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hôte, et, dès qu'il y entre, la mobilité, la divisibilité l'envahissent. C'est pourquoi le dogme de l'incompréhensibilité répugne à tous les rationalistes qui se sont laissé leurrer par l'infinité prétendue du temps et de l'espace. Il leur faut un Dieu compréhensible, un Dieu humain, parce qu'ils ne veulent pas creuser d'abîme d'abîme entre Dieu et le monde. Ils feront volontiers des réfutations du panthéisme, mais ces réfutations prouvent leur bonne foi et leur inconséquence, et se retournent contre euxmêmes.

Voici pourquoi nous nous mettons à discuter le panthéisme, au lieu de prouver directement la création. C'est que la création ne se prouve pas; elle est démontrée par la démonstration même de l'existence de Dieu, à moins qu'on ne prouve qu'elle est impossible. Les panthéistes n'ont pas d'autre argument pour établir leur système que l'impossibilité de la création. Tantôt ils soutiennent qu'on ne peut même s'en faire une idée, et que ce mot est vide de sens, et tantôt que la toute-puissance de Dieu n'a pas pu tirer quelque chose du néant, parce qu'aucune puissance terrestre ne pourrait le faire. Ainsi ils avouent qu'il y a un Dieu et prétendent qu'il n'a pas pu créer le monde; d'où ils concluent que Dieu et le monde sont distincts sans être séparés. Il n'y a donc en question que la possibilité de la création. La création est réelle, si elle est possible.

Nous commencerons par exposer les objections des panthéistes.

Qu'entend-on d'abord par ce mot créer? La reli– gion chrétienne le définit ainsi : Créer, c'est faire quelque chose de rien. C'est bien là, en effet, le sens que tous les partisans du dogme de la création donnent à ce mot. Or, est-il possible de faire quelque chose de rien? On peut faire d'une chose une autre chose, cela s'appelle transformer; mais faire du néant quelque chose, ou créer, cela n'est pas seulement impossible, mais absurde. Le néant n'est pas un élément dont on puisse se servir à quoi que ce soit'. Nous l'introduisons dans notre langage par un artifice dont il est aisé de se rendre compte; mais il ne faut pas être dupes de cet artifice, au point de donner un rôle au néant dans la réalité, car ce sont là des pensées qui se confondent elles-mêmes.

Dieu, évidemment, peut faire des choses que l'homme ne peut pas faire. Mais quand nous affirmons qu'il fait une certaine chose impossible à tout autre que lui, il faut au moins que nous comprenions notre propre affirmation. Prononcer un mot sous lequel notre esprit ne met aucune idée, c'est perdre son temps. Quelle idée pouvons-nous avoir de l'acte de la création, si l'acte de créer consiste en effet à faire quelque chose de rien? Où prendrions

1.

<< Principium hinc cujus nobis exordia sumet :
<< Nullam rem e nihilo gigni divinitus unquam. »

(Lucrèce, liv. I, vers 148, 149.

nous une telle idée? Il n'y a pas une seule chose dans la nature qui ne naisse d'une autre chose; il n'y a rien, ni en nous, ni hors de nous, qui puisse nous donner l'idée de la création. Nous sommes, à l'égard de cette idée, dans la même situation qu'un aveugle-né pour l'idée de la couleur. Les aveugles peuvent parler des couleurs par ouï-dire; mais si tous les hommes étaient aveugles, parleraient-ils des couleurs? soupçonneraient-ils l'existence des couleurs? Et puisque aucun homme ne peut créer, comment les hommes auraient-ils l'idée de création?

Une école se fait une affaire principale de rechercher l'origine de nos idées; elle fait des analyses minutieuses pour arriver à établir que l'idée de cause nous vient de la conscience et non de la perception externe; quoique le monde soit rempli de causes, nous vivrions, selon cette école, au milieu de toutes ces puissances, sans savoir ce que c'est qu'une puissance, si nous n'en étions pas une nous-mêmes; et la même école voudra soutenir que, ne pouvant jamais créer, nous avons l'idée de la création?

Voici un axiome que personne ne songe à contester c'est qu'il n'y a pas d'effet sans cause. Mais que signifie cet axiome? Pour le comprendre complétement, il faut bien entendre ce que l'on entend par une cause. Les anciens disaient qu'il y en a de quatre sortes: la cause efficace, la forme, la matière et la cause finale. Laissons la cause formelle, qui tient à des doctrines métaphysiques particulières.

à

Les trois autres sont tellement comprises dans la notion de cause, qu'on est forcé d'en convenir, quelque école que l'on appartienne; et il s'ensuit qu'en vertu de l'axiome « Tout ce qui existe suppose une cause, » une matière est aussi nécessairement requise qu'une cause finale et une cause efficace.

Les déistes raisonnent ainsi : « Si je vois une montre, je dis : « Il y a un horloger; » si je vois le monde, je dis : « Il y a un Dieu. » Mais quand je vois une montre, je ne dis pas seulement qu'il y a un horloger, je dis que cet horloger avait du cuivre et de l'or à sa disposition, et ces éléments dont il s'est servi ne sont pas moins nécessaires que lui-même à la production de son œuvre.

C'est donc se payer de mots, et en quelque sorte offenser le bon sens, que de parler de création, parce que l'assemblage de mots que l'on fait en disant que le néant est devenu quelque chose, implique contradiction et ne représente rien de réel à la pensée.

Voilà une première objection contre la création; en voici une seconde. Que Dieu soit, ou non, créateur, qu'est-il en lui-même, dans sa nature intime? Il est parfait; car il faut qu'il ne soit pas, ou qu'il soit parfait. Savons-nous ce que c'est que la perfection? Nous ne le savons pas absolument, mais nous savons au moins quelque chose de la nature de l'être parfait, et par exemple ceci, qui n'est qu'une définition : c'est

qu'il est sans défaut, et que par conséquent il est un. Ce ne sont pas les panthéistes seuls, ce sont tous les déistes qui insistent sur l'unité de Dieu; et ils la prouvent, non-seulement parce qu'un seul Dieu est nécessaire, non-seulement parce que l'harmonie du monde suppose un gouvernement unique, mais encore parce que la coexistence de deux êtres parfaits implique contradiction. En effet, chacun d'eux manque à l'autre, de sorte que ni l'un ni l'autre n'est parfait. Il est clair qu'on peut concevoir par la pensée que l'être d'un des deux s'accroisse de tout l'être de l'autre on pourrait donc concevoir un parfait plus parfait que le parfait, hypothèse absurde. Ainsi Dieu est un, du commun accord de tous les rationalistes.

Mais, pour les mêmes raisons, il doit être seul. En d'autres termes, il ne suffit pas qu'il n'y ait qu'un Dieu, il faut qu'il n'y ait qu'un être.

Pour le prouver, c'est-à-dire pour prouver le panthéisme, il n'y a qu'à reprendre le raisonnement par lequel les partisans de la création démontrent tous les jours que Dieu est un. Puisqu'il ne peut rien y avoir hors de lui qu'on puisse par la pensée ajouter à son être, qu'importe que vous placiez en dehors de lui un Dieu ou un ciron? Il est absurde de nier qu'il puisse être limité, et d'affirmer en même temps qu'il l'est. Quelle que soit la limite, il n'est plus l'infini, si elle existe. Il n'y a, dites-vous, que Dieu et un ciron? Il n'y a donc pas de Dieu; car la réalité de ce ciron peut être ajoutée par la pensée à la réalité, et, pour

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