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J'irai gourmander la paresse.

Qu'avec plaisir souvent j'emporte dans mon sein
L'agneau s'égarant sur la rive,

Le chevreau qu'en courant sa mère inattentive
A délaissé sur le chemin !

J'offrirai de mes biens les rustiques prémices
Aux dieux de la vendange, aux dieux du laboureur.
Divinités des champs, qui l'êtes du bonheur,
Vous recevez toujours mes premiers sacrifices!
J'épanche le lait pur en l'honneur de Palès.
Je présente des fruits sur l'autel de Pomone,
Et des épis que je moissonne

J'assemble et forme une couronne

Que ma main va suspendre au temple de Cérès.

Vous, jadis les gardiens d'un plus ample héritage,
Avant que des destins j'eusse éprouvé l'outrage,
Mais de ma pauvreté devenus protecteurs,
O pénales consolateurs !

Jadis le sang d'une génisse

Vous payait le tribut de mon nombreux troupeau ;
Aujourd'hui le sang d'un agneau

Est mon plus riche sacrifice.

Vous l'aurez cet agneau, le plus beau de mes dons.
Vous verrez du hameau la folâtre jeunesse
Autour de la victime exprimant l'allégresse,
Demander en chantant des vins et des moissons.
Ah! prêtez à leurs chants une oreille facile,
Et ne dédaignez pas notre simplicité.
Le premier vase, aux dieux autrefois présenté,
Fut pétri d'une simple argile.

Je n'ai point regretté le bien de mes aïeux,
Content de mon champêtre asile,
Content de reposer sur la couche tranquille
Où le sommeil ferme mes yeux.

Oh! qu'il est doux, lorsque la pluie
A petit bruit tombe des cieux,

De céder à l'attrait d'un sommeil gracieux!
Qu'il est plus doux encor la nuit, près de Délie,
De se sentir pressé dans ses bras amoureux,
Et d'entendre mugir l'aquilon en furie !

Ce sont-là les plaisirs que je demande aux dieux.
Qu'il soit riche, celui que des travaux sans nombre
Ont comblé de trésors si chèrement payés ;

Je suis pauvre, et je vais chercher le frais et l'ombre,
Assis près d'un ruisseau qui murmure à mes pieds.

Ah! périsse tout l'or de la superbe Asie,
Si, pour l'aller ravir, il faut quitter Délie,
S'il faut lui coûter quelques pleurs.
Que Messala prétende aux lauriers des vainqueurs ;
Et que des ennemis les dépouilles brillantes
Ornent de son palais les portes triomphantes:
Moi, je suis dans les fers d'une jeune beauté;
Je vis sous les lois de Délie.

Pourvu que je te voie, ô maitresse chérie !
Je renonce à la gloire, à la postérité ;

Il n'est point d'honneurs que j'envie :
Rien ne vaut mon obscurité.

Oui, j'irais avec toi, sur un mont solitaire,
Conduire un troupeau sur tes pas;

Je consens à n'avoir d'autre lit que la terre,
Pourvu que tu sois dans mes bras.

Eh! d'un lit somptueux l'éclatante parure
N'en écarte pas les ennuis.

La pourpre et le duvet, les eaux et leur murmure
Ne font pas la douceur des nuits.

Qu'importe à nos désirs la couche la plus belle,
Lorsqu'on y veille dans les pleurs,

Lorsqu'on appelle en vain la maîtresse infidele
Qui porte ses amours ailleurs?

Hélas! sans les amours comment souffrir la vie?
Quel cœur, quel cœur d'airain, ò ma chère Délie!
Goutant le bonheur d'être à toi,
Pourrait te préférer une gloire frivole?
Les triomphes du Capitole

Valent-ils un regard que tu jettes sur moi?
Ah! que ma paupière mourante

Se tourne encor vers toi dans mon dernier moment;
Que, par un dernier mouvement,

Je presse encor tes mains dans ma main défaillante!
Tu pleureras sans doute auprès de mon bûcher.
Tes yeux, ces yeux si pleins de charmes,
Répandront sur moi quelques larmes;
Tu n'as pas un cœur de rocher.

Tu pleureras, Délie; et l'amant jeune et tendre,
Et l'amante, objet de ses vœux,

Te verront honorer ma cendre,

Et s'en retourneront les larmes dans les yeux.
Mais garde-toi d'outrager ta belle chevelure,
De blesser de ton front l'ivoire ensanglanté.
Aux mànes d'un amant c'est faire trop d'injure,
Que d'attenter à ta beauté.

Hátons-nous, dérobons à la Parque inflexible
Le moment de jouir, d'aimer et d'être heureux.
Le temps entraine tout dans sa course insensible.
La mort viendra bientôt de son voile terrible
Couvrir nos amours et nos jeux.
Le temps n'épargne point les amans et les belles,
Et l'Amour ne sied pas au déclin de nos ans.
Il ne repose point ses inconstantes ailes

Sur une tête à cheveux blancs.

Je suis encore à lui, je vis sous sa puissance.
Content du peu qui m'est resté,

Je coule en paix mes jours sans chercher l'opulence,
Et sans craindre la pauvreté.

FIN DU LIVRE PREMIER.

AVIS DE L'ÉDITEUR.

Le public nous saura gré de lui remettre sous les yeux la deuxième et la troisième partie du discours que M. de La Harpe a mis en tête de sa traduction des Psaumes, et qui traite de la Poésie sacrée. Il remplira d'autant mieux le vide qui se faisait remarquer dans les premières éditions sur cette partie importante, qu'elle y est traitée par main de maitre, ce discours étant au juge ment des gens de lettres, un des meilleurs morceaux qui soient sortis de la plume de notre auteur.

DISCOURS

SUR LE STYLE DES PROPHÈTES

ET

L'ESPRIT DES LIVRES SAINTS.

Des Psaumes et des Prophéties, considérés d'abord comme ouvrages

QUAND

de poésie.

UAND les poëmes de Moïse, de David, d'Isaïe et des autres prophetes, ne nous auraient été transmis que comme des productions purement humaines, ils seraient encore, par leur originalité et leur antiquité, dignes de toute l'attention des hommes qui pensent, et, par les beautés uniques dont ils brillent, dignes de l'admiration et de l'étude de tous ceux qui ont le sentiment du beau. C'est aussi l'hommage qu'on leur a toujours rendu; et de nos jours, un Anglais (r) plein de goût et de connaissances, qui était professeur de poésie au collége d'Oxford, a consacré à celle des Hébreux un ouvrage qui a été beaucoup lu, quoique fort savant, et qu'on regarde comme un des meilleurs livres que l'Angleterre ait produits. La mode de l'irréligion, qui date en France du milieu de ce siècle, n'a pas même détruit parmi nos littérateurs l'impression que doivent faire les poésies sacrées sur quiconque est capable de les sentir. On a vu les plus déterminés ennemis de la religion, révérer comme poëtes ceux qu'ils rejetaient comme prophètes, et Diderot laissait à la Bible une place dans sa bibliothèque choisie à côté d'Homère (2).

Voltaire seul, parmi les gens de lettres dont l'opinion peut marquer, a toujours fait sa profession d'un grand mépris pour les Psaumes et les

(1) Le docteur Lowth, professeur, et depuis évêque d'Oxford. Voyez son livre de sacra Poesi Hebræorum, où il approfondit ce que je ne puis ici qu'effleurer. Cet ouvrage est formé des leçons latines qu'il lisait au collège d'Oxford, comme de nos jours quelques gens de lettres en lisaient de françaises au Lycée.

(2) Voyez l'Eloge de Richardson.

prophéties, comme pour toute l'Ecriture en général; et ce n'était pas chez lui jugement, mais passion. Le goût qu'il a montré d'ailleurs ne permet pas d'en douter; et l'on convient que c'est à lui surtout qu'on pouvait appliquer ces vers d'une de ses tragédies:

Toutes les passions sont en lui des fureurs.

Il n'a cessé, pendant trente ans, de travestir l'Ecriture en prose et en vers, pour se donner le droit de s'en moquer. Il n'en fallait pas davantage pour entraîner à sa suite une foule d'ignorans et d'étourdis, qui n'ont jamais connu la Bible que par les parodies qu'il en a faites, et qui, n'étant pas même en état d'entendre le latin du Psautier, ont jugé des poëmes hébreux d'après les facéties de Voltaire, comme ils parlaient des pièces de Voltaire lui-même d'après les feuilles de Fréron.

On ne se flatte pas d'imposer silence à cette espèce d'hommes sur qui la raison a perdu ses droits, surtout depuis que la déraison est, de toutes les puissances la plus accréditée. Mais, comme un des vices de l'esprit français est d'être plus susceptible qu'aucun autre de la contagion du ridicule, bien ou mal appliqué, il n'est pas inutile de rétablir la vérité, du moins pour ceux qui, étant capables encore de l'entendre, n'ont besoin que de la connaître. Il faut leur donner une juste idée de ce qu'on leur a présenté comme un objet de risée, et réduire à leur juste valeur les plaisanteries et les objections également mal fondées, qui tiennent si souvent lieu de critique et de raisonnement. C'est ici seulement que je me permettrai quelque discussion littéraire, parce qu'elle est d'une utilité générale, et qu'elle tient à un intérêt réel, celui d'ôter à l'irréligion le mobile de l'amour-propre, en faisant voir que ce qu'elle prend pour une preuve de supériorité, en fait de critique et de goût, n'est qu'une preuve d'ignorance; en faisant voir combien il est aisé de confondre un mépris aussi injuste en lui-même que pernicieux dans ses conséquences, et de détruire des préventions qui n'ont été répandues que par la mauvaise foi, et adoptées que par la légèreté, D'ailleurs, si ce discours n'est pas en tout, comme le reste de l'ouvrage, à la portée de toutes les classes de lecteurs, il peut au moins servir à ceux qui influent naturellement sur l'esprit général.

On peut dire d'abord aux contempteurs sur parole: Si vous déférez au nom et à l'autorité, Voltaire est ici seul contre tous, et son jugement est en lui-même suspect, comme tout jugement ab irato, puisque sa haine forcenée contre la religion l'a jeté dans des écarts qui ont fait rire plus d'une fois jusqu'à ses amis. Et puis, lequel vaut le mieux, s'il s'agit d'esprit et de talens, ou de n'avoir vu dans l'Ecriture, comme Voltaire, que de quoi égayer sa muse par des impiétés, ou d'y avoir vu, comme Racine, de quoi faire Esther et Athalie, et, comme Rousseau, des odes sacrées, c'est-à-dire, ce qu'il y a de plus parfait dans la poésie française ? Réfléchissez et jugez.

Ensuite, quel artifice plus grossier et plus méprisable que celui dont Voltaire et ses imitateurs se sont servis pour donner le change sur des ouvrages écrits dans la plus ancienne de toutes les langues connues? Ils les ont offerts, dépouillés de leurs couleurs natives, et habillés de la troisième ou quatrième main, dans des versions platement littérales, ou même odieusement infidèles ; et qu'y a-t-il au monde qu'il ne soit aisé de défigurer ainsi? Traduisez mot à mot Virgile lui-même, quoique bien moins ancien et bien moins éloigné du goût de notre langue, et vous verrez ce qu'il deviendra. On se souvient encore combien tous les gens de lettres du dernier siècle se moquèrent de Perrault, qui, ne sachant pas un mot de grec, voulait absolument qu'on jugeât Pindare sur un plat

français traduit d'un plat latin (1). Quoi de plus inepte, en effet, que de juger une poésie grecque sur le latin littéral d'un scoliaste; et comment un homme tel que Voltaire, qui avait tant de fois bafoué ce genre d'ineptie dans les censeurs de l'antiquité, en fait-il lui-même le principe de sa critique des livres saints, au risque de faire rire tous les lecteurs instruits? C'est que la haine ne voit rien que son but, qui est de satisfaire et de tromper. On a beau lui crier : Mais tu ne tromperas que les sots et les ignorans; elle répond: Que m'importe? n'est-ce pas le grand nombre? Enfin, depuis quand la parodie, dont l'objet n'est que de divertir, estelle une méthode pour juger? Voltaire jetait les hauts cris quand on parodiait ses tragédies: il n'a pas assez d'expressions pour faire sentir combien c'est un genre détestable, l'ennemi du génie et le scandale du goût; et il est très-vrai que ce qu'il y a de plus sublime est précisément ce qui prête le plus au plaisant de la parodie, comme les taches marquent davantage sur l'étoffe la plus riche et sur la couleur la plus brillante. Voltaire le savait mieux que personne, et il fait le drame de Saül, où il parodie, entre autres choses, la manière dont le prophète Nathan arrache à David l'aveu et la condamnation de son crime, et le force de prononcer lui-même sa sentence; c'est-à-dire, que Voltaire livre au ridicule ce qui, en tout temps et en tout pays, indépendamment de toute croyance religieuse, frappera d'admiration sous tous les rapports. Faites prononcer devant les hommes rassemblés, quelque part que ce soit, ces mots si simples et si foudroyans: Tu es ille vir: « Vous êtes cet homme .», et tout retentira d'acclamations. Je voudrais bien qu'on me dit ce qu'il peut y avoir de mérite et d'esprit à trouver cela risible, et je suis sûr qu'aujourd'hui même personne ne me le dira. Et qu'aurait dit Voltaire, si l'on avait jugé Zaïre sur la parodie des Enfans trouvés, et Andromaque sur la folle Querelte? C'est pourtant ce qu'il faisait et ce qu'il voulait qu'on fit pour David; et David lui aurait suffisamment répondu, par ce mot si connu d'un de ses psau mes: Mentita est iniquitas sibi; « L'iniquité a menti contre elle-même. »

Il savait bien nous dire, quand il voulut justifier son (2) cantique des cantiques, contre l'autorité qui l'avait condamné, « qu'il ne fallait pas juger >> les mœurs des Orientaux par les nôtres, ni la simplicité des premiers » siècles par la corruption raffinée de nos temps modernes ; que nos pe» tites vanités, nos petites bienséances hypocrites n'étaient pas connues » à Jérusalem; et qu'on pensait et qu'on s'exprimait autrement à Jérusa» lem que dans la rue Saint-André-des-Arts (1). Rien n'est plus vrai ni plus

(1) Il fut assez maladroit pour choisir précisément un morceau sublime, le début de la première Pythique, qu'il trouvait extrêmement ridicule, et c'est à lui que le ridicule est resté. Il avait lu dans un latin fait pour des écoliers, optimum quidem aqua, et il traduit de même, l'eau est très-bonne à la vérité. Il ne savait pas que le mot grec offre ici l'idée de l'eau élément ; que celui qui répond au latin optimum n'exprime point ici la bonté, mais la prééminence; que la particule grecque, qui répond à quidem, et qu'il traduit, à la vérité, n'est qu'une expletive qui marque à l'esprit l'ordre des idées, et qui souvent ne doit pas se traduire, surtout par ces mots à la vérité qui feraient tomber parmi nous le vers d'ailleurs le plus sublime. Que de choses tiennent au génie d'une langue, et qui défendent de juger, à moins de la savoir!

Et voilà ce que fait l'ignorance.
LA FONTAINE.

(2) On peut bien dire son cantique, car ce n'est pas celui de Salomon.

(3) Ce sont-là à peu près, autant qu'il m'en souvient, les termes de sa Lettre à M. Eraton, et c'en est très-certainement la substance, quoique je ne puisse citer ici que de mémoire, n'ayant point le livre sous mes yeux, et obligé souvent de travailler

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