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par les seules lumières de la raison naturelle il croit que ce point de doctrine doit être tiré de la sainte Ecriture, comme un article de foi, et par conséquent qu'il n'appartient point à la philosophie; qu'il ne faut point confondre la lumière de la raison qui nous montre le chemin vers la félicité de cette vie, avec la lumière de la révélation: au reste, il entend par l'immortalité de l'âme, l'existence de sa substance séparée du corps, existentiam substantialem separatam.

3° Quant à ce que vous observez sur la fin de votre lettre, que Dieu peut être conçu comme un législateur, mais non comme un législateur despotique; qu'un père, qu'un docteur, etc., sont aussi des législateurs, quoiqu'ils ne soient pas législateurs despotiques; que les péchés sont à eux-mêmes leur punition, puisque tout homme méchant est ennemi de lui-même, seauton timorumenos; que les bonnes actions portent avec elles leur récompense; toute cette doctrine est sans doute excellente, mais je crois qu'elle peut se concilier avec celle de Thomasius. Pour moi, je pense que rien n'est plus propre à exciter les hommes à la vertu, et à les détourner du vice, que de leur montrer la connexion ou l'harmonie qui existe entre les actions et les événements qui les suivent : d'où il faut conclure qu'on doit nécessaire ment abandonner le sentiment de Puffendorf, qui prétend que toutes les actions en ellesmêmes et de leur nature sont indifférentes. 20 juin 1712.

LEIBNITZ. On peut souhaiter plutôt qu'espérer qu'il y ait des hommes assez sages pour se conduire toujours par le seul conseil de la droite raison. Cela appartient à l'idée d'une république parfaite, que nous imaginons pour en approcher autant qu'il est possible. Ce que je trouve de plus répréhensible dans Puffendorf et Thomasius, c'est qu'ils enseignent que l'immortalité de l'âme, les peines et les récompenses au delà de cette vie ne nous sont connues que par la révélation. Pythagore et les platoniciens ont eu sur ce point des sentiments plus sages. J'ai remarqué dans ma lettre à Bohemer sur le traité des devoirs du citoyen, que ce fondement de la théologie naturelle était manifeste aux yeux de tout individu, même du peuple, qui croit au dogme de la providence et aux premières conséquences de ce dogme, sans même qu'il soit nécessaire d'employer avec lui les arguments métaphysiques par lesquels nous prouvons invinciblement qu'il existe une Providence. La doctrine des mœurs, de la justice et des devoirs, qui ne serait appuyée que sur les seuls biens de cette vie, serait nécessairrement une doctrine très-imparfaite, ainsi que je l'ai montré dans la même lettre.

La doctrine qui enseigne une providence est inutile, si vous ôtez l'immortalité de l'âme, elle n'a pas alors plus de force pour obliger les hommes que les dieux d'Epicure, qui sont sans providence. Ainsi donc, si Dieu n'a pas gravé en nous des principes d'où nous

pouvons conclure évidemment l'immortalité de l'âme, la théologie naturelle est inutile, et ne sert de rien contre l'athéisme pratique. Il aurait donc été permis aux hommes d'être athées avant la révélation, car la Divinité ne punit pas toujours dans cette vie les injures qui lui sont faites.

Il n'est pas nécessaire, pour défendre l'immortalité de l'âme, de dire qu'elle est une substance séparée : car elle pourrait toujours être unie à un corps subtil, tel que celui que j'admets dans les anges.

1713.

BIERLINGIUS. Sans doute la doctrine de l'immortalité de l'âme, ainsi que des peines et des récompenses à attendre après cette vie, contribue beaucoup à contenir les hommes dans le devoir, quoiqu'on ne puisse nier qu'Epicure et ses sectateurs, quant à ce qui concerne l'honnêteté extérieure et civile, ne sont pas indignes de toute louange, ainsi que le prouve l'exemple de Pomponius Atticus. Je crois, au reste, que Puffendorf et Thomasius n'ont circonscrit la philosophie morale dans la félicité de cette vie que pour ne point confondre la raison et la révélation, deux principes qui, sans être contraires, sont cependant distincts. Mais en soutenant qu'on ne peut démontrer par la raison l'immortalité de l'âme, on ne doit pas être censé pour cela nier cette immortalité : ainsi qu'aucun chrétien ne nie le mystère de la Trinité, quoique tous s'accordent à dire que la lumière de la raison ne suffirait pas pour nous le faire connaître.

2° Vous dites que la Divinité ne punit pas dans cette vie les outrages qui lui sont faits, je pense que vous voulez dire qu'elle ne les punit pas toujours de là vient la question tant agitée parmi les païens, pourquoi les bons sont malheureux, et les méchants heureux dans cette vie, puisqu'il y a une Providence? La réponse de Claudien, qu'ils sont élevés en haut pour que leur chute soit plus grave, tolluntur in altum ut lapsu graviore ruant, cette réponse, dis-je, ne lève pas assez complétement la difficulté. Boëce, dans son traité de la Consolation philosophique, laisse encore bien des choses à désirer sur ce point. Nous avons l'exemple de David et d'autres exemples encore, qui prouvent que les crimes sont punis même dans cette vie, quoique nous ne le remarquions pas toujours, à cause de la faiblesse de notre raison qui ne lui permet pas de saisir et de comprendre suffisamment l'ordre et le mode de la Providence.

20 avril 1713.

Nous ne trouvons pas la réponse de Leibnitz à cette lettre, et dans le vrai, aucune réponse n'était nécessaire. M. Leibnitz n'imputait pas à Puffendorf de ne pas croire l'immortalité de l'ame; il lui imputait seulement de prétendre qu'on ne pouvait pas la prouver par la seule raison et Bierlingius n'ignorait pas et ne pouvait ignorer que telle était effectivement la prétention de ce philosophe." Et

lorsque Leibnitz a dit que Dieu ne punissait pas le crime dans cette vie, il est bien manifeste qu'il voulait dire qu'il ne le punissait pas toujours. Et quand on admettrait avec Bierlingius qu'il y a toujours quelque peine, quoique non toujours évidente, qui accompagne le crime dans cette vie, il est au moins bien certain que cette peine secrète n'est pas toujours proportionnée à la gravité des crimes. Leibnitz loue le traité de l'Existence de Dieu, par Fénélon.

T. 3 op. p. 71, 1712

J'ai lu avec plaisir le beau livre de M. l'archevêque de Cambrai sur l'existence de Dieu : il est fort propre à toucher les esprits; et je voudrais qu'il fit un ouvrage semblable sur l'immortalité de l'âme. S'il avait vu ma Théodicée, il aurait peut-être trouvé quelque chose à ajouter à son bel ouvrage.

Pensées de Leibnitz sur la réunion des catholiques et des luthériens.

T. 5 collect. epist. ad Fabricium 33, p. 249, et t. 6. epist. ad Ludolfum 46, p 157.

1 Il est bien vrai qu'on ne peut rien statuer de la part des catholiques sur l'union, sans l'approbation du souverain pontife: cependant on peut toujours établir des conférences préliminaires sur ce sujet, et savoir ce qu'en pensent des catholiques doctes et pieux. Mais, de notre côté même, on ne pourrait espérer aucun succès des démarches qui seraient faites pour la réunion, si un grand nombre de nos souverains ne concouraient à ce pieux dessein.

2° Il est juste ensuite que des deux côtés on prenne les moyens les plus propres à faciliter la réunion.

3° Il serait nécessaire encore d'établir des principes d'après lesquels on pût reconnaître ce qui est de foi et ce qui ne l'est pas; car je crains que les catholiques ne regardent comme appartenant à la foi ou comme étant de droit divin certains points à l'égard desquels nous ne penserions pas de même.

4 Je ne sais si de ce que l'Ecriture sainte n'est point opposée à certains articles qu'ordonnent les catholiques, on est en droit de conclure que nous ne devons pas les contester; car c'est à celui qui affirme, de fournir la preuve de ce qu'il avance et on ne peut nier qu'un article appartienne à la foi jusqu'à ce qu'on prouve qu'il a été révélé par Dieu.

5° Je crois me souvenir que le concile de Trente ou la profession de foi du pape Pie IV en appelle au consentement unanime des pères. Ce point, s'il était vrai, serait pour nous d'un grand avantage, car dans la plupart des controverses que nous avons avec les catholiques, il leur serait bien difficile de prouver qu'ils ont pour eux le consentement unanime des pères (1).

(1) Effectivement, dans la profession de foi de Pie IV, on s'engage à n'entendre et à n'interpréter la sainte Ecriture que conformément au sentiment una

6° Quant à sa manière de procéder dans les causes et les jugements ecclésiastiques, si une fois l'union était faite, il serait facile de s'accorder parce que la plupart des points de jurisprudence canonique dans l'Eglise romaine ne sont que de droit humain, et par conséquent sont susceptibles de changement.

7° J'avoue que les espérances d'une réunion des catholiques et des protestants sont éloignées et cependant tout consiste dans le concours de la volonté de quatre, cinq ou six personnes. Car supposé que le pape, l'empereur et le roi de France d'un côté, et quelques grands princes de l'autre, veuillent sincèrement la réunion, nous devons la re

garder déjà comme faite : et ne savons-nous pas, ainsi que nous l'apprend la sainte Ecriture, que les cœurs des rois sont dans la main de Dieu ? mais notre siècle qui tend vers sa fin (Leibnitz écrivait en 1698) ne sera pas assez heureux pour voir ce grand événement: et je ne sais si le siècle suivant sera plus heureux que le nôtre.

Origine de l'ouvrage de Leibnitz, qui a pour titre : Théodicée (1).

T. 6 de la collect. p. 181 et 28. lett. à Th. Burnet, 1710.

On aura bientôt achevé d'imprimer à Amsterdam mon livre intitulé: Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal. La plus grande partie de cet ouvrage avait été faite par lambeaux, quand je me trouvais chez la feue reine de Prusse où ces matières étaient souvent agitées nime des pères. Mais cette unanimité se prend moralement et M. Leibnitz se trompe quand il met en fait que dans les controverses des catholiques avec son parti, les catholiques ne peuvent pas toujours prouver qu'ils ont pour eux le consentement unanime.

(1) Nous avons cru devoir faire connaître cette anecdote :

1° Pour montrer avec quelle application et quelle constance Leibnitz avait étudié tout ce qui appartient à la religion, parce que son autorité en acquiert plus de force;

2° Pour avoir occasion de conseiller la lecture de la Théodicée et de répéter ce qu'avait coutume de dire l'illustre Charles Bonnet de Genève, que la Théodicée devait être le manuel du philosophe chrétien : et c'est pour ne point détourner de lire en entier cet admirable ouvrage que nous en avons extrait si peu de chose;

3° Pour montrer de plus en plus ce que nous avons déjà fait dans le discours préliminaire, combien M. Psaft avait été mal fondé à soutenir que M. Leibnitz n'avait prétendu dans sa Théodicée que faire un jeu d'esprit, et que M. Leibnitz m'en avait assuré luimême.

Nous croyons convenable de placer une apostille qui se trouve dans la lettre de Leibnitz à Toland, et que nous avions cru devoir négliger, parce qu'ele était étrangère au but de la lettre. Elle confirme notre observation sur M. Psaft.

Mes amis m'ont pressé de mettre au net mes Considérations sur la liberté de l'homme et la justice de Dies par rapport à l'origine du mal, dont une bonne partie avait été autrefois couchée sur le papier pour le faire lire à la reine de Prusse qui le désirait. Jy examine toutes les difficultés de M. Bayle, et tâche de les résoudre en même temps que je rends justice à son mérite. >

à l'occasion du dictionnaire et des autres ouvrages de M. Bayle, qu'on y lisait beaucoup. J'avais coutume, dans les discours, de répondre aux objections de Bayle, et de faire voir à la reine qu'elles n'étaient pas aussi fortes que certaines gens, peu favorables à la religion, voulaient le faire croire. Sa majesté m'ordonnait assez souvent de mettre mes réponses par écrit, afin qu'on pût les considérer avec attention. Après la mort de cette grande princesse, mes amis m'ont exhorté à réunir et à fortifier ces réponses: et il est résulté de mon travail l'ouvrage dont je viens de parler. Comme j'ai médité sur cette matière depuis ma jeunesse, je crois l'avoir discutée à fond.

Ouvrage de Julien contre la religion chrétienne, conservé par saint Cyrille : vérité de la religion, objet de sermon.

T. 6, lett. à Th. Burnet, p. 242.

Le second tome des ouvrages de Julien, que M. Spanheim se prépare à nous donner, contiendra ses remarques sur le livre de cet empereur apostat contre les chrétiens, et sur la réponse de saint Cyrille, archevêque d'Alexandrie. C'est la réponse de saint Cyrille qui nous a conservé l'ouvrage de Julien : ces ouvrages des païens contre les chrétiens sont presque tous perdus. Cet ouvrage viendra bien à propos dans un temps où il est besoin d'écrire sur la vérité de la religion chrétienne, pour fermer la bouche à ses ennemis.

On a envoyé à madame l'électrice le livre de M. Jaquelot sur la religion : mais comme le prédicateur de la cour a annoncé qu'il prêcherait sur la vérité de la religion, elle lui a envoyé ce livre ainsi au lieu de le lire pendant quelques heures, elle l'entendra toute l'année.

:

Langage du P. Mallebranche sur les idées et la

vision en Dieu, favorable à la piété. Recueil de pièces, lett. à M. Remond, t. 2, p. 545.

Il n'y a aucune nécessité de prendre avec le père Mallebranche les idées pour quelque chose qui soit hors de nous. Il suffit de les considérer comme des notions, c'est-à-dire comme des modifications de notre âme. C'est ainsi que l'école et M. Descartes les prennent. Mais, comme Dieu est la source des possibilités et par conséquent des idées, on veut excuser et même louer ce père d'avoir Changé de termes et d'avoir donné aux idées une signification plus relevée, en les distinguant des notions et en les prenant pour des perfections qui sont en Dieu, auxquelles nous participons par nos connaissances. Ce langage mystique du père n'était donc point nécessaire; mais je trouve qu'il est utile, car il nous fait mieux envisager notre dépen dance de Dieu. Il semble même que Platon parlant des idées, et saint Augustin parlant de la vérité, ont eu des pensées approchantes, que je trouve fort raisonnables, et c'est la partie du système du père Mallebranche, que je serais bien aise qu'on conservât avec DEMONST. ÉVANG. IV.

les phrases et formules qui en dépendent; comme je suis bien aise qu'on conserve la partie la plus solide de la théologie des mystiques. Et bien loin de dire, avec l'auteur de la réfutation du père Mallebranche, que le système de saint Augustin est un peu infecté du langage et des opinions platoniciennes, je dirais qu'il en est enrichi et qu'elles lui donnent du relief.

J'en dis presque autant du sentiment du père Mallebranche, quand il assure que nous voyons tout en Dieu que c'est une expression qu'on peut excuser et même louer. Car il est bon de considérer que non seulement dans le système du père Mallebranche, mais encore dans le mien, Dieu seul est l'objet immédiat externe des âmes, exerçant sur elles une influence réelle. Et quoique l'école vulgaire semble admettre d'autres influences par le moyen de certaines espèces, qu'elle croit que les objets envoient dans l'âme, elle ne laisse pas de reconnaître que toutes nos perfections sont un don continuel de Dieu et une participation bornée de sa perfection infinie. Ce qui suffit pour juger que ce qu'il y a de vrai et de bon dans nos connaissances est encore une émanation de la lumière de Dieu, et que c'est dans ce sens qu'on peut dire que nous voyons les choses en Dieu.

Bonheur des saints dans la vue de Dieu et de l'univers (1).

Otium hanoveranum, p. 10.

Les saints, dans la vie éternelle, jouiront de la vue de Dieu mais il y divers degrés et diverses perfections dans cette vue. C'est ainsi que lorsque plusieurs personnes contemplent un seul et même objet, les unes le voient avec des yeux plus clairvoyants, les autres avec des yeux un peu troubles; les unes le voient de plus près, et les autres de plus loin. Toutes aperçoivent la même image; mais la vue de l'une est, quant à la lumière et aux rayons qui pénètrent dans les yeux, distincte de la vue d'une autre.

Tandis que nous sommes sur la terre nous ne sommes point dans notre véritable centre et par conséquent dans notre véritable point de vue nous voyons, il est vrai, les créatures et les œuvres admirables de Dieu; mais nous les voyons comme un homme placé entre les scènes d'un théâtre peintes suivant les règles de l'optique. Cet homme voit des figures, mais des figures grossières, informes et incohérentes, ce qui ne l'empêche pas cependant de reconnaître l'art du peintre ou de l'architecte. Ainsi dans notre position actuelle, quoique nous ayons toujours lieu d'admirer les œuvres de Dieu, nous ne pouvons pourtant pas jouir du beau spectacle de leur

ensemble. Il en serait autrement si nous

étions transportés dans le soleil, ou plutôt, dans le lieu qu'habitent les bienheureux :

(1) Quoique Dutens ait eu sous les yeux l'ouvrage qui a pour titre, Otium hanoveranum, et qu'il en ait fait grand usage, cette lettre ne se trouve poin dans sa collection.

(Trente-six.)

t'est là que, placés comme dans le véritable centre de tout l'univers, la vue de sa beauté nous remplira d'un plaisir ineffable.

But principal de Leibnitz dans son travail sur les connaissances naturelles.

T. 6, lett. 9, à Th. Burnet, p. 231.

J'ai lu les discours de Ch. Bentley. Je vois en lui une combinaison bien rare de deux avantages très-grands: l'érudition et la solidité. MM. Saumaise, Isaac Vossius, Gudius

et quelques autres de cette sorte, étaient d'une grande érudition; mais ou ils ne méditaient guère, ou ils méditaient superficiellement et avec peu d'exactitude. Mais Grotius, Gassendi et quelque peu d'autres, ont montré qu'ils excellaient dans l'un et l'autre genre; et j'approuve surtout le dessein de Ch. Bentley de se servir des connaissances naturelles pour faire admirer la sagesse et la puissance du Créateur : c'est aussi mon but principal.

EXTRAITS DES LETTRES DE LA COLLECTION DE FEDER.

Invitation inutilement faite aux jansenistes. Collection de M. Feder, lettre de M. Amillon, p. 2, 1708.

M. de Joncourt (1) a bien fait de rétracter ce qu'il avait dit un peu légèrement, et d'imiter M. l'archevêque de Cambrai, qui prêche en vain aux jansénistes de faire comme lui.

Immortalité de l'âme. Fondement du droit naturel.

Collect. de Feder, lett. à M. de Beauval, p. 95, sans date.

Je suis de ce sentiment que la justice est imparfaite sans la religion, et qu'on ne pourrait jamais prouver qu'il faut toujours garder la promesse donnée, s'il n'y avait cette souveraine puissance qui la maintient et qui fait enfin passer tout le droit en fait par un redressement immanquable. J'en ai touché quelque chose dans la préface de mon Codex juris gentium. Il y aura des gens si bien nés ou si bien élevés, que l'injustice leur paraîtra hideuse et qu'ils s'en abstiendront, comme on s'abstient d'une viande qu'on abhorre: et il serait à souhaiter que tous les hommes fussent de cette trempe; mais cela n'étant point, il faut quelque autre raison que le goût pour convaincre tout le monde de son obligation. C'est pourquoi j'ai toujours désapprouvé les principes de M. de Pufendorf, qui pensait que la considération de l'immortalité de l'âme ne devait point entrer dans les fondements du droit naturel.

Fable de la papesse Jeanne.

Collect. de Feder, lett. à M. de Beauval, p. 97. Je suis entièrement du sentiment de ceux qui tier.nent l'histoire de la papesse Jeanne pour une fable ridicule et qui n'a pour elle aucun auteur ancien. Les meilleurs manuscrits des auteurs tant soit peu anciens qu'on cite ordinairement n'en disent mot. D'ailleurs, après avoir approfondi la chose autrefois, je l'ai trouvée détruite par des raisons qui peuvent passer pour incontestables (2).

(1) Prédicateur à La Haye, déchaîné contre les coccéiens.

(2) Leibnitz l'a détruite dans une dissertation à laquelle il avait donné pour titre : Flores sparsi in tu

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Sur les mystères et la manière d'engager M. Bayle à écrire en faveur de la religion. Collect. de Feder, lett. à M. de Beauval. p. 109, 1706.

Dans les mystères, je distingue trois points: 1° les expliquer pour en lever l'obscurité ; 2° les prouver par des raisons naturelles ; 3° les soutenir contre les objections. Nous ne pouvons pas toujours satisfaire au premier point, et encore moins au second, au lieu que nous pouvons toujours satisfaire au troisième; et il n'y a point d'objection insoluble contre la vérité, autrement le contraire serait démontré.

Mais entreprendre de satisfaire tout exprès aux difficultés de M. Bayle, comme il semble que vous me le conseillez, monsieur, c'est ce que j'appréhenderais de ne pouvoir faire sans faire du tort à la religion. Car je ne ferais qu'exciter un si habile homme à mettre ses difficultés dans un jour plus beau, s'il est possible, sans pouvoir me flatter de remédier au mal que j'aurais causé. Pour réfuter M. Bayle utilement, je proposerais l'invention que voici Je voudrais que quelqu'un entreprît de combattre les raisonnements qu'il fait de temps en temps en faveur de la religion : par ce moyen en l'obligeant à les soutenir, on l'engagerait à dire mille belles choses qui seraient avantageuses à la religion et à luimême par exemple, lorsqu'il dispute contre M. Bernard touchant la simplicité de Dieu, il montre très-bien qu'un composé n'est pas un être doué d'une véritable unité. Il montre aussi excellemment, dans plus d'un endroit, qu'un être qui pense doit être une substance simple et sans parties, et qui par conséquent n'est point sujette à la destruction.

mulum Joanna papissa. Cette dissertation, que Leibnitz avait laissée manuscrite, a été imprimée dans Bibliotheca hist. gollingensis, t. 1. C'est un des ouvrages les plus considérables de Leibnitz, et qui fait le plus d'honneur à la sagesse de sa critique et à l'étendue de son érudition. Elle est comme ensevelie dans cette bibliothèque historique de Gotlingue, ouvrage trèspeu connu. M. Dutens n'en a point eu de connaissance: voilà pourquoi on ne la trouve pas dans la collection des œuvres de Leibnitz. Cette dissertation n'était pas encore tombée sous nos yeux lorsque nous publiâmes la seconde édition des Pensées. Voyez L 1, p. 417.

La matière ne peut pas penser.

Collect. de Feder, lettre à M. Bayle, du 5 décembre 1702, p. 123.

Je suis de votre sentiment (il parle à Bayle). Je crois que la matière ne peut pas devenir pensante comme elle peut devenir ronde: j'ai montré, comme vous savez, monsieur, que la matière peut devenir propre à donner des pensées bien distinctes quand elle est bien organisée; mais non pas à en faire naître où il n'y en a point du tout. C'est comme un essayeur ne fait point naître de l'or, mais il le développe. Il est vrai que si le dérangement de la matière était capable de faire cesser les pensées, son arrangement serait aussi capable d'en faire naître. Mais tout cela ne doit s'entendre que des pensées distinctes, qui attireraient assez notre attention pour qu'on puisse s'en souvenir.

Constitution de l'âme.

Collect. de Feder, lett. à Bayle, p. 124, 1702.

Je ne sais s'il est possible d'expliquer mieux la constitution de l'âme qu'en disant :

1°Qu'elle est une substance simple, ou bien ce que j'appelle une vraie unité;

2° Que cette unité pourtant est expressive de la multitude, c'est-à-dire des corps, et qu'elle l'est le mieux qu'il est possible, selon son point de vue ou rapport;

3° Qu'ainsi elle est expressive des phénomènes selon les lois métaphysico-mathématiques de la nature, c'est-à-dire selon l'ordre le plus conforme à l'intelligence et à la raison; d'où il s'ensuit enfin :

4° Que l'âme est une imitation de Dieu, le plus qu'il est possible aux créatures; qu'elle est, comme lui,simple et pourtant infinie aussi, et enveloppe tout par des perceptions confuses; mais qu'à l'égard des perceptions distinctes, elle est bornée; au lieu que tout est distinct à la souveraine substance, de qui tout émane et qui est cause de l'existence et de l'ordre, et en un mot la dernière raison des choses.

Dieu contient l'univers éminemment, et l'âme ou l'unité le contient virtuellement,

étant un miroir central, mais actif et vital, pour ainsi dire.

On peut même dire que chaque âme est un monde à part, mais que tous ces mondes s'accordent et sont représentatifs des mêmes phénomènes différemment rapportés, et que c'est la plus parfaite manière de multiplier les êtres autant qu'il est possible et le mieux qu'il est possible.

Sur l'activité de l'âme et le franc arbitre.

Collect. de Feder, lettre à Bayle, sans date, p. 126. Vous remarquez que les esprits forts s'attachent aux difficultés du franc arbitre de l'homme, et qu'ils disent ne pouvoir comprendre que si l'âme est une substance créée, elle puisse avoir une véritable force propre et intérieure d'agir. Je souhaiterais qu'ils fissent entendre plus distinctement pourquoi ils prétendent que la substance créée ne sau

rait avoir une telle force: car je croirais plutôt que sans cette force ce ne serait plus une substance, la nature d'une substance consistant, suivant mon système, dans cette ten-dance réglée de laquelle les phénomènes naissent par ordre; tendance qu'elle a reçue d'abord, et qui lui est conservée par l'auteur des choses, de qui toutes les réalités ou perfections émanent toujours par une manière de création continuelle.

Quant au franc arbitre, je suis du sentiment des thomistes et des autres philosophes qui croient que tout est prédéterminé; et je ne vois pas lieu d'en douter. Cela n'empêche pourtant pas que nous n'ayons une liberté exempte non seulement de la contrainte, mais encore de la nécessité et en cela il en est de nous comme de Dieu lui-même, qui est aussi toujours déterminé dans ses actions; car il ne peut manquer de choisir le meilleur. Mais s'il n'avait pas de quoi choisir, et si ce qu'il fait était seul possible, il serait soumis à la nécessité. Plus on est parfait, plus on est déterminé au bien, et aussi plus libre en même temps; car on a une faculté et une connaissance d'autant plus étendue et une volonté d'autant plus resserrée dans les bornes de la parfaite raison.

Sur la nature de l'esprit humain, que Fontenelle croit incompréhensible.

Collect. de Feder, p. 289, 1702.

LETTRE A M. DE FONTENELLE.

Puisque vous pensez à ce qui regarde l'infini, que vous enrichissez par de belles réflexions à votre ordinaire, je souhaiterais aplosophiques, et particulièrement sur ce qui prendre votre jugement sur mes essais phiregarde l'union et le commerce de l'âme et du corps. Car la considération de l'infini entre extrêmement dans mon système; mais un peu autrement pourtant que de la manière dont on le prend dans les infiniment petits, que je considère comme quelque chose de plus idéal. M. Bayle ayant marqué qu'il serait bien aise de voir ce que je répondrais aux objections qu'il a insérées dans la seconde édition de son dictionnaire, article Rorarius, j'ai dressé une réponse que je veux lui envoyer, mais non encore pour être imprimée, afin que je puisse profiter auparavant des sentiments des personnes qui me peuvent donner des lumières.

RÉPONSE DE M. DE Fontenelle.

Si je n'ai pas eu l'honneur de répondre plus tôt à votre dernière lettre, prenez-vousen à la promesse dont vous m'aviez flatté, de m'envoyer votre réponse à M. Bayle sur votre système de l'âme. J'ai toujours cru la voir arriver de jour en jour, et j'attendais que je l'eusse reçue pour répondre à tout en même temps. Je l'attendrais plus longtemps inutilement; vous aurez sans doute fait réflexion qu'il n'était pas raisonnable de me l'envoyer comme pour m'en demander mon sentiment; certainement cela n'était nullement dans l'or dre; et je le sentis d'abord, malgré l'amour

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