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infinité de personnes, même de ceux qui ne sont point mal intentionnés, se laissent surprendre à ce piége. Que ne vit-on en paix, disent-ils, et pourquoi tout ce bruit? J'aime rais autant, quand le loup est dans la bergerie, et que le berger crie de toutes ses forces pour appeler du secours, qu'on lui demandat pourquoi il se donne tant de mouvements et fait tant de bruit. Sans ces mouvements, sans ce bruit, que deviendrait le troupeau? La paix est à désirer: qui en doute? mais il faut que ce soit une bonne paix.

Pensées diverses sur l'Eglise et sur la soumission qui lui est due.

Il y en a qui, des intérêts de l'Eglise, font leurs propres intérêts; et il y en a qui de leurs intérêts propres, font les intérêts de l'Eglise. Grande différence des uns et des autres. La disposition des premiers est bonne el toute sainte, et celle des seconds est inauvaise et toute profane. Que veux-je dire? le voici. Les uns font des intérêts de l'Eglise leurs propres intérêts: comment, et par où ? par leur zèle pour l'Eglise, par leur attachement inviolable à l'Eglise, par la sensibilité de leur cœur sur tout ce qui a rapport à l'Eglise, soit sur ses avantages pour y prendre part et s'en réjouir, soit sur ses disgrâces, pour s'en affliger et y compatir; de sorte que, sans égard à aucun intérêt personnel, ils envisagent d'abord en toutes choses les intérêts de l'Eglise, et y adressent toutes leurs intentions et tous leurs désirs. Mais les autres se conduisent par un principe et un sentiment tout opposé. Ils font de leurs intérêts propres les intérêts de l'Eglise; c'est-à-dire que, pour autoriser l'ardeur qu'ils témoignent à rechercher les dignités ecclésiastiques, ils se regardent volontiers comme des sujets utiles à l'Eglise, comme des gens capables de rendre à l'Eglise des services importants et d'y faire beaucoup de bien. Hé! que ne sont-ils de meilleure foi, et que ne connaissent-ils mieux le fond de leur âme ! Leur vue directe et primitive n'est pas tant le bien qu'ils feront dans l'Eglise, que le bien et les revenus dont ils jouirent.

On ne peut trop respecter la primitive Eglise, mais la haute idée qu'on en a ne doit pas servir à nous faire mépriser l'Eglise des derniers siècles. Dans la primitive Eglise, parmi beaucoup de sainteté, il ne laissait pas de se glisser des relâchements; et dans l'Eglise des derniers siècles, parmi les relâchements qui s'y sont glissés, il ne laisse pas d'y avoir encore beaucoup de sainteté.

Oserai-je faire une comparaison? Elle est odieuse, mais elle n'en est pas moins juste. N'avoir pour l'Eglise et pour ses jugements qu'une soumission de respect, ne lui rendre qu'un honneur apparent et extérieur, ne déférer à ses oracles que par le silence, lorsqu'en secret on s'élève contre elle, lorsqu'on lui résiste dans le cœur, et même par les effets, n'est-ce pas traiter cette épouse de Jésus-Christ comme Jésus-Christ lui-même, son divin époux, fut traité des soldats auxquels on l'abandonna dans sa passion? Ils le DEMONST. ÉVANG IV

couronnèrent, ils lui mirent un sceptre dans la main, ils venaient tour à tour se proster-ner à ses pieds et l'adorer: voilà de grands témoignages de respect; mais en même temps ils le frappaient au visage, et lui donnaient des soufflets.

Cette grande lumière du monde chrétien, ce docteur par excellence et ce défenseur de la grâce, cet homme d'un génie si élevé et d'une si haute réputation dans tous les siècles qui l'ont suivi, saint Augustin, en traitant des matières de religion, ne voulait pas qu'on le crût sur son autorité particulière, ni sur sa parole, mais il renvoyait au témoignage de l'Eglise. Aujourd'hui des troupes de femmes, faisant profession de piété, et conduites par un directeur qui certainement n'est rien moins que saint Augustin, se laissent tellement prévenir en sa faveur, que dès qu'il a parlé, elles ne veulent déférer à nul autre tribunal, quel qu'il soit. Ce seul hom me, souvent d'un savoir très-superficiel, voilà leur évêque, leur pape, leur Eglise.

On me dira qu'elles agissent de bonne foi, et que leur simplicité les excuse. Qu'il y ait en cela de la simplicité, j'en conviens: mais il faut aussi convenir qu'il y a encore plus d'opiniâtreté. Or je doute fort qu'une simplicité accompagnée d'un tel aheurtement et de tant d'opiniâtreté doive être traitée de bonne foi, ou qu'une telle bonne foi puisse être devant Dieu un titre de justification.

Je m'en tiens à ce que m'enseigne mon directeur c'est le pasteur de mon âme : voilà ma règle. Mais selon cette règle, croyez-vous être en droit de rejeter toutes les décisions de l'Eglise auxquelles ce directeur n'est pas soumis? conduite pitoyable et hors de toute raison. Car quand vous vous élevez contre l'Eglise pour vous attacher à ce directeur, cela montre que vous ne vous y attachez que par entêtement, et non par le vrai principe, qui est un principe de la religion, puisque la même religion qui vous ordonne d'écouter ce pasteur particulier, vous ordonne encore beaucoup plus expressément d'écouter le commun pasteur des fidèles et le corps des évêques qui lui sont unis de communion.

Dieu, par le prophète Isaïe, se plaint qu'il a formé son peuple, qu'il a pris soin de les nourrir comme ses enfants, de les élever, et qu'ils l'ont méprisé (Isaïe, I). Les prédicateurs appliquent quelquefois ces paroles à l'Eglise, et lui font dire, dans un sens moral et spirituel, qu'elle nous a formés en JésusChrist; que dès notre naissance, et par la grâce de notre baptême, elle nous a reçus entre ses bras et dans son sein, qu'elle nous y a fait croître et qu'elle n'a point cessé pour cela de nous fournir une nourriture toute céleste, qui sont ses divines instructions et ses sacrements, mais que nous ne lui témoignons que du mépris, que nous la déshonorons, que nous la scandalisons par notre conduite et par une perpétuelle transgression de ses commandements. Cette application est juste, et cette plainte solide et bien fondée. Mais laissons ce sens spirituel et moral, et prenons la chose dans le sens des ter(Sept.)

mes le plus littéral, dans le sens le plus propre ; l'application n'en sera pas moins raisonnable. Et en effet, combien de gens ne sont distingués que par le rang qu'ils tiennent dans l'Eglise, ne sont riches que des biens de l'Eglise, ne vivent que du patrimoine de l'Eglise, et sont toutefois les plus rebelles à l'Eglise, et les plus déclarés contre elle ? C'est bien à leur sujet, et bien à la lettre que l'Eglise peut dire des uns: Je les ai nourris (enutrivi), et la subsistance qui peut-être leur eût manqué dans le monde, ils l'ont trouvée à l'autel ; des autres: Je les ai élevés (exaltavi), agrandis; et sans l'éclat qui leur vient de moi, peut-être ne seraient-ils jamais sortis de l'obscurité et des ténèbres. Cependant leur reconnaissance, à quoi se réduit-elle? à une obstination invincible contre mes plus sages et mes plus saintes ordonnances (spreverunt me).

On voit des femmes d'un zèle merveilleux pour la réformation de l'Eglise : c'est là leur attrait, c'est leur dévotion. Elles entrent dans toutes les intrigues et tous les mystères car certain zèle n'agit que par mystère et que par intrigues. Elles s'entremettent dans toutes les affaires. Mais cependant si l'on vient à examiner ce qui se passe dans leur maison, on trouve que tout y est en désordre. Un mari, des enfants, des domestiques en souffrent; mais c'est de quoi elles sont peu inquiètes. Pour leur citer l'Ecriture qu'elles ont si souvent dans les mains, et où elles se piquent tant d'être versées et intelligentes, on peut bien leur dire avec saint Paul: Celui qui ne prend pas soin de sa propre maison, comment veut-il prendre soin de l'Eglise de Dieu? (Tim., III.)

Zèle pour l'Eglise, zèle qu'on ne peut louer assez, ni assez recommander. Mais du reste c'est une vertu, et toute vertu consiste dans un milieu et dans un juste tempérament qui évite toutes les extrémités. Vous prenez les intérêts de l'Eglise, et en cela vous faites votre devoir, et le devoir de tout chrétien, de tout catholique. Mais ne les prenez-vous point quelquefois plus que l'Eglise ne les prend elle-même? Pourquoi ces abattements, ces désolations où vous tombez? Pourquoi ces inquiétudes, ces alarmes continuelles? Pourquoi ces aigreurs, ces amertumes de cœur ? n'omettez rien de tout ce qui dépend de votre vigilance et de votre attention; parlez, agissez mais au regard du succès, laissez à Dieu le soin de son Eglise; c'est son affaire plus que la vôtre. Le mal vient de ce qu'il se glisse dans la plupart de ces disputes beaucoup de naturel, beaucoup d'humain. Si l'on n'y prend garde, une guerre de religion devient une guerre de passion.

Ce n'est pas toujours par la profession que nous faisons d'être attachés à l'Eglise, qu'on peut bien discerner si nous sommes vraiment catholiques, ou si nous ne le sommes pas. Il n'y a point de langage plus ordinaire aux hérétiques et aux novateurs, que de témoigner dans leurs discours et dans leurs écrits un grand attachement à l'Eglise, que de prêcher la soumission à l'Eglise, que

d'exhorter les fidèles à prier pour l'Eglise. Mais quelle est cette Eglise pour laquelle ils semblent si zélés? une Eglise à leur mode, et qu'ils se sont faite; une Eglise, ou plutôt une secte séparée de la vraie Eglise. Voilà ce qu'ils entendent sous ce titre pompeux d'Eglise, et voilà ce qui éblouit les simples et ce qui les trompe. La voix est de Jacob, mais les mains sont d'Esai (Gen., XXVII). C'est donc à la règle et au caractère distinctif que nous a marqués saint Ambroise qu'il faut s'en tenir. Ce père parle de Satyre, son frère, et voici ce qu'il en dit : Après un naufrage d'où il était échappé, il voulut en action de grâces participer au sacrement de l'autel, et, dans cette pensée, il s'adressa à l'évêque du lieu. Mais comme c'était un temps de division et de schisme, il s'informa d'abord si cet évêque était catholique : C'est-à-dire, ajoute saint Ambroise, expliquant ce terme de catholique, s'il était uni de communion et de créance avec l'Eglise romaine. Car sans cela Satyre ne reconnaissait point la vraie catholicité, et n'en devait point reconnaître.

Tout est subordonné dans l'Eglise mais ce grand principe, ce principe si raisonnable et si essentiel pour la conduite et le bon ordre de toute société, nous l'entendons diversement, selon les divers rapports sous lesquels nous le considérons. A l'égard de ceux qui dépendent de nous, nous sommes les plus rígides et les plus implacables défenseurs de la subordination. Mais s'il s'agit d'une puissance supérieure de qui nous dépendons nous-mêmes, c'est sous ce rapport que la subordination n'excite plus tant notre zèle: il se ralentit beaucoup, et même il s'éteint absolument. Ainsi entendez parler un supérieur ecclésiastique de ceux qui sont soumis à sa juridiction: ce sont des plaintes perpétuelles du peu de docilité qu'il trouve dans les esprits; ce sont de profonds gémissements sur le renversement de la discipline, parce que chacun veut suivre ses idées et vivre à sa mode; ce sont les discours les plus pathétiques et les plus belles maximes sur la nécessité de la dépendance, pour établir la règle et pour la maintenir. Tout ce qu'il dit est sage, solide, incontestable : mais il serait question de voir si ce qu'il dit, il le pratique lui-même à l'égard d'une souveraine et légitime puissance dont il relève, et à qui il doit se soumettre. Voilà néanmoins ce qui serait bien plus efficace et plus persuasif que tant de gémissements et tant de plaintes, que tant de belles maximes et tant de discours. Peut-être croirait-on, en se soumettant, affaiblir l'autorité dont on est revêtu, et c'est au contraire ce qui l'affermirait. Voulons-nous qu'on nous rende volontiers l'obéissance qui nous est due? donnons nousmêmes l'exemple, et rendons de bonne grâce l'obéissance que nous devons.

Dans les troubles de l'Etat, le bon parti est toujours celui du roi et de son conseil; et dans les troubles de l'Eglise, en matière de créance et de doctrine, le bon parti est toujours celui du vicaire de Jésus-Christ, du siége apostolique et du corps des évêques.

Un époux infidèle qui quitte son épouse pour en prendre une ou plus noble ou plus riche, voilà l'idée que je conçois d'un bené ficier qui, par un intérêt temporel et tout humain, quitte son église pour passer à une autre. Mais, dit-il, je ne fais rien contre les règles, dès que la puissance ecclésiastique et supérieure me donne sur cela les pouvoirs nécessaires. Pour lui répondre je me servirai encore de la même figure: il en fera telle application qu'il lui plaira. Des pharisiens vinrent demander au Fils de Dieu s'il était permis à un homme de renvoyer la femme qu'il avait épousée. Qu'est-ce que Moïse a ordonné là-dessus, leur répondit le Sauveur du monde? Moïse, dirent-ils, a permis de faire un acte de divorce, et de se séparer ainsi de sa femme. Il est vrai, reprit Jésus-Christ, Moïse vous l'a accordé ; mais il ne l'a accor

AB

dé qu'à la dureté de votre cœur (Matth., XIX). D'autres n'ont garde d'abondonner un bénéfice qu'ils possèdent, et ne pensent point à le quitter. Il est dans leurs mains; mais leurs mains n'en sont pas remplies. Que faut-il donc? accumuler bénéfices sur bénéfices. Ils disent aisément, et le disent même bien haut: Ce n'est pas assez; mais on ne les entend jamais dire: C'est trop. Le prophète, parlant à ces riches qui entassent acquêts sur acquêts, et joignent maisons à maisons, s'écriait: N'y aura-t-il que vous sur la terre pour l'habiter (Isaïe, V). Il me semble que je pourrais m'écrier de même : N'y aura-t-il que vous dans l'Eglise pour la servir? Mais que dis-je, pour servir l'Eglise? Elle serait souvent bien mal servie, si elle ne l'était que par ceux qui veulent avoir plus de raisons et plus d'obligations de la servir.

SERMON

SUR LA SAGESSE ET LA DOUCEUR DE LA LOI CHRÉTIENNE.

Adhuc eo loquente, ecce nubes lucida obumbravit eos. Et ecce vox de nube, dicens: Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi bene cor placui. Ipsum aadile.

Tandis qu'il parlait encore, une nuée lumineuse les enveloppa, et il sortit une voix de cette nuée, qui fit eutendre ces paroles: C'est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Ecoutez-le (s. Matth. c. XV).

SIRE,

Voici l'accomplissement de ce grand mystère qu'annonçait l'Apôtre aux Hébreux, lorsqu'il leur disait que Dieu ayant autrefois parlé à nos pères en plusieurs manières différentes par ses prophètes, il nous a enfin parlé dans ces derniers temps par son Fils même: Multifariam, multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis, novissime locutus est nobis in Filio (Hébr., 1). C'est dans la transfiguration de Jésus-Christ, qui fait aujourd'hui le sujet de notre Evangile, que cette parole de saint Paul s'est pleinement et sensiblement vérifiée. Dieu avait donné aux hommes, sur la montagne de Sinaï, une loi dont Moïse était le ministre, l'interprète et même, selon l'expression de l'Ecriture, le législateur. Dans la suite des temps, il avait suscité des prophètes pour expliquer aux hommes cette loi, pour leur en faire connaître les préceptes, pour leur en reprocher la transgression, pour les y soumettre et pour les engager, soit par des menaces, soit par des promesses, à l'accomplir. Mais du reste, et Moïse, et les prophètes ne furent que les précurseurs de l'Homine-Dieu; et la loi qu'ils publiaient ne fut qu'une disposition à la sainte et nouvelle foi que Jésus-Christ devait apporter au monde. C'est pour cela qu'il paraît entre Moïse et Elie, l'un législateur, l'autre prophète, et qu'il y paraît tout éclatant de lumière; c'est, dis-je, pour nous apprendre que toutes les ombres de l'an

cienne loi étant dissipées, que toutes les pro phéties ayant reçu un parfait éclaircissement, il n'y a plus désormais que lui qui mérite d'être écouté, et qui nous doive servir de maître. Ecoutons-le donc en effet, chrétiens, ce nouveau Législateur, et obéissons à cette voix céleste qui nous dit : Ipsum audite. Pour vous inspirer ce sentiment si juste et si né– cessaire, je veux vous entretenir de la loi chrétienne; et pour traiter dignement un si grand sujet, j'ai besoin des grâces du SaintEsprit et je les demande, etc. Ave, Maria.

Quand saint Paul dit qu'il a plu à Dieu de sauver les hommes par la folie de l'Evangile, placuit Deo per stultitiam prædicationis salvos facere credentes (I Cor., I), il ne faut pas se figurer que la loi chrétienne ait rien pour cela de contraire à la véritable sagesse et à la raison. Car, selon la remarque de saint Jérôme, le même apôtre, après avoir parlé de la sorte, déclaré néanmoins que son ministère est de prêcher la sagesse aux spirituels perfectos. Puisque je tiens aujourd'hui la et aux parfaits: Sapientiam loquimur inter même place que le docteur des nations, tout indigne que j'en puis être, et puisque je vous prêche la même loi qu'il préchait aux Gen-tils, j'ai droit, chrétiens, de vous dire comme lui, et je vous le dis dès l'entrée de ce discours, que la loi évangélique, dont je viens vous parler, est de toutes les lois là plus raisonnable et la plus sage; c'est ma première proposition. Je ne m'en tiens pas là; mais pour vous y attacher encore plus fortement, j'ajoute que cette loi si sage est au même temps de toutes les lois la plus aimable et la plus douce; c'est ma seconde proposition. Leux rapports sous lesquels nous devons considérer la loi de Jésus-Christ: rapport à l'esprit, rapport au cœur. Par rapport à l'esprit, elle n'a rien qui ne soit digne de notre estime; par rapport au cœur, elle n'a rien qui ne soit

digne de notre amour. C'est ainsi que je prétends combattre deux faux principes dont les ennemis de la religion chrétienne se sont servis de tout temps pour nous la rendre également méprisable et odieuse méprisable, en nous persuadant qu'elle choque le bon sens et les règles de la vraie prudence; odieuse en nous la représentant comme une loi trop dure et sans onction. Or, à ces deux erreurs, j'oppose deux caractères de la loi évangélique caractère de raison et caractère de douceur. Loi souverainement raisonnable; vous le verrez dans le premier point. Loi souverainement aimable; je vous le montrerai dans le second point: deux vérités importantes, qui vont faire le sujet de votre attention.

PREMIÈRE PARTIE.

A prendre les choses en elles-mêmes, et dans les termes de ce devoir légitime qui assujettit la créature au Créateur, il ne nous appartient pas de contrôler, ni même d'examiner la loi que Jésus-Christ nous a apportée du ciel, et qu'il est venu publier au monde. Car puisque les souverains de la terre ont le pouvoir de faire des lois, sans être obligés à dire pourquoi; puisque leur volonté et leur bon plaisir suffit pour autoriser les ordres qu'ils portent, sans que leurs sujets en puissent demander d'autre raison, il est bien juste que nous accordions au moins le même privilége, et que nous rendions le même hommage à celui qui non seulement est notre législateur et notre maître, mais notre Sauveur et notre Dieu. Ce qui nous regarde donc, c'est de nous soumettre à sa loi et non point de la soumettre à notre censure; c'est d'observer sa loi avec une fidélité parfaite, et non point d'en faire la discussion par une curiosité présomptueuse.

Cependant, chrétiens, il se trouve que ja mais loi dans le monde n'a été plus critiquée el, par une suite nécessaire, plus combattue, ni plus condamnée que la loi de Jésus-Christ; et l'on peut dire d'elle ce que le Saint-Esprit dans l'Ecclésiaste a dit du monde en général, que Dieu, par un dessein particulier, a voulu, ce semble, l'abandonner aux disputes et aux contestations des hommes: Tradidit mundum disputationi eorum (Eccles., II). Car cette loi, toute sainte et toute vénérable qu'elle est, a été, si j'ose m'exprimer de la sorte, depuis son institution, le problème de tous les siècles. Les païens et même, dans le christianisme, les libertins, suivant les lumières de la prudence charnelle, l'ont réprouvée comme trop sublime et trop au dessus de l'humanité, c'est-à-dire comme affectant une perfection outrée et bien au-delà des bornes que prescrit la droite raison. Et plusieurs, au contraire, parmi les hérétiques, préoccupés de leur sens, l'ont attaquée comme trop naturelle et trop humaine, c'est-à-dire comme laissant encore à l'homme trop de liberté, et ne portant pas assez loin l'obligation étroite et rigoureuse des préceptes qu'elle établit. Les premiers l'ont accusee d'indiscrétion, et les seconds de relâchement. Les uns, au

rapport de saint Augustin, se sont plaints qu'elle engageait à un détachement des choses du monde chimérique et insensé : Visi sunt iis christiani res humanas stulte et supra quam oportet deserere (Aug.): et les autres, téméraires et prétendus réformateurs, lui ont reproché que sur cela même elle usait de trop d'indulgence, et qu'elle exigeait encore trop peu. Savez-vous, chrétiens, ce que je voudrais d'abord inférer de là? Sans pénétrer plus avant, ma conclusion serait que la loi chrétienne est donc une loi juste, une loi raisonnable, une loi conforme à la règle universelle de l'Esprit de Dieu pourquoi ? parce qu'elle tient le milieu entre ces deux extrémités. Car comme le caractère de l'esprit de l'homme est de se laisser toujours emporter à l'une ou à l'autre, et que le caractère de l'esprit de Dieu, selon la maxime de saint Grégoire, pape, consiste dans une sage modération, il est d'une conséquence presque infaillible, qu'une loi que les hommes ont osé tout à la fois condamner et d'excès et de défaut, est justement celle où se trouve ce tempérament de sagesse et de raison qui en fait, selon la pensée du Prophète royal, une loi sans tache: Lex Domini immaculata (Ps. XVIII).

Et certes, ajoute saint Augustin (cette remarque est importante), si la loi de JésusChrist avait été parfaitement au gré des païens, dès là elle aurait cessé, pour ainsi dire, d'être raisonnable; et si les libertins l'approuvaient, dès là elle nous devait être cuspecte, puisqu'elle aurait plu et qu'elle plairait encore à des hommes vicieux et corrompus. Pour être ce qu'elle doit être, pour être une loi irréprochable, il faut nécessairement qu'elle ne soit pas de leur goût; et l'excès même qu'ils lui ont imputé est sa justification. Je dis à proportion de même des hérésiarques prévenus d'un faux zèle et enflés d'un vain orgueil: ils ont voulu la resserrer, cette loi déjà si étroite; ils ont entrepris de réformer, comme parle Vincent de Lérins, ce qui devait les réformer eux-mêmes; et il a fallu que la loi chrétienne, pour ne pas aller à une sévérité sans mesure, et pour demeurer dans les limites de ce culte raisonnable qui fait son essentielle différence et par où saint Paul la distingue, ne se rapportât pas à leurs idées, et qu'ils y trouvassent des defauts afin qu'il fût vrai qu'elle n'en a aucun.

S'il s'agissait seulement ici de faire une simple apologie des devoirs du christianisme, je pourrais m'en tenir là; et sans rien dire de plus, je croirais avoir suffisamment rempli mon dessein; mais je vais plus loin, et, autant qu'il m'est possible, il faut, chrétiens, vous mettre en état de rendre désormais sans contradiction, sans résistance, une obéissance entière à ce divin maître que Dieu nous ordonne d'écouter: Hic est Filius meus dilectus, ipsum audite. Il faut vous affectionner à sa loi, vous y attacher, et pour cela vous en donner toute la connaissance nécessaire. Attention, s'il vous plait. J'avoue donc que la loi de Jésus-Christ est une loi sainte et parfaite; mais je soutiens au même temps que dans sa perfection elle n'a rien d'outré, comme

l'esprit du monde se le persuade. J'avoue que c'est une loi modérée et, comme telle, proportionnée à la faiblesse des hommes; inais je prétends que dans sa modération elle n'a rien de lâche, comme l'esprit de l'hérésie se l'est figuré. Or, ces deux vérités bien conçues m'engagent efficacement à la pratiquer, cette loi, détruisent tous les préjugés que le libertinage ou l'amour-propre pourraient former dans mon esprit contre cette loi; me déterminent à vivre en chrétien, parce que rien ne me paraît plus raisonnable ni plus droit que la conduite de cette loi. Quel avantage et pour vous et pour moi, si nous étions bien remplis de ces sentiments!

Non, mes frères, dit saint Chrysostome traitant le même sujet, la loi de Jésus-Christ dans sa perfection n'a rien qui doive blesser la prudence humaine la plus délicate; et la rejeter comme une loi outrée, c'est lui faire injure et ne la pas connaître. Soit que nous ayons égard aux obligations générales qu'elle impose à tous les états; soit que nous considérions les règles particulières qu'elle trace à chaque condition, partout elle porte avec soi, si je puis user de ce terme, le sceau d'une raison souveraine qui la dirige; partout cile fait voir qu'elle est émanée du conseil de Dieu, comme de sa source. Car enfin, poursuit saint Chrysostome, qu'y a-t-il de si singulier dans la loi chrétienne, que le bon sens le plus exquis ne doive approuver? Elle oblige l'homme à se renoncer soi-même, à mortifier son esprit, à crucifier sa chair; elle veut qu'il étouffe ses passions, qu'il abandonne ses intérêts, qu'il supporte un outrage sans se venger, qu'il se laisse enlever ses biens sans les redemander; elle lui commande deux choses en apparence les plus contradictoires, du moins les plus paradoxales. l'une de haïr ses proches et ses amis, l'autre d'aimer ses persécuteurs et ses ennemis; elle lui fait un crime de rechercher les richesses et les grandeurs, une veriu d'être humble, une béatitude d'être pauvre, un sujet de joie d'être persécuté et affligé; elle règle jusques à ses désirs, jusques à ses pensées; elle lui ordonne, en telle occasion qui se présente, de s'arracher l'œil, de se couper le bras; enfin elle le réduit à la nécessité même de verser son sang, de donner sa vie, de souffrir la mort et la plus cruelle mort, dès que l'honneur de sa religion le demande et qu'il est question de prouver sa foi. Or tout cela, mes chers auditeurs, est raisonnable, et tellement raisonnable, que si la loi évangélique ne l'exigeait pas, tout intéressé que j'y puis être, et quelle que soit la corruption de mon cœur, j'aurais peine à ne la pas condamner. Venons au détail, et repre

nons.

Oui, il est raisonnable que je me renonce moi-même; c'est de quoi je ne puis douter sans me méconnaître et sans ignorer ce que je suis. Car puisque je ne suis de moi-mêine que vanité et que mensonge; puisque tout ce qu'il y a de bien en moi n'est pas de moi, et que je ne suis de mon fonds que misère, qu'aveuglement, qu'emportement, que déré

glement, n'est-il pas juste que me regardant moi-même et me voyant tel, je conçoive de l'horreur pour moi-même, je me haïsse moimême, je me détache de moi-même ? Et voilà le sens de ce grand précepte de Jésus-Christ, abneget semetipsum. Il ne veut pas que je renonce ni à mes vrais intérêts, ni à la vraie charité que je me dois à moi-même, ni à la vraie justice que je puis me rendre; mais parce qu'il y a une fausse justice, que je confonds avec la vraie; parce qu'il y a une fausse charité, qui me flatte et qui me séduit; parce qu'il y a un faux intérêt, dont je me laisse éblouir, et qui me perd, et que ce que j'appelle moi-même, n'est rien autre chose que tout cela, il veut que pour me défaire de tout cela, je me défasse de moi-même, en me renonçant moi-même.

Il est raisonnable que je mortifie ma chair, parce qu'autrement ma chair se révoltera contre ma raison et contre Dieu même ; que je captive mes sens, parce qu'autrement la liberté que je leur donnerais m'exposerait à mille tentations; que je traite rudement mon corps et que je le réduise en servitude, parce qu'autrement, affaibli du joug d'une sainte obscurité, je tomberais dans une criminelle et une honteuse mollesse.

Il est raisonnable que la vengeance me soit défendue; car que serait-ce si chacun était en droit de satisfaire ses ressentiments, et à quels excès nous porterait une aveugle passion? Raisonnable, non seulement que j'oublie les injures déjà reçues, mais que je sois prêt à en essuyer encore de nouvelles; et qu'en mille conjonctures où ma faiblesse me ferait perdre la charité, si je m'opiniâtrais à faire valoir dans toute la rigueur mes prétentions, je me relâche de mes prétentions, et je me désiste de mes demandes: pourquoi ? parce que la charité est un bien d'un ordre supérieur, et que je ne dois risquer pour nul autre; parce qu'il n'y a rien que je ne doive sacrifier pour conserver la grâce qui se trouve inséparablement liée à l'amour du prochain. Raisonnable que cet amour du prochain s'étende jusqu'à mes ennemis même les plus mortels, puisque, sans parler de la grandeur d'âme, de cette grandeur héroïque et chrétienne qui paraît dans l'amour d'un ennemi et dans les services qu'on lui rend, la foi m'enseigne que cet homme, pour être mon ennemi, n'en est pas moins mon frère, et que d'ailleurs j'attendrais moimême, si j'étais ennemi de Dieu, que Dieu usât envers moi de miséricorde, et qu'il me prévint de sa grâce. Car pourquoi serais-je plus délicat que lui dans mes sentiments et dans mes aff ctions? Raisonnable, par un retour qui semble d'abord bien surprenant et bien étrange, que je haïsse mes amis, mes proches, ceux mêmes à qui je dois la vie, quand ceux à qui je dois la vie, quand ceux à qui je suis le plus étroitement uni par les liens du sang et de l'amitié sont des obstacles à mon salut. Car alors la raison veut que je m'en éloigne, que je les uie, que je les abhorre; et c'est ainsi qu'il faut entendre cette parole de Jésus-Christ: Si quis venit a

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