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ainsi parler, à la totalité de Dieu. Entre ce Dieu, limité par un atome, et le Dieu parfait que rien ne limite, il y a un abîme.

C'est l'argument des éléates; ils disaient : « Ou Dieu est tout, ou il n'est pas; car s'il y a quelque réalité hors de lui, cette réalité manque à sa perfection. »

Une troisième objection se tire, non de la nature métaphysique de Dieu, mais de sa nature intellectuelle et morale.

Si Dieu a fait le monde, il l'a fait par force ou librement. Il répugne à l'hypothèse de la création que Dieu ait été contraint de créer, car cette production nécessaire au producteur a bien l'air de n'être pas séparée de lui. Et d'ailleurs, si le monde est non-seulement distinct, mais séparé de Dieu, d'où peut venir la nécessité qui force Dieu à produire le monde? Il n'y a pas en dehors de Dieu de puissance qui agisse sur lui; il faut donc dire qu'il est dans sa nature de produire une œuvre extérieure et étrangère à son existence : c'est tomber dans l'absurde. Ainsi Dieu a créé librement; en d'autres termes, il a créé parce qu'il a voulu créer. Mais ici les difficultés, ou plutôt les impossibilités, sont in-. nombrables.

Regardons d'abord l'acte même de vouloir. Cet acte, qui a pour effet un monde fini et limité, n'est

il

pas lui-même une détermination et par conséquent une limite de la nature de Dieu? Il semble que l'acte

de Dieu ne puisse être qu'infini, et avoir pour objet l'infini.

Cette volonté du Dieu éternel, est-elle éternelle comme lui? Il le faut bien, pour qu'il n'y ait pas deux dieux, ou, ce qui revient au même, pour qu'il n'y ait pas de différence en Dieu. A cause de son éternité, il n'y a pas en Dieu d'avant et d'après : il est audessus du temps; et, à cause de sa perfection, il n'y a pas en lui un état et un autre état : il est éternellement semblable et identique à lui-même. Si donc il a voulu, c'est de toute éternité sa volonté, comme son être, ne peut avoir ni commencement ni fin.

Maintenant, cette volonté continue et éternelle est-elle éternellement et continûment efficace? Sans doute car, si son efficacité n'est pas immédiate, le temps, que nous avons chassé de la volonté divine, s'introduit dans la puissance divine, et l'éternité disparaît. En outre, il ne se peut pas que Dieu veuille inutilement. Vouloir inutilement est le caractère propre de l'impuissance. Et qui donc rendrait sa volonté inefficace? Il n'y a rien, hors de lui, qui puisse lui faire obstacle, puisque, d'après l'hypothèse, il n'y a hors de lui que son œuvre même. Le néant ne peut pas lutter contre Dieu. Concluons que le monde n'a pas commencé et ne finira pas.

Mais cette conclusion est aussi redoutable pour le dogme de la création, que l'hypothèse de la fatalité divine. Dès que l'éternité est attribuée au monde,

l'idée de l'éternité s'obscurcit et se trouble. Le monde est mobile, donc périssable. N'est-ce pas une dérision de la logique, que l'on ne puisse supposer le monde créé, sans affirmer qu'il est éternel?

Pourquoi a-t-on besoin du dogme de la création? C'est pour mettre absolument en dehors de Dieu les imperfections du monde. Mais qu'importe que cet imparfait soit en dehors de Dieu, s'il est l'œuvre nécessaire de Dieu, et s'il lui est coéternel en vertu de la nature même de Dieu ? N'est-ce pas être imparfait, que d'être condamné à produire éternellement l'imparfait ?

Ce que nous venons de dire du temps, disons-le sur-le-champ de l'espace. Les mêmes raisons qui obligent le monde à être éternel, l'obligent à être sans limites. L'efficacité de la puissance divine ne peut être bornée ni à un lieu ni à un moment. Ainsi le monde est infini dans le temps et dans l'espace. Aussitôt que cette conséquence apparaît, notre esprit est obligé d'avouer qu'il se fourvoie; car il n'y a pas d'espace infini, d'étendue infinie, de divisibilité indivisible. Les partisans de la création prouvent, contre les athées, que le monde n'est infini ni dans le temps ni dans l'espace qu'ils choisissent de renoncer à cet argument, ou à la toute-puissance divine.

Effaçons ces difficultés, et supposons-les résolues : en voici d'autres. Si Dieu a voulu le monde, il l'a souhaité. Vouloir, c'est produire un acte avec con

naissance de cause, et pour un motif. Pourquoi Dieu a-t-il souhaité le monde? Il est impossible qu'il l'ait souhaité; car il ne peut rien souhaiter, étant parfait : rien ne lui manque. Non-seulement il ne peut souhaiter; mais, s'il souhaitait, son désir pourrait-il se porter sur l'imperfection? Tout être qui désire un être inférieur se dégrade. Dieu ne peut aimer et souhaiter que la perfection; il ne peut souhaiter le monde, il ne peut donc le vouloir, et il n'a pas pu le

créer.

Ce souhait impossible, s'il était, serait éternel. Ainsi le désir de Dieu serait inefficace comme sa volonté, à moins que le monde ne soit éternel. L'inefficacité de la volonté, c'est l'impuissance; l'inefficacité du désir, c'est le malheur. Il faut se résoudre à ces impiétés, ou confesser de nouveau l'éternité du monde.

Mais les arguments qui prouvent l'éternité et l'infinité du monde, ne prouvent-ils pas encore autre chose? N'y a-t-il de limites que dans l'espace et dans la durée, et n'y en a-t-il pas aussi dans l'essence même de l'être? L'acte qui produit une série finie est fini; l'acte qui produit une série infinie d'êtres finis, n'est-il lui-même fini? Si le monde est créé, le monde est parfait. Mais s'il est parfait, pourquoi la création? et pourquoi Dieu ?

pas

Non, le monde n'est pas parfait, suivant les partisans de la création; il n'est pas éternel, il n'est pas infini ce sont des conséquences qu'ils n'admet

tront jamais; ils aiment mieux contredire leurs propres principes. Voyons donc si, ces contradictions dévorées, le monde imparfait et fini ne leur en prépare pas d'autres.

Dieu est bon et tout-puissant, il a fait librement le monde pourquoi donc le monde est-il mauvais?

Les partisans de la création ont deux langages : tantôt, pour prouver que Dieu existe, ils démontrent que le monde est imparfait ; et tantôt, pour répondre à l'objection que nous venons de formuler, ils essayent timidement de nier les imperfections du monde. Ces tergiversations les condamnent; ils n'ont que des demi-raisons et des vues contradictoires. Si le monde est parfait, qu'ils le disent; s'il est imparfait, qu'ils l'expliquent.

Leurs explications mêmes sont des contradictions nouvelles. Si on ouvre leurs livres, on voit les uns soutenir que ce qui nous paraît être du mal est au contraire du bien, et que c'est notre ignorance seule qui nous trompe. Que veut dire cette réponse? Qu'il n'y a pas de mal? ou seulement qu'il y en a moins qu'on ne pense? Eh! qu'importe le degré? Il suffit qu'il y en ait, pour limiter la bonté de Dieu et sa puissance. Les autres soutiennent que le mal était nécessaire pour que l'homme pût être éprouvé. Cela n'est que subtil. A quoi bon cette épreuve, pour qui pouvait du premier coup nous faire meilleurs? Qui réussit dans cette épreuve? Le grand nombre?

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