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exception, que pour transformer en dogme philosophique une croyance irréfléchie et spontanée. Certaines âmes éprouvent le besoin de raisonner leurs croyances, de les contrôler, d'en approfondir en quelque sorte la teneur, d'en développer toutes les conséquences, de les dégager de ce qui peut rester en elles d'obscur, d'incertain, de paradoxal; et sur ce besoin légitime, impérieux, repose la philosophie.

Depuis Platon, qui a démontré l'existence de Dieu dans le Timée et dans les Lois1, et Aristote, qui l'a démontrée dans le XII livre de la Métaphysique, les écoles se sont transmis l'une à l'autre un certain nombre d'arguments en forme, que l'on a successivement améliorés, et qui, renouvelés, pour ainsi dire, par Descartes et Leibnitz, sont encore aujourd'hui le fond de l'enseignement. Nous passerons en revue les plus célèbres, quoiqu'ils aient surtout, à nos yeux, une importance historique, et que nous cherchions ailleurs la démonstration philosophique de l'existence de Dieu. Ce n'est pas, tant s'en faut, que nous méconnaissions la force des arguments de Descartes et de Leibnitz; mais ces arguments si vite parcourus, pour arriver à une conclusion de cet

1. «< Comment peut-on sans indignation se voir réduit à prouver l'existence des dieux? On ne saurait s'empêcher de voir avec colère, de haïr même ceux qui ont été et sont encore aujourd'hui la cause qui nous y force. » Platon, Lois, liv. X (trad. de M. Cousin, t. VIII, p. 218).

ordre, ont quelque chose de peu rassurant. On a beau en reconnaître la solidité, l'esprit se sent intimidé et arrêté par la grandeur du résultat. Il lui faut un chemin plus long, plus de temps pour rassembler ses forces et pour s'accoutumer aux splendeurs de la majesté divine. Nous croyons, par un invincible instinct, à l'existence de Dieu; mais, pour établir scientifiquement notre croyance, ce n'est pas trop de la science humaine tout entière1.

Lorsque Descartes entreprit de faire une démonstration en règle de l'existence de Dieu, il y était forcé par la situation où il s'était mis volontairement. Afin de chasser de son esprit tous les préjugés contradictoires que l'éducation y avait fait entrer, et de ne plus admettre aucune opinion dont il ne connût exactement l'origine et la valeur, il avait fait table rase dans sa pensée, et renoncé à toutes ses croyances sans exception. Ce scepticisme, qui n'avait pas pour but de cesser de croire, mais de commencer à croire avec plus de raison et d'autorité, est ce que l'on a appelé le doute méthodique. Descartes en sortit par cette remarque, qu'il pouvait douter de

1. «Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes, et si impliquées, qu'elles frappent peu, et quand cela servirait à quelques-uns, ce ne serait que pendant l'instant qu'ils voient cette démonstration; mais une heure après, ils craignent de s'être trompés. » Pascal, Pensées, art. 10; édit. Havet, p. 156..

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tout, hormis de son doute, et par conséquent de sa pensée et de son être. Saint Augustin, avant lui, avait dit précisément la même chose : « Je suis sûr de mon existence, dit-il dans la Cité de Dieu; et en cela, je ne crains pas qu'on m'accuse de me tromper, car, même pour se tromper, il faut être1. Une fois en possession de sa propre existence, Descartes se demande ce qu'il est, et il répond qu'il est un être pensant. Cette réflexion le conduit à examiner les différentes idées auxquelles il pense, et la première qui l'arrête, c'est l'idée d'un être parfait. Qu'est-ce que cette idée? Est-elle une pure chimère? ou se rapporte-t-elle à quelque objet réellement existant? C'est ainsi que Descartes se trouve amené, dès le début de sa philosophie, à démontrer l'existence de Dieu.

J'ai l'idée d'un être parfait, dit-il' or, je ne suis pas moi-même un être parfait, car je doute. J'ai bien encore d'autres idées, par exemple, le ciel, la terre, les animaux ; mais pour celles-là, je puis les avoir formées moi-même, car il n'y a rien en elles que je

1. « Prius abs te quæro utrum tu ipse sis: an tu fortasse metuis <«< ne in hac interrogatione fallaris, cum utique si non esses, falli om<< nino non posses? - Mihi esse me, idque nosse et amare, certissi« mum est. Nulla in his vero academicorum argumentorum formido, << dicentium: Quid si falleris? Si enim fallor, sum; nam qui non est, « utique nec falli potest; ac per hoc, sum, si fallor. » Lib. Il De libero arbitrio, cap. 1, et lib. II de Civ. Dei, cap. XXVI.

2. Discours de la Méthode, IV partie. - Troisième Méditation. · Principes de la philosophie, I partie, § 17 et 18.

ne puisse tirer de moi par voie d'analyse ou de composition, tandis que la perfection est quelque chose de supérieur à moi, dont je ne puis m'être formé l'idée à l'aide des choses imparfaites que je connais. Donc Dieu existe.

On pourrait développer, ou, pour parler plus exactement, détailler cette démonstration de la manière suivante :

J'ai en moi l'idée de Dieu, c'est-à-dire l'idée de l'infini : comment y est-elle ?

Elle ne peut y être que par une de ces deux raisons: Ou parce que l'infini existe, et alors il est parfaitement naturel que j'en aie l'idée;

Ou parce que, l'infini n'existant pas, je me suis formé moi-même l'idée que j'en ai.

Or, est-il possible que j'aie moi-même formé l'idée de l'infini qui est en moi?

Je n'ai que deux façons de me former l'idée d'un objet qui n'existe pas, ou par voie d'atténuation, en supprimant par la pensée quelques-unes des qualités d'un objet existant, ou par voie d'amplification, en réunissant dans une même idée les qualités de plusieurs objets.

L'infini ne peut être une atténuation du fini; il ne peut, non plus, être une collection de qualités finies, car un grand nombre de choses finies ne font qu'un grand nombre de choses finies, et ne font pas une chose infinie.

si je

On ne lève pas la difficulté en supposant que, conçois un être fini, abstraction faite de tout ce qui le limite, je m'élève ainsi à la notion de l'infini. C'est retomber dans l'hypothèse que nous venons d'écarter; car si on ne peut produire l'infini en réunissant un nombre indéterminé de choses finies, on ne peut pas le produire davantage en multipliant un nombre de fois indéterminé une chose finie par elle-même.

Donc je ne puis avoir l'idée de l'infini qu'à la seule condition que l'infini existe.

Cette démonstration est aussi solide que simple. Par malheur, elle ne s'adresse qu'à des esprits convaincus que l'idée de l'infini est en nous, et qu'elle ne peut y être formée par la réunion de plusieurs autres idées. Or, il s'en faut que tous les sensualistes tombent d'accord sur le premier point, et leur thèse consiste précisément à nier le second. Ainsi la preuve de Descartes n'a de valeur que pour les philosophes qui ont le moins besoin qu'on leur démontre l'existence de Dieu.

Après cette démonstration, il en fit une autre beaucoup plus compliquée, et que l'on peut résumer ainsi :

Je suis et j'ai l'idée de Dieu', donc je ne suis pas l'auteur de mon être; car, si je l'étais, je me serais donné toutes les perfections dont j'ai en moi quelque

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1. Discours de la Méthode, IVe partie Troisième Méditation. - Les Principes de la philosophie, Ire partie, § 20 et 22.

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