne comprenons que les idées puisées dans notre expérience interne ou externe, ou les idées formées à l'aide de celles-là. Quant aux qualités qui ne tombent pas sous les sens, nous nous abstenons de les affirmer, parce que nous ne saurions ni les prouver ni les comprendre; nous sommes à leur égard comme un aveugle à l'égard des couleurs, comme un sourd à l'égard d'un son. Si donc les attributs de Dieu diffèrent de nos facultés, non par le degré, mais par la nature, nous ne saurions comprendre Dieu; ce que les rationalistes mêmes de la fin du xvIII° siècle ne voulaient pas admettre. Ils ont donc fait un Dieu humain pour le rendre compréhensible. Ils ont donné ainsi raison aux matérialistes plus logiciens qu'eux dans leurs

négations. Dès qu'ils ont abaissé Dieu au point de le rendre impuissant et inutile, ils ont été désarmés devant l'athéisme. Ils n'ont pas compris que l'infinitude ne pouvait être analogue à son contraire, c'està dire à ce qui est fini. Ils n'ont pas vu que si les formules scientifiques étaient également vraies pour le fini et pour l'infini, il s'ensuivait qu'elles étaient fausses.

Il fallait aux philosophes un principe pour établir l'analogie de Dieu avec l'homme, et voici celui qu'ils ont mis en honneur, et qui se répète encore avec assurance dans les écoles les plus autorisées : il faut bien, disent-ils, qu'il y ait dans la cause tout ce qui est dans l'effet. Ce principe est de toute fausseté; aussi en ont-ils tiré de tristes conséquences. Ils ont été jusqu'à soutenir que la matière était en Dieu et faisait partie de son être, parce qu'en effet il est l'auteur de la matière. Ils ont écarté seulement de la nature de Dieu l'imperfection et le mal, parce qu'il permet le mal, disent-ils, sans le faire, et que l'imperfection résulte, dans les êtres produits, de leur qualité d'êtres produits et non de l'acte par lequel leur cause les produit. Cette distinction est bien subtile pour des théologiens qui se font gloire de courtiser le sens commun. Ils sont bien hardis de faire ainsi le discernement de ce qui nous vient de notre auteur et de ce qui nous vient de notre qualité d'êtres créés. Ils font là, sans s'en apercevoir, de la

métaphysique la plus aventureuse et la plus nuageuse; mais ils sont condamnés par leurs principes à la faire ou à tomber dans le panthéisme. Et, au fond, comment auraient-ils échappé au panthéisme, après avoir assez abaissé Dieu pour que l'intelligence humaine pût le comprendre?

La vérité est que leur principe ne vaut rien. Il n'est pas vrai que tout ce qui est dans l'effet soit dans la cause; il est vrai seulement que la cause a une puissance égale ou supérieure à l'effet, et cela est bien différent. Dieu, étant la cause de l'homme, ne peut pas être moins parfait que l'homme, voilà qui est certain; Dieu, étant la cause du monde, ne peut pas être inférieur au monde en perfection, voilà qui est incontestable. En conclure que Dieu ressemble à l'homme ou ressemble au monde, voilà l'erreur, voilà l'absurde. Nous serions bien avancés vraiment d'avoir prouvé que Dieu est simplement supérieur à l'homme! Il faut prouver qu'il est infini,

ou se taire.

Ne craignons pas d'insister ici sur la différence du fini et de l'infini; car c'est le fondement principal du dogme de l'incompréhensibilité, et ce sera plus tard la base de la réfutation du panthéisme.

Dans toutes les écoles de philosophie où l'on admet l'existence de Dieu, et dans les écoles où l'on apprend à lire aux petits enfants, on dit de Dieu qu'il est éternel et infini.

En disant qu'il est éternel, on veut faire entendre qu'il n'a pas eu de commencement et qu'il n'aura pas de fin; en disant qu'il est infini, on veut signifier qu'il n'est renfermé dans aucune limite.

Ces deux définitions paraissent claires au premier abord, et pourtant elles ne le sont pas. Elles ont l'inconvénient de procéder par négations.

Il nous est impossible d'échapper à cet inconvénient, et en voici la raison : c'est que nous connaissons et que nous comprenons le fini, tandis que nous connaissons l'infini sans le comprendre. Il en résulte que nous pouvons dire ce qu'il n'est pas, et qu'il nous est impossible de dire ce qu'il est.

Les matérialistes ont conclu de ce fait que l'idée d'infini était une idée négative.

Les rationalistes ont bien compris que nier une négation, c'est affirmer, et que par conséquent l'idée d'infini est une idée positive, et l'idée de fini une idée négative1; mais, dans leur imprudent désir de tout ramener au niveau humain, plusieurs d'entre eux ont soutenu que n'être contenu dans aucune limite, c'est être infini dans l'espace; que n'avoir ni commencement ni fin, c'est être infini dans le temps.

Cette confusion a eu pour résultat de les tromper à la fois sur la nature de l'infini et sur celle du fini.

1. « Il n'est pas vrai que nous concevions l'infini par la négation du fini, vu qu'au contraire toute limitation contient de soi la négation de l'infini. » Descartes, Réponse aux cinquièmes objections (contre la troisième Méditation, § 4).

N'être contenu dans aucune limite, ce n'est pas être infini dans l'espace, c'est être en dehors de l'espace.

Être sans commencement ni fin, ce n'est pas être infini dans le temps, c'est être en dehors du temps. Nous disons que Dieu n'est ni dans le temps ni dans l'espace; c'est pour cela qu'il est éternel et infini, et pour cela aussi qu'il est incompréhensible.

Dieu, en dehors du temps et de l'espace, est incompréhensible. Dieu, infini dans le temps et dans l'espace, est contradictoire.

La doctrine que nous soutenons admet un Dieu supérieur à la raison; celle que nous allons réfuter admet un Dieu contradictoire.

Si notre doctrine est vraie, il s'ensuit que la raison est limitée; si la doctrine de nos adversaires est vraie, il s'ensuit que la raison est impuissante.

Toute la difficulté est de se résoudre à admettre que quelque être puisse exister en dehors du temps et de l'espace. Nous espérons montrer que cela est possible, en établissant que le temps et l'espace n'ont de réalité, et ne sont que l'ordre des relations des êtres finis entre eux; et nous prouverons que cela est nécessaire en établissant que l'éternité du temps et l'infinitude de l'espace sont des contradictions dans les termes.

pas

Examinons d'abord le temps et l'espace, et efforçons-nous d'en déterminer la nature.

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