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pinion avantageuse que l'auteur avoit de ce poëme, en le considérant comme son plus beau, son meilleur ouvrage, et en général comme ce que les anciens nous ont laissé de plus parfait dans le genre didactique. « Les conseils que le poëte donne aux gens de la campagne, dit M. Binet, sont ceux d'un agriculteur instruit, autant qu'il étoit possible de l'être à l'époque et dans les lieux où il vivoit. Ses descriptions sont exactes et prises dans la nature. Les fables et les prodiges qu'il mêle à ses préceptes, ne sont pas de simples imaginations poétiques ; c'est la religion, ou si l'on veut, le préjugé et la croyance superstitieuse de ceux à qui le poëte est censé adresser ses leçons. Il s'en sert, non pour déguiser ses préceptes, mais pour les appuyer, pour y donner plus d'importance et plus de poids. Le tout est soutenu d'un style plein de dignité, d'une éloquence affectueuse, d'une versification pittoresque qui semble mettre sous les yeux les objets même dont il parle. » Si les Géorgiques sont le poëme le plus parfait de l'antiquité, on peut dire on peut dire que la traduction française que nous en a donnée M. l'abbé Delille, est la traduction la plus parfaite des temps modernes ; traduction originale, comme on l'a dit dans le temps.

Virgile, après avoir travaillé à plaire aux Romains

ce chef-d'œuvre eut paru, l'Italie prit une nouvelle face, et Virgile pouvoit se vanter d'avoir fertilisé les campagnes, comme Amphion d'avoir bâti deș villes par le charme de ses vers.

par ses Bucoliques, et à les instruire par ses Géorgiques, voulut célébrer leur gloire dans un poëme épique consacré à leur origine et particulièrement à ̧ celle des Césars. Il travailla pendant les onze dernières années de sa vie à l'Eneïde, et quoiqu'il n'ait pu mettre la dernière main à ce poëme, cet ouvrage n'en est pas moins une des plus belles productions du génie, et partage avec l'Iliade l'admiration de tous les gens de goût. L'action roule sur la fondation de l'empire latin par Enée, qui n'y parvient qu'après mille obstacles que lui oppose successivement la haine de Junon. Cette action est grande par elle-même et parce qu'il s'agit d'un peuple de qui Rome tire son origine. Combien cet ouvrage devoit intéresser et la nation romaine dont il annonce la gloire future, et la famille des Césars qu'il fait descendre d'Iule (1), fils d'Enée et petit-fils de Priam,

(1) Cette opinion d'une descendance si reculée n'étoit pas le fruit de l'imagination du poëte, car avant lui l'ambitieux Jules César, étant questeur et prononçant l'oraison funèbre de sa tante Julie, femme de C. Marius, exalta beaucoup leur origine commune, qu'il faisoit descendre, d'un côté, d'Ancus Martius, l'un des premiers rois de Rome, et de l'autre, de la déesse Vénus: « On trouve donc dans ma famille, disoit-il, la sainteté des rois qui sont les maîtres des hommes, et la majesté des dieux qui sont les maîtres des rois. »

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D'ailleurs, Virgile n'a guère employé dans son poëme que différens matériaux qui étoient épars dans différens livres, et dont on peut voir quelques-uns dans Denys d'Halicarnasse. Cet historien trace exactement le cours de la navigation d'Énée; il n'oublie ni la fable des Harpies, ni les prédictions de Celeno, ni le petit Ascague, qui s'écrie que les Troyens ont mangé leurs assiettes, etc.

par Créuse sa mère ! L'action n'est pas moins intéressante par le caractère même du héros, en qui l'on voit réunis, dans le plus haut degré, le courage, la prudence, la piété envers les dieux, la bonté envers les hommes; en un mot, toutes les vertus que l'on peut désirer dans l'homme et dans le prince accompli. La morale du poëme intéresse également, car on aime à voir sortir de tant de traverses et de dangers un héros sage et vertueux poursuivi par une puissance ennemie, et luttant contre les rigueurs du sort avec une courageuse et pieuse résignation.

Sous le rapport poétique, cet ouvrage, que l'auteur avoit condamné aux flammes, est encore, avec ses défauts, le plus beau monument qui nous reste de toute l'antiquité. Quelle perfection dans sa poésie! Toujours le mot propre, toujours la même pureté, le même goût, la même richesse dans les descriptions, dans les images, dans les narrations. Quelle connoissance approfondie du cœur humain ! Quelle sensibilité! Quoi de plus touchant surtout que ce vers que Virgile met dans la bouche de Didon accueillant Enée :

Non ignara mali, miseris succurrere disco!

EN. lib. I, 634.

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J. J. Rousseau dit au sujet de ce vers (Emile, liv. Iv): « Rien de si beau, de si profond, de si touchant, de si vrai, que ce vers-là.» Et Voltaire, dans un exemplaire de Virgile, qu'étant fort jeune, il a, dit-on, chargé de notes de sa main, a écrit à côté de

ce même vers: «versus mirificus; » mais cela n'est pas certain (1).

te,

Citons encore un passage du même Voltaire sur le personnel de Virgile : « Il est le seul de tous les poëtes épiques, dit-il, qui ait joui de sa réputation pendant sa vie (2). Les suffrages et l'amitié d'Augusde Mécène, de Tucca, de Pollion, d'Horace, de Gallus, ne servirent pas peu, sans doute, à diriger les jugemens de ses contemporains, qui peut-être sans cela ne lui auroient pas sitôt rendu justice. Quoi qu'il en soit, telle étoit la vénération qu'on avoit pour lui à Rome, qu'un jour, comme il vint

(1) M. de Fontanes qui possédoit cet exemplaire, en a fait le sujet d'un mémoire qu'il a lu à l'Institut en 1796, et qui est consigué dans le Magasin encyclopédique, 2.o année, tom. II, pages 196-204. Cet estimable savant étoit bien persuadé que les notes en question étoient de la main de Voltaire; mais, depuis sa mort arrivée le 17 mars 1821, sa bibliothèque ayant été mise en vente au mois de janvier 1822, ce volume (vendu 60 fr.) a été examiné par des curieux, et surtout par M. Beuchot, l'un de nos bibliographes les plus érudits, qui possède de l'écriture non-seulement de Voltaire, mais de ses trois secrétaires, Longchamp, l'abbé Bigex et Wanière ; M. Beuchot dit qu'il pourroit presqu'affirmer que ces notes ne sont pas de la main de Voltaire, et plus bas il ajoute que tout en admettant que l'écriture de Voltaire a pu et dû changer, il persiste à croire que les susdites notes ne sont pas de sa main. (Voy. le Journal de la Librairie, n.o dụ 19 janvier 1822, pages 45, 46.)

(2) Nous observerons que ce n'est pas comme poëte épique, puisqu'à sa mort il n'avoit pas encore mis la dernière main à l'Énéide, et même que par son testament il l'avoit condamnée au feu. Il n'avoit voulu en réciter à Auguste que le premier, le second, le quatrième et le sixième livre, qui sont effectivement la plus belle partie du poëme.

à paroître au théâtre après qu'on y eut récité quelques-uns de ses vers, tout le peuple se leva avec des acclamations, honneur qu'on ne rendoit alors qu'à l'empereur. Il étoit né d'un caractère doux, modeste, et même timide. Il se déroboit très souvent, en rougissant, à la multitude qui accouroit pour le voir. Il étoit embarrassé de sa gloire; ses mœurs étoient simples; il négligeoit sa personne et ses habillemens; mais cette négligence étoitaimable. Il faisoit les délices de ses amis par cette simplicité qui s'accorde si bien avec le génie et qui semble être donnée aux véritables grands hommes pour adoucir l'envie. Comme les talens sont bornés, et qu'il arrive rarement qu'on touche aux deux extrémités à la fois, il n'étoit plus le même, dit-on, lorsqu'il écrivoit en prose (1). Sénèque le philosophe nous apprend que Virgile n'avoit pas mieux réussi en prose, que Cicéron ne

(1) Macrobe (Saturnales, liv. I, c. 24) nous a conservé les seules lignes de prose qui, je crois, nous restent de Virgile; c'est le fragment d'une lettre qu'il écrivoit à Auguste, et où il parle de son Enéide. Le voici :

"

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Ego vero frequentes à te litteras accipio..... ( et infra).......de AEnea quidem meo, si me Hercule jam dignum auribus haberem. tuis, libenter mitterem ; sed tanta inchoata res est, ut pænè vitio mentis tantum opus ingressus mihi videar; cùm præsertim ut scis alia quoquè studia ad id opus multoque potiora impertiar. « Je reçois souvent de vos lettres... (Et plus bas :) Quant à mon Énéide, je vous jure que si elle étoit digne de vous être présentée, je vous l'enverrois volontiers; mais j'ai formé là une si grande entreprise, que je suis presque tenté de me regarder comme fou, de m'être imposé un tel travail, surtout ayant, comme vous le savez • entrepris d'autres ouvrages plus importans que celui-là. »

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