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propre. Cependant ma vanité n'eût pas laissé de profiter d'une méprise où vous seriez tombé par pure bonté. Je connais déjà votre système de l'âme il est très-ingénieux; et le moyen qu'un système qui vient de vous ne le fût pas?

Mais je vous avouerai que je crois la nature de l'esprit humain incompréhensible à l'esprit humain. Il ne connaît que ce qui est d'un ordre inférieur, que l'étendue et ses propriétés; encore qui le pousserait bien sur cela, il ne s'en tirerait peut-être pas à son honneur. Je croirais plutôt que l'on pourrait démontrer l'impossibilité d'acquérir jamais res sortes de connaissances métaphysiques, ce qui serait une solution du problème à contre-sens, comme la démonstration de l'impossibilité de la quadrature du cercle, qu'on dit que M. le marquis de l'Hôpital a trouvée. Il me semble, monsieur, que je vous parle avec une étrange liberté; il est vrai qu'elle doit être permise entre philosophes; mais il ne faut pas que ce soient des philosophes d'un ordre aussi différent que vous et moi. Tout est éminemment renfermé en Dieu, et les choses inférieures le sont dans les supérieures.

Collect. de Feder, lett. à M. de Boinebourg, p. 391, 1694.

J'ai eu quelque commerce de lettres autrefois avec le feu père Kircher. Son passage que vous m'avez communiqué, monsieur, est d'un style des cabalistes. Il y a là-dedans quelque chose de solide (1). Car il est très-vrai que tout est éminemment en Dieu comme dans sa cause, dépouillé de l'imperfection qu'il a dans les créatures. Mais quant à ce qu'il dit du monde angélique, il y a un peu plus à dire. Cependant on peut dire en général que les corps sont représentés dans les esprits, l'étendu dans l'indivisible, témoin ce qui se passe dans nos âmes, ce qui doit avoir lieu encore à plus forte raison dans les esprits plus élevés que les nôtres. Il est donc vrai, dans le fond, que les choses inférieures se trouvent dans les supérieures d'une manière plus noble que dans elles-mêmes. Les rayons de lumière d'une infinité d'objets passant par

(1) Voici le passage: In mundo angelico, seu intellectuali, eadem sunt certentia quæ in ista visibili machina, sed spiritualiter et invisibiliter. In supremo mundo ideali increato, infinito, incomprehensibili, archetypo, tam angeli quam mundus unum sunt, et simul modo divino perfectissimo. Omnia igitur sunt in omnibus: cœlum supra, cœlum infra; astra supra, astra infra, et, ut bene Mercurius (Sc. Helmontius), semen est arbor complicata, arbor est semen evolutum et explicatum; unitas est numerus, juxta Platonem, complicatus, numerus est unitas evoluta; angelus est astra complicata, astra sunt angelus evolutus. Deus est, in quo ceu archetypo mundus est, Deus, si ita dixerim, evolutus. Sic in microcosmo quinque sensus sunt in imaginatione, imaginatio in ratione, ratio in mente, mens in Deo, Deus in nullo nisi se ipso.

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Prophétie impossible au démon.

M. de Feder, lett. à un ami, p. 463.

Le diable peut contrefaire des miracles; mais il y a une espèce de miracle que le diable ne saurait imiter, tout puissant et tout éclairé qu'il est : c'est la prophétie; car si une personne peut me dire beaucoup de particufarités véritables sur les affaires générales qui doivent arriver, par exemple, dans un an d'ici, je tiendrai pour assuré que c'est Dieu qui l'éclaire car il est impossible à tout autre qu'à Dieu de voir l'enchaînement général des choses qui doivent concourir à la production des choses contingentes.

Leibnitz approuve dans mademoiselle Bourignon les exhortations véhémentes à lavertu ; il loue ceux qui, dans le service de Dieu, se mettent au-dessus des considérations humaines.

Collect. de Feder, lett. à un ami, p. 460, 463.

Si mademoiselle Bourignon (1) ne faisait que prêcher la foi et la piété comme elle est enseignée clairement dans l'Ecriture et dans l'Eglise, on aurait tort de lui demander des signes de sa mission: mais elle avance des particularités qu'on ne saurait savoir que par révélation: par exemple, que l'antechrist est déjà né, qu'il détruira l'Eglise romaine, que Jésus-Christ viendra bientôt commencer son règne visible. Le reste de sa doetrine me parait bon et digne d'être lu avec application car tout ne va qu'à tirer les hommes de leur léthargie. Il faut presque un coup de foudre pour les éveiller : et cela fait que j'excuse d'autant plus aisément le style trop aigre de cette demoiselle; car je vois que les hommes n'ont pas assez d'attention quand on ne leur parle pas d'un ton de voix un peu fort. Nous reconnaissons tous nos faiblesses, mais nous ne prenons pas des résolutions vigoureuses pour les corriger, et nous traitons les affaires du salut trop cavalièrement. Cela fait que j'estime beaucoup ceux qui font des efforts pour rompre les liens du monde, et qui se mettent au-dessus des considérations du siècle. Je reconnais en eux une grande force d'esprit, et je leur souhaite de la prudence à proportion. J'entends cette prudence que Jésus-Christ même nous recommande, qui a pour but la gloire de Dieu et la perfection des âmes, et qui choisit de bonnes voies pour y réussir.

(1) Antoinette Bourignon.

EXTRAITS

DES LETTRES INEDITES DE LEIBNITZ A M. ARNAUD.

M. Leibnitz croit que M. Arnaud, dans le livre de la Perpétuité de la Foi, a complètement battu les calvinistes.

Ex epist. ined. ad Arnaldum.

J'ai vu il y a quelques jours M. le baron de Boinebourg, cet excellent personnage qui réunit à une capacité extraordinaire le plus grand zèle pour l'unité de l'Eglise et la réforme des mœurs. Nous parlames de vous: et la conversation tomba bientôt sur l'ouvrage où vous établissez si bien, contre les partisans du sens figuré, la vérité et, pour m'exprimer ainsi, la réalité du mystère, par la perpétuelle tradition des saints pères. Nous avons l'un et l'autre félicité l'Eglise d'avoir enfin trouvé un défenseur qui, après avoir battu complètement ses adversaires, les a poussés sans relâche, et ne leur a pas laissé le loisir de respirer. Jusqu'alors on avait combattu rarement de pied ferme : tout semblait s'être réduit à de légères escarmouches qui ne pouvaient donner aucun résultat décisif. Aujourd'hui que les adversaires ne peuvent plus s'appuyer sur ce consentement des saints pères dont ils s'étaient glorifiés jusqu'alors, je ne doute pas qu'ils ne se réfugient auprès de leurs vieilles troupes, qui n'ont pas encore été jusqu'à ce moment assez battues : je veux dire qu'ils ne se retranchent sous les arguments de l'impossibilité; car ce n'est plus qu'à la faveur de ces impossibilités prétendues que l'armée ébranlée des figuristes espère pouvoir se soutenir contre le consentement de tous les siècles et de toutes les nations chrétiennes et c'est d'après cela qu'ils soutiennent hautement qu'il vaut mieux admettre partout dans les Ecritures des tropes ou des figures, que des absurdités, telles que la présence d'un même corps en plusieurs lieux à la fois (1).

(1) Quand le traité de la Perpétuité de la Foi parut, on l'attribua à Arnaud. On convient assez géné ralement aujourd'hui que Nicole est le véritable auteur. Ce morceau renfermant un témoignage important contre les calvinistes, nous avons cru devoir mettre sous les yeux du lecteur le texte latin de Leibnitz.

Ad eucharisticos tuos labores delapsi sumus, quibus mysterii veritas atque, ut sic dicam, realitas, perpetua sanctorum patrum traditione, contra significa. iores asseritur. Et gratulati sumus Ecclesiæ nacte tandem qui, repetitis replicationibus insistens, nihil respirationis concederet adversariis semel deprensis. Hactenus enim raro stataria pugna inita est, sed desultoriis tantum velitationibus exitu carituris, certatam esse videbatur. Tum ego non dubito, quin depulsa a te adversaria pars gloriatione illa de consensu veterum, receptum cecinit ad triarios suos, hactenus non satis victos, id est, argumenta impossibili tatis, quibus solis labantem aciem significatorum etiam contra omnium seculorum gentiumque christianarum consensum se putant sustinere posse, et tropos ubique potius quam absurditates ferendas clamant. >

Leibnitz croit que l'athéisme ou du moins le naturalisme (c'est-à-dire une religion purement naturelle), sera la dernière des hérésies il exhorte M. Arnaud à combattre l'un et l'autre, et il fait connaître le motif principal de son application à la philosophie, ainsi que le fruit qu'il en a tire. Ex epist. ined. ad Arnaldum.

:

Nous voyons naître un siècle qu'on peut appeler philosophique; siècle où un désir plus empressé de connaître la vérité s'est répandu hors des écoles, et a gagné jusqu'aux personnages destinés au gouvenement ou à l'administration des états et c'est aux difficultés qui touchent de tels personnages qu'il importe surtout de satisfaire, si on ne veut pas que la religion trouve à sa propagation un obstacle invincible, et qu'un grand nombre des conversions qui auraient lieu soient sculement des conversions palliées. Rien n'est plus propre à confirmer l'athéisme, ou du moins le naturalisme, qui fait de si grands progrès depuis quelque temps, et à renverser par les fondements la foi de la religion chrétienne, déjà bien ébranlée dans le cœur de plusieurs personnages, méchants, il est vrai, et à ce titre méprisables, mais considérables par le rang qu'ils tiennent dans le monde; rien désordre, s'il est prouvé, d'un côté, que les n'est, dis-je, plus propre à autoriser ce mystères de la foi ont été crus de tout temps par tous les chrétiens, s'il est en même temps prouvé, de l'autre, par des arguments fondés sur la raison, que les mystères sont absurdes.

L'Eglise renferme aujourd'hui dans son sein beaucoup d'ennemis plus redoutables que les hérétiques mêmes; et il est vraiment à craindre que la dernière hérésie ne soit l'athéisme, ou du moins le naturalisme (1),

(1) Cette prédiction de Leibnitz est très-remarquable. Il ne serait pas difficile, en réfléchissant, d'en apercevoir les fondements. Ira-t-on effectivement contester opinâtrément sur le sens des saintes Ecritures, lorsqu'on est ou qu'on doit être tout occupé d'en maintenir, contre les incrédules, et d'en prouver, la véracité et l'authenticité ?

Il y a dans la copie dont nous faisons usage un mot qui nous a embarrassés, ce mot c'est publicatus. Nous avons cru d'abord que c'était une faute et qu'il fallait lire palliatus. Voici le texte de Leibnitz : Metuendum est ne hæresium ultima sit, si non atheismus, sullem naturalismus publicatus, et mahumetanismus, etc. On comprendrait bien ce que c'est qu'un naturalisme pallié; mais on ne sait pas d'abord ce que c'est qu'un naturalisme publié. Nous avons cru devoir consulter Feder. Voici ce qu'il a bien voulu prendre la peine de nous écrire le 19 avril 1809:

Les passages, dans la lettre de Leibnitz à Arnaud, qui vous paraissent incorrects, le sont vraisemblablement. Nous n'avons plus de ces lettres que des copies anciennes, qui, quoique revues et corrigées (mais non par la main de Leibni1z), semblent n'être pas d'un homme intelligent. Les originaux, etc. Dans l'ancienne copie qui nous est restée, il y a très-dis

et le mahométisme, qui, ne proposant à croire que très-peu de dogmes et à pratiquer que quelques rits, a prévalu en conséquence dans presque tout l'Orient. Rien ne se rapproche davantage de ce naturalisme et du mahométisme que la doctrine des sociniens, qui se sentent aujourd'hui assez forts pour lever la tête dans la Grande-Bretagne et dans le cœur même de la Germanie, où ils ont déjà séduit par leurs subtilités la plupart des bons esprits. C'est contre les sectateurs et les amis de ce naturalisme, qui se font un jeu, à la faveur de leur philosophie, de tourner en ridicule la simplicité des anciens, que nous devons aujourd'hui diriger nos attaques. Mais je ne connais guère que vous, monsieur, depuis que nous avons perdu M. Pascal, qui, possédant le très-rare avantage de joindre en un haut degré aux lumières de l'érudition celles de la philosophie, puissiez combattre avec succès dans le champ de l'une et de l'autre de ces sciences. J'ai la preuve de ce que vous pouvez en ce genre, dans le traité de l'Art de penser, ouvrage d'une grande profondeur, et qui, quel qu'en soit l'auteur, est certainement sorti de votre école. J'ai eu l'honneur de vous dire que j'ai fait sur la matière dont il s'agit beaucoup de recherches que je crois pouvoir être d'un grand avantage dans une affaire d'une si haute importance.

L'illustre baron de Boinebourg auquel j'avais communiqué, il y a déjà quelques années, tout ce qui m'était venu en pensée pour démontrer la possibilité des mystères de la foi et surtout du mystère de l'eucharistie, et qui en avait jugé très-favorablement, m'a exhorté fortement de saisir l'occasion qui se présente de vous écrire, et de soumettre à votre jugement tous mes principes et toutes mes découvertes philosophiques. Je le fais sur son autorité, et dans la confiance que m'inspirent votre religion et votre vertu. La nature des matières que je traite vous fera excuser, à ce que j'espère, la longueur de ma lettre. Mais avant de commencer, trouvez bon, je vous prie, que je reprenne de plus haut l'ordre et le plan de mes études.

Au milieu de tant d'affaires qui m'occupent, je crois qu'il n'est rien qui m'ait occupé plus fortement dans le court espace de mes jours qui se sont déjà écoulés, que ce qui pourrait m'assurer de la vie future: et j'avoue que ç'a été incomparablement le plus fort des motifs qui ont excité et soutenu mon application à la philosophie; mais aussi je reconnais que j'ai tire de cette application un bien grand avantage, je veux dire la tranquillité de l'âme et la faculté de pouvoir dire avec vérité que j'ai démontré quelques points dont les uns jusqu'ici étaient crus seulement, et les autres, quoique d'une grande importance, étaient pleinement ignorés. Je vovais que la géométrie ou la philosophie du

tinctement, saltem naturalismus publicatus. Si le mot vublicatus est genuinus, il faut peut-être entendre le 1aturalisme déclaré publiquement, comme l'unique rate religion, comme on a déjà essayé de faire, etc.

lieu (de loco) conduisait à la philosophie da mouvement, et la philosophie du mouvement à la science de l'esprit. J'ai donc d'abord démontré sur le mouvement quelques propositions d'une grande importance.

La présence réelle et la transsubstantiation n'ont rien qui répugne, d'après la philosophie de Leibnitz: conciliation des catholiques et des luthériens sur le point principal de leur controverse.

Ex epist. ined. ad Arnaldum.

M. le baron de Boinebourg sait que, depuis quatre ans, je me suis fortement occupé de montrer la possibilité des mystères de l'eules expliquer de manière que, par une concharistie, où, ce qui revient au même, de tinue et exacte analyse, nous parvenions la puissance divine, ou évidents ou accorenfin à des principes ou à des postulata sur dés. C'est ainsi qu'un géomètre est censé avoir enfin résolu un problème, ou avoir établi qu'un certain mode ne répugne pas, et en avoir démontré la possibilité, lorsqu'il l'a réduit ou rappelé à d'autres problèmes déjà résolus, ou à des problèmes qui n'ont besoin d'aucune solution, c'est-à-dire à des demandes ou à des postulata, comme parlent les géomètres, qui sont aux problèmes ce que les axiomes sont aux théorèmes : et je crois en être venu heureusement à bout lorsque j'ai reconnu que ce n'est pas dans l'étendue que consiste l'essence du corps..., et même que la substance du corps est sans étendue. Il a paru enfin très-nettement en quoi la substance différait des espèces; et l'on a vu la raison qui fait clairement comprendre que Dieu peut faire en sorte que la sabstance du même corps soit à la fois en plusieurs lieux distants les uns des autres, ou, ce qui revient au même, existe sous plusieurs espèces. Car nous prouverons aussi, ce qui n'était venu en pensée à personne, que la transsubstantiation et la présence réelle du même corps en plusieurs lieux ne diffèrent pas en dernière analyse, et qu'on ne peut pas dire qu'un corps soit en plusieurs lieux distants les uns des autres, autrement qu'en concevant que sa substance existe sous diverses espèces ou apparences. Car la substance seule du corps n'est pas sujette à l'étendue et par conséquent aux conditions du lieu, comme nous le prouverons nettement quand nous expliquerons ce que c'est que cette substance, ce qui est le point capital, et par conséquent que la transsubstantiation, pour me servir d'une expression très-sagement employée par le concile de Trente, et que j'ai éclaircie d'après saint Thomas, n'est point contraire à la confession d'Augsbourg, et même en est une conséquence; qu'ainsi il ne reste plus entre les deux partis (les catholiques et les luthériens) d'autre question que de savoir si la présence réelle ou la transsubstantiation, que je montrerai être renfermées l'une dans l'autre, sont instantanées, ou ne subsistent qu'au moment de l'usage ou de la réception

!

de l'eucharistie, comme le veut la confession d'Augsbourg, ou bien si, étant commencées au temps de la consécration, elles subsistent jusqu'au temps de la corruption des espèces, comme l'enseigne l'Eglise romaine.

Ce point de controverse, au reste, n'appartient point à la question présente : car l'un et l'autre sentiment est également possible, et la durée ne fait rien à la nature de la chose. C'est à l'Ecriture sainte et à la tradition de l'Eglise seules qu'il appartient de nous faire connaître lequel des deux le Seigneur a voulu.

Cette question terminée, il reste encore à décider si l'on doit un culte à l'hostie consacrée et c'est, dans cette matière, le seul différend tenant à la pratique, qui subsiste entre le concile de Trente et la confession d'Augsbourg. (Je ne parle pas de la communion sous une ou deux espèces qui n'a aucun trait au mode du mystère.) Car si le corps de Notre-Seigneur dans l'eucharistie n'est présent qu'au moment où on le reçoit, ou, comme on dit, au moment de l'usage, l'hostie ne doit pas être adorée avant qu'on la prenne, et on ne peut plus l'adorer après qu'elle est prise.

La conséquence ultérieure, c'est que, sur le fond et la manière du mystère, si vous exceptez la durée, les partis opposés sont d'accord sans le savoir, et on ne peut rien imaginer de plus propre à confondre ceux qui prétendent que dans les preuves et les défenses, soit de la présence réelle, soit de la transsubstantiation, nous n'usons que de sophismes.

Mais qu'est-ce que la substance du corps el quelle est la différence d'avec les espèces ? J'espère que je donnerai à ces deux points le même jour que j'ai donné à la pensée et au mouvement.

Au reste je soumettrai tout mon travail à votre jugement. J'ose espérer que votre sufTrage lui vaudra des approbateurs, et un succès qui sera de quelque avantage pour procurer la réunion des esprits et défendre notre foi contre des insultes dont elle ne s'est garantie jusqu'à présent que par le refus d'accepter cette espèce de combat.

Cet obstacle qui épouvantait tant de gens d'esprit étant levé, une très-grande porte s'ouvrira pour le retour à l'unité.

Leibnitz lit avec la plus grande application tous les auteurs qui ont écrit contre la religion et il sort de cette lecture plus affermi que jamais dans sa croyance.

Ex epist. incd. ad Arnaldum.

Pour vous inspirer, monsieur, plus de confiance dans les promesses que je viens de vous faire, je dirai un mot du zèle et de la constance que j'ai mis dans mes recherches sur la religion: d'abord, de mon naturel, je suis assez éloigné de la crédulité; mais je me suis mis au-dessus de moi-même, j'oserai presque dire au-dessus de ma foi; car j'ai cru que, dans une affaire de si grande im

portance, ne pas examiner en toute rigueur était une prévarication. J'ai donc recherché avec soin et lu avec grande attention tous les auteurs qui ont attaqué notre foi avec plus d'acharnement et ceux qui l'ont défendue avec plus de force; je n'ai pas voulu avoir à me reprocher à cet égard la moindre négligence. J'ai fait en sorte, dans mon travail sur la religion, qu'aucune objection, qu'aucune considération de quelque poids ne pût m'échapper. Tout ce que Celse autrefois, Vanini du temps de nos pères et, du temps de nos aïeux et de nos bisaïeux, Ochin, Servet, Puccius, ont publié de dangereux, je l'ai lu, je l'avoue, et sans avoir eu lieu de me repen tir de ma curiosité. J'ai lu même encore avec beaucoup d'attention les dialogues de Bodin, qui ne sont point encore imprimés, et qui ne devraient jamais l'être si on prend en quelque considération la piété; dialogues auxquels il a donné pour titre de Arcanis sublimium, et dans lesquels, à la faveur de la liberté que donne ce genre d'écrire, il a répandu le venin de presque toutes les sectes. Mon attention s'est encore portée sur ce qu'ont objecté contre la religion chrétienne Proclus et Simplicius, Pomponatius, Averroès et d'autres semblables demi-chrétiens; enfin j'ai lu avec curiosité tous les auteurs chrétiens connus pour avoir écrit avec plus de liberté que les autres, tels que Lulle, Valla, l'un et l'autre Pic, Savonarole, Weselus de Groningue, Tritheme, Vivés, Stenchus, Patritius, Mostellus, Naclantius, de Dominis, Paul Servite, Campanella, Jansenius avec ses disciples, Honoré Fabry, Valerianus, Thomas Bonartès, Thomas Anglus, et, d'un autre côté, Bibliander, Jordanus Brunus, Acontius, Taurellus, Arminius, Herbertus, Episcopius, Grotius, Calixte, Forelli, Andree, Jo. Valent., Hobbes, Claubergius, l'auteur de la Philosophie interprète de l'Ecriture sainte, l'auteur de la Liberté de philosopher, deux auteurs qui ont depuis peu causé des troubles dans les Pays-Bas; en un mot, j'ai lu tous les auteurs qui sont censés n'avoir pas toujours suivi les routes communes; enfin je n'ai pas dédaigné d'étudier encore les subtilités des sociniens, gens dont on peut dire que, quand ils pensent bien, rien n'est meilleur, et quand ils pensent mal, rien n'est pire: cum bene, nihil melius; cum male, nihil pejus. Il est résulté pour moi de toutes ces lectures un effet entièrement opposé à celui qu'appréhendaient les personnes qui blâmaient ma conduite; car rien ne m'a rassuré et confirmé davantage dans mes premiers sentiments que de voir que ces hommes en réputation d'être si redoutables, non seulement n'avaient pu m'ébranler, mais n'avaient servi qu'à me faire voir plus à fond la vérité, et à m'inspirer la confiance que je l'avais trouvée. Le poète l'a dit: Quelquefois deux poisons méiés ensemble deviennent un remède :

Et cum fata volunt, bina venena juvant. Car en voyant d'un côté les hautes pensées de tant de grands génies, et de l'autre, les er

reurs pitoyables dans lesquelles ils sont tombés, j'ai souvent admiré en moi-même la providence de Dieu, qui les oppose tellement l'un à l'autre, qu'un lecteur judicieux peut tirer de leurs écrits, et se former un corps vraiment admirable des plus excellents documents, si son attention se porte principalement sur les endroits de leurs ouvrages où ces auteurs sont d'accord avec la tradition de l'Eglise catholique.

Plan d'éléments de droit naturel et conséquences.

Ex epist. ined. ad Arnaldum.

Je me propose de donner et de renfermer dans un très-petit livre, des éléments du droit naturel où tout serait démontré par les seules définitions. D'après mes définitions :

L'homme de bien ou l'homme juste est celui qui aime tous les hommes.

L'amour est le plaisir qu'on tire du bonheur des autres, et la douleur ou la peine que cause leur malheur.

Le bonheur est le plaisir sans mélange de douleur.

Le plaisir est le sentiment de l'harmonie. La douleur est le sentiment de la discordance.

Le sentiment est la pensée jointe à la volonté d'agir ou à la tendance à agir.

La variété nous plaît, il est vrai, mais quand elle se réduit ou tend à l'unité.

Je déduis de là tous les théorèmes du droit et de l'équité.

Car le licite ou ce qui est permis, c'est ce qui est possible à l'homme de bien.

Le devoir ou l'obligation, debitum, est ce qui est nécessaire à l'homme de bien. Il suit de là que l'homme juste, c'est-à-dire celui qui aime tous les hommes, tend aussi nécessairement à faire du bien à tous, même lorsqu'il ne le peut pas, que la pierre tend à descendre lorsqu'elle est suspendue.

Je montre que toutes les obligations sont remplies quand on a fait tous ses efforts pour les remplir; qu'aimer tous les hommes ou aimer Dieu, siége de l'harmonie universelle, est une même chose.

Il y a plus, que c'est une même chose d'aimer véritablement ou d'être sage; et qu'aimer Dieu par dessus tout, c'est aimer tous les hommes ou être juste.

Si plusieurs ont besoin d'être aidés ou assistés, et qu'on ne puisse les assister tous, on doit préférer celui de l'assistance duquel résultera en somme un plus grand bien.

Il suit de là que, dans le cas de la concurrence, et toutes choses d'ailleurs égales, il faut préférer le meilleur, c'est-à-dire celui qui notoirement aime davantage. Car le bien qu'on fait à celui-là se multiplie en se réfléchissant sur plusieurs; et par conséquent, en assistant celui-là, on assiste plusieurs autres et même en général, toutes choses d'ailleurs égales, il faut préférer celui qui est déjà en meilleur état; car nous montrerons

que l'assistance suit la raison de la multiplication et non de l'addition.

Effectivement, si deux nombres, dont l'un est plus grand que l'autre, sont multipliés par un même nombre, la multiplication ajou tera davantage au nombre le plus grand, que n'aurait fait l'addition. Ainsi 5 multiplié par 2 donne 10, et 10, multiplié aussi par 2, donne 20; 6 multiplié par 2, donne 12, et 12 multiplié par le même nombre 2, donne 24. 11 est clair que 5 s'est accru de 15, et 6 de 18. Donc en somme nous gagnons davantage en multipliant le nombre le plus grand par le même multiplicateur.

Cette différence entre l'addition et la multiplication est aussi d'un grand usage quand il s'agit de justice; car assister est multiplier, comme nuire c'est diviser. La raison en est que celui qu'on assiste ou qu'on aide est un être intelligent, et qu'un être intelligent, en se servant de ce qui lui est donné, peut appliquer tout à tous, ce qui est multiplier, ou, comme on dit en latin, in se invicem ducere.

Supposer que quelqu'un soit sage comme 3 et puissant comme 4; toute sa valeur sera 12 et non pas 7, parce que la sagesse pert mettre en action chaque degré de la puis

sance.

Et même dans les homogènes, celui qui possède cent mille écus d'or est plus riche que cent personnes qui possèdent chacune mille écus car l'union de tous ces écus favorise leur emploi. Il gagnera en se reposant, tandis que les autres perdront même en travaillant. Il faut donc toujours, quand il s'agit d'assister et que la pauvreté est égale, préférer le plus sage; et si la sagesse est égale, préférer celui qui est dans une plus grande aisance, comme celui que Dieu favorise davantage car naître avec l'aptitude ou la disposition à la sagesse est un don de la fortune, c'est-à-dire de Dieu. Il suit de là que le domaine des choses vient ou du bonheur de ceux qui trouvent, ou de l'industri de ceux qui travaillent.

Celui qui possède (nous supposons toujours toutes choses d'ailleurs égales) doit encore être préféré, comme ayant été plutôt favorisé par la fortune.

Au contraire, dans le cas de concours de deux personnes pour souffrir le même dommage, ou toutes les fois qu'il est question de perte ou de préjudice, il faut préférer celui qui a simplement commis une faute à celui qui a joint le dol à la fraude, et celui qui est dans le malheur ou l'infortune, aux deux premiers.

Il n'est presque rien dans la doctrine de la justice qu'on ne puisse déduire de ce qui précède; l'on peut même en déduire que ce prince est véritablement un héros, qui cherche sa gloire dans la félicité du genre humain.

J'ai même déduit de ces principes dans un petit schediasme toute la doctrine de la prédestination, et j'ai fait passer cet écrit, pour l'examiner, à quelques théologiens, les plus distingués de toutes les communions qui sont

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