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cédent, c'est celle de Quintilien, c'est, dans tous les temps, celle de tous les bons critiques.

Les autres ouvrages de Cicéron sur l'art oratoire sont, 1.o deux livres intitulés de l'Invention, qui ne sont, à ce qu'il nous apprend lui-même, que le résumé des leçons qu'il avait prises dans les écoles et les cahiers de sa rhétorique. Comme il était déjà très-distingué, ses camarades les publièrent par un excès de zèle, qu'il trouva indiscret et mal entendu.

2.o Un petit traité des Topiques, mot grec qui ne signifie plus aujourd'hui qu'un remède local, mais qui, dans la langue des anciens rhéteurs, signifiait les lieux communs du raisonnement, ou les sources générales où l'on pouvait puiser des argumens pour toutes sortes d'occasions. Cet ouvrage est tiré d'Aristote, et purement scolastique.

3. Un traité des Partitions oratoires, ou de la division des parties du discours, emprunté aussi d'Aristote, qui, dans tout ce qui regarde les élémens des arts de l'esprit, a servi de guide à tous ceux qui sont venus après lui. Ce livre est de la même nature que le précédent, ef n'est fait que pour être étudié par les gens de l'art.

Enfin le livre intitulé Brutus ou des Orateurs célébres, qui n'est qu'une histoire raisonnée de l'éloquence chez les Grecs et chez les Latins. Ce que j'en pourrai extraire ici me servira mieux d'introduction quand j'aurai à parler des orateurs d'Athènes et de Rome.

APPENDICE,

ou Observations sur les deux Chapitres précédens.

IL ne faut pas donner à ces divisions et subdivisions élémentaires que vous avez vues dans Quintilien et Cicéron, plus d'importance qu'elles n'en doivent avoir. Il est sans doute très-aisé de les ignorer et de s'en moquer; mais il est utile de les connaître et de les réduire à leur juste valeur. Il convient d'abord de remarquer pourquoi les anciens se sont attachés à ces sortes de définitions et de subdivisions: c'est que les premiers maîtres de l'art, les premiers rhéteurs, ont été des sophistes; que par conséquent ils ont apporté jusque dans les arts d'imagination les termes scolastiques, dont la rigoureuse précision ne semble pas faite pour ces sortes d'objets. La grande réputation d'Aristote, qui surpassa tous ces rhéteurs, qui réunit tous leurs principes et les perfectionna dans sa rhétorique, le nom et l'exemple de Cicéron et de Quintilien, qui suivirent la même route en y semant les fleurs de leur génie, tout a servi à consacrer cette méthode, dont ces grands hommes ont su couvrir les inconvéniens. Elle n'est pourtant pas tout-à-fait inutile: tout ce qui sert à classer les objets sert aussi à les éclaircir; mais il n'y a point de procédé didactique qui soit si près de l'abus. Si ces classifications, même dans les sciences, sont souvent insuffisantes, et même inexactes, elles le sont bien plus encore dans les arts d'imagination. Appliquons cette espèce de critique à cette division du genre démonstratif, délibératif et judiciaire.

Les anciens appelaient genre démonstratif celui qui sert à la louange et au blâme. Un homme qui ne saurait que la langue française aurait peine à se persuader que le mot démonstratif fût susceptible de ce sens-là. Dé montrer, chez nous, c'est porter un objet jusqu'à l'évidence; mais en latin et en grec, il signifie aussi ce que serait chez nous le mot expositif: il voulait dire ce qui expose un objet dans toute sa beauté, ce qui l'expose dans toute sa laideur, dans ses avantages ou désavantages, dans sa gloire ou dans

sa honte, etc. Ils renfermaient dans cette définition l'éloge ou la satire d'une ville, d'un empire, d'un héros; le panégyrique des morts, ou l'oraison funèbre, les discours à la louange des dieux, etc.

Le genre délibératif était celui qui sert à résoudre les questions agitées dans les assemblées politiques; le judiciaire, celui qui sert à résoudre les questions agitées dans les tribunaux.

Mais qui ne voit, au premier aperçu, que ces trois genres rentrent nécessairement par beaucoup d'endroits les uns dans les autres? Il est très-difficile d'établir un objet judiciaire sans avoir à louer ou à blâmer, soit que vous soyez accusateur ou accusé; et vous voilà rentré dans le genre démonstratif.

La plupart des questions judiciaires rentrent aussi dans le genre délibératif. Il s'agit de savoir si un tel est coupable ou non; si tel délit, si tel fait a eu lieu ou n'a pas eu lieu; s'il doit être appliqué à tel principe ou à tel autre s'il doit être ou non considéré sous tel point de vue; et voilà un genre déïbératif.

Il faut pourtant rendre justice aux anciens, et savoir ce qui leur a servi d'excuse dans cette méthode. Ils se sont la plupart appliqués particulièrement à faire valoir le genre judiciaire, à montrer sa supériorité sur tous les autres, en raison de la difficulté, et il a été l'objet des ouvrages didactiques des plus grands hommes, des orateurs les plus célèbres de l'antiquité il suffit de les nommer, Cicéron et Quintilien. Cette préférence tenait toujours aux mœurs, aux coutumes, aux habitudes et à l'esprit des gouvernemens. Il y avait chez eux une institution d'une extrême importance, et que, dans une république, je crois nécessaire : c'était l'accusation particulière, la faculté qu'avait chaque citoyen d'en accuser un autre, mais toujours aux termes d'une loi, jamais autrement.

Vous voyez d'ici quelle importance dut acquérir chez ces peuples, dans Athènes et à Rome, le talent de l'accusation et de la défense, et comment la division des genres leur servait à mettre au-dessus de tout, le judiciaire. Ce genre se trouvait naturellement lié aux plus grands intérêts de l'état. Les accusations étaient ou publiques ou privées; car il s'agissait de délits qui regardaient l'état ou des particuliers. Tous les intérêts se croisaient, soit pour l'accusation, soit pour la défense. Souvent même la destinée de l'état était attachée au gain d'un procès.

Jugez par-là de l'importance extraordinaire que ces peuple mettaient à approfondir la science de l'accusation et de la défense, et par conséquent de tous les secrets de ce qu'ils appelaient le genre judiciaire.

Les ouvrages de Cicéron et de Quintilien ne traitent presque que de cette matière ; et c'est encore ce qui confirme l'observation que j'ai faite en commençant, que ces genres rentrent les uns dans les autres; car, puisque des hommes qui se sont proposé d'établir et de développer toutes les parties de l'art, ont cru l'avoir fait en les appliquant à un seul des trois genres, il en résulte évidemment que les règles qui sont bonnes pour un genre le sont pour les autres, et que la division devient à peu près gratuite et inutile.

Une autre division qui suivait celle-là me paraît encore moins fondée: c'était la division qu'ils établissaient entre le genre simple, le genre tempéré et le genre sublime.

Ils appelaient genre simple celui qui convient aux sujets vulgaires et subordonnés ; le genre tempéré, celui qui est susceptible de simplicité et d'ornement. Il y a encore ici une différence d'une langue à une autre. Le genre tempéré, genere temperato, ne signifie pas ce qui est calme, ce qui est posé; il signifie, chez eux, ce qui est mélangé, susceptible d'amal

comme de simplicité et d'ornement : c'était proprement un genre

game, co mixte.

Le genre sublime était réservé aux grands sujets. Il est bien facile d'observer que cette division-là n'a pas d'objet bien distinct, et qu'elle ne conduit à aucun résultat essentiel. Dans l'application, il s'ensuivrait qu'un genre de discours pût être tellement simple, qu'il ne pût comporter ni sublime, ni même aucun ornement; et alors serait-il oratoire? De mème, le genre susceptible d'ornement peut-il l'être au point d'exclure la simplicité, qui, en tout genre, a son prix?

A l'égard du genre sublime, il n'y a point de sujet qui exige, qui vous permette même d'être continuellement sublime. L'homme qui voudrait être toujours sublime ne serait que ridicule et insensé.

Cette espèce de définition est donc vague, et même futile, et il faut en revenir à ce grand principe, qu'il n'y a à considérer dans l'éloquence que la convenance, que ce que Quintilien appelait aptè dicere, parler convenablement : ce mot renferme tout. Le point capital est de bien saisir fe rapport naturel qui se trouve entre le sujet et le style qui lui convient, entre tel ordre d'idées et tel genre de diction : le principe est vaste et fécond; les détails sont infinis; nous y entrerons autant qu'il nous sera possible.

:

Une troisième classification pouvait avoir un objet plus direct et plus réel ce sont les parties de la composition. Elles ont été divisées en invention, disposition et élocution. Cette division est raisonnable; elle est bonne dans tout état de cause. Il faut toujours commencer par concevoir son sujet et les matériaux qu'il comporte : c'est ce qu'ils appellent l'invention. Il faut en disposer les parties dans un ordre naturel et judicieux; voilà la disposition.

Il faut enfin savoir les traiter dans un style adapté au sujet, ce qui est l'élocution; et cette dernière partie était, au jugement de Quintilien et de Cicéron, la plus difficile de toutes : elle l'est encore aujourd'hui; car c'est en charmant l'oreille et l'imagination que l'on arrive jusqu'au cœur, et que l'on parvient à éclairer et à persuader.

Les anciens comprenaient dans la partie de l'invention, le choix des preuves, les pensées, les exemples, les autorités, les passions à émou- ' voir, les lieux communs, etc. Ils comprenaient dans la disposition ce qui est de l'essence de tout discours, l'exorde, la proposition, c'est-à-dire, la question ou le fait, la confirmation, la réfutation, s'il y a lieu, et la péroraison.

Vous sentez que l'examen de ces cinq objets acquiert plus d'intérêt, et devient susceptible de plus de développement à mesure qu'il s'agit de discours qui comportent plus d'étendue; car, sans doute, il ne faudrait pas toujours, dans une assemblée délibérante, s'astreindre à faire proprement un exorde, à développer une confirmation, et ensuite une réfutation, et enfin une péroraison. Il s'en faut de beaucoup que toute espèce de délibération soit de nature à embrasser toutes ces parties dans l'étendue que l'on peut leur donner.

Il n'est pas moins vrai que, quelque sujet que vous traitiez, il est naturel et même essentiel de commencer par prévenir vos auditeurs, soit. en votre faveur, s'il est question d'une cause personnelle, soit en faveur de la cause pour laquelle vous parlez, soit même contre l'avis que vous Voulez infirmer.

L'exorde, qu'on peut appeler, en langage plus familier, début, exige donc de la réflexion et du choix. Ensuite il sera essentiel, avant de passer à la confirmation (et ceci peut s'appliquer aussi à l'éloquence délibérative), de bien déterminer l'état d'une question quelconque, et de poser

le principe auquel la question est applicable. Avec ce procédé de logique, tout esprit juste est sûr d'arriver à une démonstration.

Après la confirmation vient naturellement la réfutation de l'avis contraire; et, à l'égard de la péroraison ou récapitulation, elle consistera à résumer et à présenter en peu de mots les points les plus décisifs qui doivent déterminer l'assentiment.

En revenant sur chacune de ces parties, nous trouverons que l'exorde doit être ordinairement de la plus grande clarté, de la plus grande simplicité, de la plus grande netteté, à moins que l'occasion ne vous présente un mouvement heureux, ce que les anciens appelaient l'exorde er abrupto, par lequel vous commencez à heurter impétueusement, ou un sophisme révoltant, ou une proposition totalement illégale et insensée. Quand vous avez cet avantage sur l'adversaire que vous voulez renverser, vous pouvez l'attaquer de front, sans préparation, sans ménagement, sans vous donner même le temps d'aiguiser vos armes. A moins de cette circonstance, il est toujours utile et préférable de s'assurer d'un début qui puisse vous concilier l'auditeur et attirer son attention.

L'orateur peut faire entrer dans son exorde des réflexions qui lui sont personnelles, des retours sur lui-même: rien n'est plus naturel dans le judiciaire, rien n'est plus délicat dans la délibération. Communément, ces retours sur soi-même sont susceptibles de quelque apparence d'amourpropre; et, à moins que l'apologie ne les rende nécessaires (car l'on pardonne tout à celui qui est obligé de se jusifier), il ne faut guère se permettre cette espèce d'exorde personnel: il vaut mieux employer des exordes généraux, qui présentent quelques vérités applicables au fait dontil s'agit. L'avantage de ces exordes est de vous assurer une prévention avantageuse dans l'esprit des auditeurs, qui s'aperçoivent que vous êtes capable d'embrasser ces vérités universelles, ces principes lumineux auxquels tous les cas particuliers viennent se rejoindre. Généralement, en toute matière à délibérer, on ne peut trop se hâter d'en venir à la question : ainsi, deux ou trois phrases d'exorde suffisent ordinairement.

Les questions sont générales ou particulières; si elles sont générales, c'est le cas où la logique doit triompher; si elles sont particulières, s'il s'agit de tel ou tel individu, c'est là ou la louange ou le blâme, tout ce que les anciens appelaient les ressorts du genre démonstratif, doit se déployer. Voyez Cicéron contre Pison, Vatinius; Démosthène contre Eschine, etc.

A l'égard de la péroraison ou récapitulation, elle ne peut guère s'appliquer avec quelque étendue qu'aux discours médités; mais elle est toujours nécessaire, parce qu'il importe de laisser dans l'âme de ses auditeurs une idée nette et une impression profonde de ce qu'on a voulu persuader.

La récapitulation doit surtout représenter, avec la plus grande force possible, les différens endroits touchés dans le discours, qui ont dû produire le plus d'effet. Il faut leur donner une forme nouvelle pour carac tériser avec plus d'énergie ce que l'on n'avait fait que présenter.

Presque toujours les dernières phrases sont les plus décisives, quand elles sont bien adaptées à la question.

Les premières notions générales sont dans les arts ce qu'il y a de plus abstrait, et par conséquent ne peuvent être exemptes d'un peu de sécheresse. C'est lorsque l'on vient de la théorie des préceptes à l'application des exemples que les arts et l'enseignement des arts peuvent atteindre tout l'intérêt qu'ils comportent; c'est alors qu'on en aperçoit toute l'étendue, surtout dans les ouvrages des classiques anciens ou modernes. Vous tronverez sans doute bon que, dans les séances subséquentes, j'applique de

femps en temps à chacun les principes sur lesquels je reviendrai quel-` ques-uns des morceaux des plus frappans d'éloquence grecque ou latine que je mettrai sous vos yeux.

CHAPITRE III.

Explication des différens moyens de l'art oratoire, considérés particulièrement dans Démosthène.

SECTION PREMIÈRE,

Des Orateurs qui ont précédé Démosthene, et du caractère de son éloquence.

ce

UN trait remarquable dans l'histoire de l'esprit humain, c'est que co sont deux républiques qui ont laissé au monde entier les modèles éternels de la poésie et de l'éloquence. C'est du sein de la liberté que se sont répandues deux fois sur la terre les lumières du bon goût qui éclairent encore les nations policées de nos jours. On a très-improprement appelé siècle d'Alexandre celui qui a commencé à Périclès et finit sous ce fameux conquérant, dont les triomphes en Asie n'eurent assurément aucune part à la gloire littéraire des Grecs, qui expira précisément à cette époque avec leur liberté. De tous ces grands empires qui avaient précédé le sien, il n'est resté que le souvenir d'une puissance renversée; mais les arts de l'imagination, le goût, le génie, ont été du moins le noble héritage que l'ancienne liberté nous a transmis, et que nous avons recueilli dans les débris de Rome et d'Athènes.

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Ces arts si brillans, portés à un si haut point de perfection, eurent comme toutes les choses humaines, de faibles commencemens. Ce qui nous reste d'Antiphon, d'Andocide, de Lycurgue le rhéteur, d'Hérode, de Lesbonax, ne s'élève pas au-dessus de la médiocrité. Périclès, Lysias, Isocrate, Hypéride, Isée, Eschine, paraissent avoir été les premiers dans le second rang, car Démosthène est seul dans le sien. On remarque, dans ce qui nous reste d'Isocrate, une diction ornée, élé-. gante, de la douceur, de la grâce, surtout une harmonie soignée, avec un scrupule qui est peut-être porté trop loin. Sa timidité naturelle et la faiblesse de son organe l'eloignèrent du barreau et de la tribune; mais il se procura une autre espèce d'illustration en ouvrant une école d'éloquence, qui fut pendant plus de soixante ans la plus célèbre de toute la Grèce, et rendit de grands services à l'art oratoire, comme l'atteste Cicéron dans son jugement sur les orateurs grecs. Je ne puis mieux faire que de rapporter ce précis fait par un juge si distingué, et qui était beaucoup plus près que nous des objets dont il parlait,

« C'est dans Athènes, dit-il, qu'exista le premier orateur, et cet ora» teur fut Périclès. Avant lui et Thucydide son contemporain, on ne » trouve rien qui ressemble à la véritable éloquence. On croit cependant » que, long-temps auparavant, le vieux Solon, Pisistrate et Clisthène » avaient du mérite pour leur temps. Après eux, Thémistocle parut su»périeur aux autres par le talent de la parole, comme par ses lumières » en politique. Enfin Périclès, renommé par tant d'autres qualités, le fut » surtout par celle de grand orateur. On convient aussi que, dans le même > temps, Cléon, quoique citoyen turbulent, n'en fut pas moins un homme » éloquent. A la même époque se présentent Alcibiade, Critias, Théra~ » mene; comme il ne nous reste rien d'aucun d'eux, ce n'est guère que

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