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d'une aiguille; ils sont bâtis sur le néant. Ce fameux dilemme : Si la monade, ou le point, est étendue, il y a de l'étendue indivisible; si le point n'est pas étendue, deux points non étendus forment une étendue; ce fameux dilemme ne peut évidemment embarrasser que ceux qui prennent l'étendue pour quelque chose. Mais, pour qui raisonne sur l'être et non sur le vide, il n'y a pas plus de difficulté à comprendre cela, qu'il n'y en a à comprendre que deux ne soit pas un, et qu'un ne soit pas deux, ou à comprendre qu'un rapport résulte de deux termes.

Il est très-vrai que nous ne connaissons point la monade dans la nature des choses. Nous la concevons d'une façon abstraite, et nous ne pouvons ni l'apercevoir, ni même nous la figurer. Nous ne pouvons nous la figurer, parce que toute figure est une étendue; et nous ne pouvons la percevoir, parce que nos sens sont des étendues dont la nature est de percevoir seulement des étendues. Pourquoi ne percevons-nous que des étendues? C'est-à-dire, pourquoi sommes-nous ainsi faits? Voilà ce que nous ne savons pas. Ces sortes de secrets nous sont impénétrables. Remarquons seulement que c'est l'étendue, et non la monade, qui est difficile à comprendre. Mais enfin, comprise ou non, l'étendue existe; nous la constatons, nous la mesurons, et cela suffit, pourvu qu'après l'avoir abstraite du corps par la pensée, nous ne l'érigions pas arbitrairement en réalité physique.

Comme on fait des difficultés à perte de vue sur

la divisibilité à l'infini, on en fait sans plus de raison sur la multiplication à l'infini, et voici comment: l'Europe, dit-on, est plus grande que la France, le globe terrestre plus grand que l'Europe, et tout cela n'est qu'un atome dans l'univers; mais quelle est la grandeur de l'univers? S'il est limité, mille difficultés se présentent : pourquoi n'est-il pas plus grand? qu'y a-t-il en dehors de lui? etc. Et s'il n'est pas limité, il est infini alors l'infinitude est composée de la totalité des êtres finis, ce qui engendre des difficultés non moins inextricables.

Voici comment nous croyons qu'on peut répondre : Il n'y a rien en dehors du tout, par l'excellente raison que quelque chose en dehors du tout est une contradiction dans les termes. Si l'on est porté à faire cette question absurde, c'est par suite de l'habitude contractée de parler du vide comme s'il était. Or il n'est point; car l'espace n'est qu'un rapport et n'est pas un être. En outre, le tout ne pouvait pas être plus grand; et il ne pouvait pas non plus être plus petit; et cela, parce qu'il n'est ni grand ni petit. En effet, puisqu'il est le tout, il est seul de son espèce, et ne peut être comparé à rien. L'espace n'étant qu'un rapport, le tout n'a que faire avec l'espace. L'espace est en lui, mais lui n'est pas dans l'espace. On peut, si l'on veut, dire du tout, qu'il est grand, parce qu'il contient toutes les grandeurs; mais c'est mal parler. Notre langue n'est pas faite pour ce qui est solitaire; elle procède toujours par

rapprochements, par classes. Ce qui est solitaire ne se classe pas, et peut à peine se nommer.

Faisons, pour nous en convaincre de plus en plus, quelques hypothèses. Une coquille de noix est plus petite que le monde, puisque le monde la contient. Supposons que Dieu, par un acte de sa volonté, anéantisse le monde, à l'exception d'une coquille de noix; et que, par un second acte de sa volonté, il crée de nouveau le monde, avec tous ses soleils, dans l'intérieur de cette coquille, en mettant partout les mêmes rapports que dans le monde détruit le nouveau monde sera-t-il plus petit que l'ancien? Oui, pour quiconque connaît la coquille de noix, parce qu'il a un terme de comparaison; mais, pour quiconque ne la connaît pas, les deux mondes ont des dimensions égales'.

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Quand on demande si le monde est infini, on abuse évidemment de ce mot d'infinitude. Infini veut dire parfait, et non pas immense. Demande-t-on si le monde est parfait? Outre que la question est absurde, elle n'a aucun rapport avec les dimensions du monde et avec l'espace. Demande-t-on si le monde est incommensurable? Oui, certes, il est incommensurable, puisqu'il n'y a rien en dehors de lui avec quoi on puisse le comparer.

Cette affaire des mesures est encore une de nos il

1. Cf. Malebranche, Entretiens sur la métaphysique, neuvième entretien, $7.

lusions. Nous ne nous apercevons pas que le mesurage n'est qu'un artifice de logique dont nous nous servons pour donner aux corps une sorte de solidité et de consistance, nécessaire aux opérations que notre pensée fait sur eux. La mesure du temps et la mesure de la durée sont des définitions sans lesquelles il n'y aurait ni histoire ni géographie; mais ces définitions mêmes prouvent bien que le temps et l'espace n'ont que la valeur d'une proportion dont on peut faire varier les termes à volonté. La proportion est fixe, et la valeur des termes arbitraire. Nous prenons pour type une étendue quelconque, et nous nous en servons pour mesurer toute étendue et toute durée : l'étendue, en portant le type sur toute la surface de l'objet à mesurer autant de fois qu'elle le contient; la durée, au moyen d'une aiguille mue mécaniquement et qui parcourt des étendues égales en des temps égaux. Grâce à ces procédés, toutes les comparaisons que nous faisons ont une précision mathématique. Nous savons si une durée, si une étendue est plus longue qu'une autre; mais si nous voulons dire absolument qu'elle est petite ou longue, sans la comparer, nous sentons notre impuissance, et nous ne disons plus rien d'intelligible.

Ainsi un myriamètre est certes plus long qu'un kilomètre; mais est-il long, est-il petit? Personne ne le sait; cela dépend de la mesure à laquelle on le compare. C'est un long trajet pour le faire à pied, et un trajet fort court pour le faire à cheval; en chemin

de fer, ce n'est plus rien du tout. Les longueurs au point de vue de la locomotion, qu'on appelle plutôt les distances, ont absolument changé de signification depuis un demi-siècle. Cent lieues de distance voulaient dire, il y a deux cents ans, huit jours de marche; il y a cinquante ans, trois jours; cela veut dire aujourd'hui dix heures. C'est comme les monnaies qui gardent leurs noms et leurs formes en changeant de valeur. « La cassette était-elle grande? dit Harpagon. Oui, répond maître Jacques. Non, ma cassette était petite. Elle est petite aussi, si vous la prenez par là. » Et en effet, tout dépend de la manière dont vous la prendrez. Tout l'être de l'espace et du temps n'est que le grand ou le petit ; et le grand et le petit ne sont rien, si ce n'est par comparaison.

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Le roman de Gulliver, destiné surtout à nous montrer la vanité des choses humaines, est fort bon aussi pour nous apprendre le peu que valent nos unités de grandeur, et par conséquent nos grandeurs. Suivant les organes du spectateur, et même, ce qui est plus significatif encore, suivant la puissance dont il dispose, le monde s'agrandit ou se rapetisse. La Fontaine lui-même, en nous racontant les pensées des bêtes, nous apprend cette métaphysique. La fourmi, à force de travailler, achève sur un brin d'herbe le trajet d'un océan qui n'a que deux pieds de large. Qui nous dit qu'elle-même n'est pas un colosse pour quelque animal qui regarde ce voyage avec admiration? Pour la durée, elle est si peu de chose, que nous perdrions

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