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Tu peux (et c'est l'effroi dont leur âme est troublée),
Heurtant de leur grandeur la colonne ébranlée,
Frapper ces demi-dieux ;

Et soulevant contre eux la révolte et la guerre,
Cacher dans la poussière

Le trône où leur orgueil crut s'approcher des cieux.
La Nécessité cruelle
Toujours marche à ton côté,
De son sceptre détesté
Frappant la race mortelle.
Cette fille de l'enfer

Porte dans sa main sanglante
Une tenaille brûlante,

Du plomb, des coins et du fer.

L'Espérance te suit, compagne plus propice,
Et la Fidélité, déesse protectrice

Au ciel tendant les bras,

Un voile sur le front, accompagne tes pas,
Lorsqu'annonçant les allarmes,
Sous un vêtement de deuil,
Tu viens occuper le seuil
D'un palais rempli de larmes,
D'où s'éloigne avec effroi,
Et le vulgaire perfide,
Et la courtisane avide,
Et ces convives sans foi,
Qui, dans un temps favorable,

Du mortel tout-puissant, par le sort adopté,
Venaient environner la table,

Et s'enivraient du vin de sa prospérité.
Je t'implore à mon tour, Déesse redoutée,
Auguste va descendre à cette île indomptée
Qui borne l'univers (1) ;
Tandis que nos guerriers vont affronter encore
Ces peuples de l'Aurore,

Qui seuls ont repoussé notre joug et nos fers.

Ah! Rome, vers les dieux lève des mains coupables.
Ils ne sont point lavés, ces forfaits exécrables
Qu'ont vus les immortels.

Elles saignent encor, nos honteuses blessures;
La Fraude et les Parjures,
L'Inceste et l'Homicide entourent les autels.
N'importe, c'est à toi, Fortune, à nous absoudre.
Porte aux antres brûlans, où se forge la foudre,
Nos glaives émoussés.

Dans le sang odieux des guerriers d'Assyrie
Il faut que Rome expie

Les frots de sang romain qu'elle-même a versés.

Quelques idées de cette ode sont empruntées d'une ode de Pindare, où il invoque la Fortune : c'est la douzième des Olympiques.

Fille de Jupiter, Fortune impérieuse,

Les conseils, les combats, les querelles des rois

(1) L'Angleterre, que les Romains regardaient comme une extrémité de l'univers.

La course des vaisseaux sur la mer orageuse,
Tout reconnaît tes lois.

Le ciel mit sur nos yeux le sceau de l'ignorance.
De nos obscurs destins nous portons le fardeau,
De revers en succès traînés par l'espérance

Jusqu'au bord du tombeau.

Le bonheur nous séduit; le malheur nous accable.
Mais nul ne peut percer la nuit de l'avenir;

Tel qui se plaint aux dieux de son sort déplorable,
Demain va les bénir, etc.

On peut se convaincre, en lisant cette ode, de ce que j'ai dit cidessus du poëte lyrique des Romains, qui semblait écouter et suivre une inspiration momentanée, et peindre tout ce qui se présente devant lui. On a vu tout le chemin qu'a fait Horace: on l'a vu monter dans les cieux, descendre dans les enfers, voler avec la Fortune autour des trônes et sur les mers. Tout à coup il se la représente sous un appareil formidable, et il peint l'affreuse Nécessité; il lui donne ensuite un cortége plus doux, l'Espérance et la Fidélité; il l'habille de deuil dans le palais d'un grand disgracié il trace rapidement les festins du bonheur et la fuite des convives infidèles. Enfin il arrive à son but, qui est de recommander Auguste; et sa course est finie.

Voici maintenant deux odes galantes. Toutes deux sont fort courtes ; dans toutes deux il y a un mélange de douceurs et de reproches, de louange et de satire, qui a toujours été l'âme de cette espèce de commerce et le fond des conversations amoureuses : c'est tout comme aujourd'hui. Voilà bien des raisons qui peuvent faire excuser une traduction médiocre.

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Quelle grotte fraîche et tranquille
Est le voluptueux asile

Où ce jeune imprudent, comblé de tes faveurs
Te couvre de parfums, de baisers et de fleurs
C'est pour lui qu'à présent Pyrrha veut être belle;
Que ton goût délicat relève élégamment
Ta simplicité naturelle,

Et fait naître une grâce à chaque mouvement.
Pour lui ta main légère assemble à l'aventure
Une flottante chevelure

Qu'elle attache négligemment.

Hélas! s'il prévoyait les pleurs qu'il doit répandre!
Crédule, s'il s'abandonne à l'amour, au bonheur.
Dans ce calme perfide, il est loin de s'attendre
A l'orage affreux du malheur.

L'orage n'est pas loin: il va bientôt apprendre
Que l'aimable Pyrrha qu'il possède aujourd'hui,
Que Pyrrha si belle et si tendre
N'était pas pour long-temps à lui.
Qu'alors il pleurera son fatale esclavage!
Insensé qui se fie à ton premier accueil !

Pour moi, le temps m'a rendu sage;

J'ai regagné le port, et observe de l'œil
Ceux qui vont, comme moi, se briser à l'écueil
Que j'ai connu par mon naufrage.

Il faut voir ce qu'est Horace jusque dans un simple billet, où il s'agit d'un souper chez sa maîtresse : son imagination riante l'y conduit en bonne compagnie.

O Reine de Paphos, de Gnide et de Cythère !
Viens, quitte ces beaux lieux, quitte-les pour Glycère.
Sa demeure est plus belle, et son encens plus doux.
Mène avec toi l'enfant qui nous commande à tous,
Qui règne sur le monde, et même sur sa mère.
Mercure, ennemi des jaloux,

Les Grâces en robe flottante,
Les Nymphes à l'envi se pressant sur tes pas,
Et la Jeunesse enfin, divinité charmante,
Qui sans toi ne le serait pas.

Quelle flexibilité d'esprit et de style ne faut-il pas pour passer de ces

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images gracieuses au ton de l'ode Justum et tenacem, dont le début, si fier et si imposant a été souvent cité comme un modèle du style sublime!

Le juste est inébranlable

Et sur la base immuable
Des vertus et du devoir,
Il verra, sans s'émouvoir,

Un tyran furieux lui montrant le supplice,
Un peuple soulevé lui dictant l'injustice,
Le bras de Jupiter tout prêt à foudroyer:
Le ciel tonne, la mer gronde,

Sur lui les débris du monde
Tomberont sans l'effrayer.

Il y a dans Horace environ une trentaine d'odes galantes ou amoureuses qui prouvent toutes combien cet écrivain avait l'esprit fin et délicat. Ce sont la plupart des chefs-d'œuvre finis par la main des Grâces. Personne ne lui en avait donné le modèle. Ce n'est point là la manière d'Anacréon: le fond de ces petites pièces est également piquant dans toutes les langues, et chez tous les peuples où règnent la galanterie et la politesse. Elles sont même beaucoup plus agréables pour nous que les odes héroïques du même auteur, dont le fond nous est souvent trop étranger, et dont la marche hardie et rapide ne peut guère être suivie dans notre langue, qui procède avec plus de timidité, et veut toujours de la méthode et des liaisons. Peut-être serions-nous un peu étourdis de la course vagabonde du poëte, et trouverions-nous qu'il y a dans cette espèce d'ouvrage trop pour l'imagination, et pas assez pour l'esprit. Sous ce point de vue, que peuple a son goût analogue à son caractère et à son langage; et il est chasür que nos odes, n'étant pas faites pour être chantées, ne doivent pas ressembler aux odes grecques et latines. La plupart, au contraire, des discours en vers, à peu près aussi suivis, aussi bien liés qu'ils le seraient en prose. Je ne dis pas qu'il faille nous en blâmer absolument ; mais ne seraient-elles pas susceptibles d'un peu plus d'enthousiasme et de rapidité qu'on n'en remarque, même dans nos plus belles? C'est ce qu'il sera temps d'examiner quand il sera question des lyriques modernes (1).

CHAPITRE VIII.

De la Poésie pastorale et de la Fable chez les Anciens.

SECTION PREMIERE.

Pastorales.

sont

Il n'y a point de poésie plus décréditée parmi nous, ni qui soit plus étranILD'S gère à nos mœurs et à notre goût. Ce n'est pas la faute du genre, qui, comme tous les autres, est bon quand il est bien traité, et qui a de l'agrément et du charme : c'est que notre manière de vivre est trop loin de la nature champêtre, et que les modèles de la vie pastorale et des douceurs dont elle est susceptible n'ont jamais été sous nos yeux. C'est dans des climats favorisés de la nature, sous un beau ciel, dans une condition douce

(1) Parmi eux, la première place appartient sans contredit à Rousseau. Mais en finissant cet article, peut-être n'est-il pas inutile d'observer, pour l'intérêt du goût, quel tort lui font ceux qui, rédigeant au hasard des livres élémentaires, des poétiques, des rhétoriques à l'usage des jeunes gens, les induisent en erreur, en citant, à l'abri d'un nom célèbre, de très-mauvais vers dont il ne faudrait parler que pour en faire voir les défauts, bien loin de les rapporter comme des autorités. Tous ces compilateurs

et aisée, que les bergers et les habitans des hameaux peuvent ressembler en quelque chose aux bergers de Théocrite et de Virgile. Ce qui le prou. ve, c'est que les combats de la flûte, tels que nous les voyons tracés dans les églogues grecques et latines, sont encore en usage en Sicile. Il ne faut donc pas croire que ce soit un jeu de l'imagination des poëtes. De tout temps la poésie a été imitatrice, et des paysans grossiers, misérables, abrutis par la misère, la crainte et le besoin, n'auraient jamais pu inspirer aux poëtes l'idée d'une églogue. Les poëtes embellissent, il est vrai; mais il faut que l'objet les ait frappés avant qu'ils songent à l'orner : ils ne peignent pas le contraire de ce qu'ils voient. Sans doute nos bucoliques modernes ne sont que des imitations des anciens, ne sont que des jeux d'esprit. Il n'y a plus parmi nous de Corydons ni de Tircis; mais il y en avait en Grèce et en Italie. Le goût du chant et de la poésie n'y était point étranger aux pasteurs. Il y a des climats où ce goût est naturel, et pour ainsi dire un fruit du sol et un don de la nature. Jugeons-en seulement par nos provinces du midi de la France. Qui ne connait pas la gaité des danses et des chansons provençales? Leurs couplets amoureux et leurs airs tendres sont venus du fond des campagnes jusque sur les théâtres de la capitale c'est que, partout où l'on ressent les influences d'une nature riante et bienfaitrice, on se livre aisément à tous les plaisirs faciles et simples, à tous les goûts innocens qu'elle a mis à la portée de tous les hommes. Voilà dans quel esprit il faut lire les idylles champêtres de Théocrite et les Eglogues de Virgile.

qui se copient fidèlement les uns les autres, et dont le nombre est infini, ne manquent jamais, à propos d'Horace, de transcrire le jugement qu'en à porté Rousseau dans une de ses épitres Le voici :

Non moins brillant, quoique sans étincelle,
Le seul Horace en tous genres excelle,

De Cythérée exalte les faveurs,

Chante les dieux, les héros, les buveurs;
Des sots auteurs berne les vers ineptes,
Nous instruisant pir gracieux préceptes,
Et par sermons de joie antidotés.

De jeunes étudians dont le goût ne peut pas encore être formé, se mettent ces vers dans la mémoire, parce qu'on les leur a fait répeter dans leurs exercices du collége et les croient bons, parce qu'ils sont de Rousseau. Il faudrait au contraire leur faire voir tous les vices de ce style, et combien il rassemble de fautes. Il n'est pas vrai qu'Horace soit sans étincelles: il en a de plus d'une sorte, s'il est vrai qu'on doive entendre par ce mot des traits saillans ses odes surtout en sont pleines. Ce vers de Rousseau semblerait dire que les étincelles sont un défaut; mais jamais ce mot n'a été pris en mauvaise part. Et quoiqu'un mauvais ouvrage puisse avoir des étincelles, rien n'empêche qu'il n'y en ait dans les meilleurs. Dire qu'un écrivain tel qu'Horace exalte les faveurs de Cythérée, c'est s'exprimer d'une manière froide et flasque. Le plus mince rimailleur peut exa'ter ces faveurs-là; mais un Horace, un Chaulieu Tibulle, en parlent en amans et en poëtes, les sentent et les font sentir, et ne les exallent pas. Berner les vers ineptes est une expression basse qui ne peut passer dans un morceau sérieux, et la rime d'ineptes et de préceptes est d'une dureté choquante dans un endroit qui devrajt avoir de la gràce. Instruire par préceptes et par sermons est une construction marotique très-déplacée quand on donne des leçons et qu'on cite un modèle; et des sermons de joie antidotés sont d'un jargon barbare qu'il faudraît réprouver partout. Ces remarques n'empêchent pas que Rousseau ne soit dans d'autres ouvrages un excellent versificateur; mais c'est pour cela mème qu'il ne faut pas aller chercher ce qu'il a de plus mauvais pour le placer dans des livres didactiques. C'est un piége tendu à la jeunesse, que ces livres devraient éclairer.

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