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PRÉFACE.

QUOIQUE cet ouvrage soit le fruit des études de ma vie entière, il est pourtant vrai qu'il fut composé par occasion, et accommodé à des circonstances indépendantes de l'auteur. Jamais peut-être n'y aurais-je pensé sans cet établissement connu sous le nom de Lycée, qui prit naissance au commencement de 1786 et qui doit sa première origine au Musée de cet infortuné Pilâtre de Rosier, que nous avons vu depuis périr dans une de ces expériences aérostatiques, victime de son zèle pour les sciences. Déjà ce zèle n'avait pas été aussi heureux qu'il méritait de l'être, dans la formation de son Musée. On avait été obligé d'y renoncer, et de vendre le cabinet de physique et la bibliothèque. Quelques amateurs des lettres, et à leur tête MM. de Montmorin et de Montesquiou, dont le premier a péri depuis si malheureusement et à une époque si affreuse associés alors avec d'autres actionnaires, firent les fonds du nouvel établissement, dont le plan fut étendu et amélioré, et qui prit le nom de Lycée. On sait quel prodigieux succès il eut jusqu'en 1789 : ce fut aussi une affaire de mode, comme il arrivait alors à toute espèce de succès, mérité ou non ; mais on peut dire que cette fois elle s'y mêla sans y rien gâter. L'esprit révolutionnaire, qui fut aussi d'abord une espèce de mode mais absolument nouvelle, et qui ne ressemblait à aucune autre, porta seul au Lycée une atteinte sensible, commune en général à tout ce qui tenait aux lettres, aux sciences, à tout genre d'instruction et de morale. On se rappellera long-temps à quel excès le Lycée fut défiguré et souillé, et c'était un devoir

pour moi de consigner dans ce Cours les souvenirs de cette ignominie. Les espérances que fit renaître une époque salutaire à la France, celle qui mit un terme au règne de la terreur, ranimèrent un moment le Lycée, et lui rendirent du moins ce degré de liberté qui, sans écarter le danger de parler, ne rend pas cependant le silence indispensable, et permet que le courage de la vérité puisse n'être pas inutile. Mais on conçoit aisément qu'au milieu des secousses politiques, inévitables et multipliées, jamais le Lycée n'ait pu reprendre sa première splendeur; et l'on n'en doit que plus d'éloges aux efforts infatigables de l'administration, qui depuis quelques années lutte contre les obstacles de tout genre, et tâche au moins de préserver cet établissement d'une ruine totale.

Cependant, par une suite naturelle de cette vogue étonnante et de cet éclat imprévu qui marquèrent les beaux jours du Lycée, je me vis entraîné rapidement, et presque sans y penser, bien au-delà de mes premières vues; et des encouragemens toujours nouveaux me donnant sans cesse de nouvelles forces pour un travail toujours renaissant, je vis s'ouvrir devant moi une vaste carrière que je n'aurais jamais osé entreprendre s'il m'eût été donné d'en mesurer d'abord toute l'étendue, mais qui, s'agrandissant par une progression insensible, me conduisit enfin vers un terme où je n'ai pu parvenir que parce que tout concourait à m'en dérober l'éloignement.

En effet, le premier aveu que je dois faire, c'est qu'une telle entreprise était certainement au-dessus de mes forces s'il fallait qu'elle fût également remplie dans toutes les parties. qu'elle embrasse, et que je n'ai pu également approfondir. J'ose dire même que l'on peut douter qu'un seul homme pût en venir à bout: il faudrait réunir trop de divers talens et de diverses connaissances, dont je suis fort éloigné. Nous avons, il est vrai, une multitude de livres didactiques ou de recueils bibliographiques, dont je contesterai d'autant moins le mérite, que plusieurs ne m'ont pas été inutiles; mais tous traitent d'ob

jets particuliers, ou ne sont, dans les choses générales, que des nomenclatures et des Dictionnaires. Mais c'est ici, je crois, la première fois, soit en France, soit même en Europe, qu'on offre au public une histoire raisonnée de tous les arts de l'esprit et de l'imagination, depuis Homère jusqu'à nos jours, qui n'exclut que les sciences exactes et les sciences physiques. Je ne puis trop répéter combien je me sens au-dessous d'un si grand sujet, et si on me croyait ici moins modeste que je ne le veux paraître, c'est qu'on me croirait aussi plus ignorant que je ne suis; car il suffit d'avoir étudié, comme je l'ai fait, quelquesuns des objets de ce Cours, pour sentir comme moi qu'an seul peut-être dema nderait toute la vie d'un artiste, et d'un bon artiste, pour avoir toute son intégrité et toute sa perfection. Mais on a vu comment j'ai été amené à ce plan : on verra quels efforts j'ai faits depuis douze ans pour le remplir, au moins selon mes moyens; et sans doute ceux qui sauront le mieux tout ce qui devait s'y trouver, seront aussi ceux qui excuseront le plus volontiers tout ce qui doit encore y manquer.

Ceux-là aussi comprendront qu'il m'en a coûté beaucoup plus pour me resserrer, qu'il ne m'en eût coûté pour m'étendre; et ce n'a pas été une des moindres difficultés de mon travail, de le renfermer en douze volumes (1). S'il y a encore quelque superflu, quelque répétition inévitable dans un si long ouvrage, c'est un léger inconvénient; mais c'en serait un grand s'il y manquait quelque chose d'essentiel; et c'est là-dessus particulièrement que je prie les hommes instruits de vouloir bien m'avertir.

Ce n'est ici, ni un livre élémentaire pour les jeunes étudians, ni un livre d'érudition pour les savans. C'est, autant que je l'ai pu, la fleur, le suc, la substance de tous les objets. d'instruction, qui sont ceux de mon ouvrage : c'est le com

(1) Sans y compter la Philosophie du dix-huitième siècle, qui formera seule un grand objet, traité part, vu son extrême importance. (Voyez à la fin de cette édition. )

plément des études pour ceux qui peuvent pousser plus loin celles qu'ils ont faites : c'en est le supplément pour les gens du monde qui n'ont pas le temps d'en faire d'autres. Mais j'ai désiré, je l'avoue, que ce pût en être une particulière pour les orateurs et les poëtes. Si le livre est utile pour eux, ce sera toujours quelque chose, quand même il ne serait pas pour les autres aussi agréable que je l'aurais voulu,

Ce serait ma faute s'il ne l'était point du tout; car une des principales sources d'agrément est sans doute la variété; et ici le grand nombre d'objets divers la présentait d'elle-même, au point de ne pouvoir plus être un mérite. Il pouvait y en avoir davantage à varier les formes de la critique continuellement appliquées; mais aussi jamais les circonstances locales et les accessoires donnés n'ont fourni plus de ressources. On doit voir que, par la nature même de l'enseignement dans nos séances, j'ai pu prendre à mon gré tous les tons proportionnellement à la matière, et tour-à-tour m'élever jusqu'au style oratoire, ou descendre à la familiarité décente de la conversation des honnêtes gens.

Cet ouvrage a passé à travers les jours mauvais : il a été composé en partie pendant le cours de la révolution, dont les différentes époques doivent naturellement s'y faire reconnaître, sans influer d'ailleurs sur l'esprit général, qui est et devait être par tout le même dans un livre qui par sa nature est fait pour tous les temps et pour toutes les nations.

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