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au troisième secteur, celui de la Chapelle SaintDenis, les magasins du bastion 25 sont vidés et les munitions emportées (1).

Le 5 mars le ministre de la guerre envoie des renforts au général Vinoy. Les maires de Paris, représentants de la Seine, pressés par M. Jules Favre, quittent Bordeaux et l'Assemblée pour revenir à leur poste. MM. Tirard, maire du 2o arrondissement, Arnaud de l'Ariége, maire du 7°, Clémenceau, maire du 18°, arrivent à Paris dans la soirée du 5 mars, deux jours après le général d'Aurelle, et en même temps que le ministre de la marine.

Le lendemain les maires et leurs adjoints furent convoqués au ministère de l'intérieur; ceux qui arrivaient de Bordeaux et qui, sur les dépêches reçues, avaient cru trouver la ville en complète insurrection, manifestèrent au ministre leur étonnement de la tranquillité des rues. « Cette tranquillité n'est qu'apparente, répondit le ministre, il se passe ici des choses excessivement graves; il devient urgent d'agir.» Et, se tournant vers M. Clémenceau qui protestait: «Vous comprenez que nous ne pouvons pas laisser plus longtemps ces canons se promener ainsi tout seuls par les rues (2). » M. Clémenceau dit que la situation ne lui paraissait pas aussi grave que semblait le croire le ministre; il était allé visiter les buttes Montmartre; les gardes nationaux étaient las de garder les canons et ne demandaient pas mieux que de les rendre. Il proposa la création d'un parc d'artillerie placé sous le commandement de M. Schoelcher, où les canons seraient réunis et confiés aux bataillous de divers quartiers qui viendraient tour à tour y monter la garde. Il croyait qu'à ces conditions et avec cette sorte de transaction, les canons seraient rendus par ceux qui les détenaient. La majorité des maires parut se ranger à cet avis; mais M. Vautrain, maire du 4 arrondissement, déclara que pour lui le danger n'était pas dans les canons, mais dans le Comité central, qui dominait la garde nationale et dont l'autorité croissante se faisait de plus en plus sentir. Il conseilla de prendre le taureau par les cornes, de ne pas reculer devant les moyens énergiques, et de faire immédiatement arrêter les membres du Comité central, pouvoir occulte, qui tenait le gouvernement en échec. L'avis très-sage de M. Vautrain ne prévalut pas; il fut décidé qu'on essayerait de reprendre les canons à l'amiable, et M. Clémenceau se chargea de négocier auprès du Comité central leur restitution aux bataillons souscripteurs.

(1) Journal militaire du général Vinoy. (2) La Résistance, les Maires, les Députés de Paris et le Comité central du 18 au 26 mars, p. 27.

Le 7 mars parut le décret dè dissolution des mobiles de Paris et de la province, décret bien intempestif et qui aurait dû tout au moins n'être pas aussi absolu. Il y avait des corps excellents, bien commandés, qu'on aurait dù conserver si l'on avait prévu l'insurrection du 18 mars et le second siége. Mais le ministre de la guerre était retenu à Bordeaux et il lui était, nous a-t-il dit, impossible, le 7 mars, de prévoir les événements qui allaient se passer à Paris. Evidemment, la portion du Gouvernement qui se trouvait à Bordeaux se faisait illusion sur l'état de la capitale, et les troupes licenciées le 7 auraient été bien utiles le 18 mars, quand l'Assemblée, sans moyens de défense, fit aux volontaires des départements un appel qui ne fut pas entendu et ne pouvait pas l'être tous les hommes disponibles à peine rentrés chez eux venaient d'être licenciés.

:

Le 8 mars, les ministres restés à Paris exposaient encore, dans une proclamation insérée au Journal officiel, la gravité de la situation. Faisant appel à l'union, à la sagesse, au sentiment de dignité dans le malheur, ils engageaient la population à profiter de la leçon terrible des évé. nements et à chercher son salut dans la connais sance et le respect du devoir. Cet appel aux « vẻritables vertus civiques, » pour emprunter encore le langage de la proclamation, pouvait-il être compris? Le Gouvernement des sociétés serait chose trop facile s'il suffisait de proclamer le rétablissement de la loi du respect et du devoir pour les restaurer dans les âmes, comme on rẻtablit dans la rue un mur que l'ont vient de ren

verser.

Chaque jour les causes de désordre s'accroissaient et l'armée de l'insurrection se recrutait de tout ce que la guerre avait fait surgir d'aventuriers, non-seulement en France, mais en Europe.

'Les bandes garibaldiennes dissoutes, les francstireurs de l'ouest et de l'est, les condottieri révolutionnaires de tous genres et de tout pays, appelés par un mot d'ordre, se concentraient à Paris où la démagogie cosmopolite allait jouer une suprême partie. Pour ne citer ici que quelques-uns des faits fournis par les documents de l'enquête, les mobilisés de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne, licenciés le 7 mars, arrivaient à Paris par les voies ferrées; les mobiles de la Seine, licenciés aussi le même jour et que l'on n'avait pu faire partir, faute de moyens de transport, s'insurgeaient les jours suivants. Tantôt c'est le 2 bataillon qui séquestre son commandant, tantôt ce sont les 7, 8 et 16° bataillons qui se mutinent, maltraitent leurs officiers et les traînent rue de la Corderie, devant le Comité central qui, transformé ainsi en cour de justice, fait relâcher les officiers. Il faut noter que la

veille le ministre de la guerre avait accordé à ces mêmes mobiles de la Seine, dix jours de solde et de vivres à titre d'indemnité (1).

III

Le 10 mars, au moment où l'Assemblée nationale délibérait sur son retour à Versailles, une tentative avait lieu à Montmartre pour reprendre à l'amiable les canons de la butte. M. Clémenceau, maire de Montmartre, avait écrit au général d'Aurelle de Paladines une longue lettre, dans laquelle il promettait de faire tous ses efforts pour la remise des canons qui se trouvaient dans son arrondissement. On se présenta au jour fixé, mais les canons ne furent pas livrés : l'un des adjoints du maire de Montmartre dit aux envoyés du général d'Aurelle : « Demain on peut se représenter, la garde nationale consent. » Soit que M. Clémenceau eût été trompé, soit qu'il eût trop présumé de son influence, les canons ne furent pas plus livrés la seconde fois que la première, et les attelages de l'artillerie restèrent toute la journée sur la place de lå Trinité à attendre inutilement. C'était pour le Gouvernement un échec et un rôle presque ridicule; il ne lui restait plus qu'à reprendre par la force ce qu'on refusait de lui rendre à l'amiable. Avant tout il fallait ramener l'Assemblée nationale près du théâtre des événements. M. Thiers proposa Versailles, et le 10 mars, sur les vives instances du chef du pouvoir exécutif, l'Assemblée décida qu'elle quitterait Bordeaux pour se rendre dans la ville et dans le palais de Louis XIV.

Dans cette séance mémorable M. Thiers parla de l'extrême difficulté qu'il éprouvait à administrer avec un gouvernement coupé en deux, développa le programme politique qu'il avait lu le 18 février, mais il ne pouvait insister à la tribune sur le danger imminent d'une lutte dans Paris. Les bruits les plus alarmants avaient couru dès le 4 mars à Bordeaux, et les ministres s'étaient rendus ce jour-là dans les bureaux de l'Assemblée pour rassurer les députés et faire part des mesures prises en vue de fortifier l'armée du général Vinoy.

Le Gouvernement espérait encore pouvoir empêcher l'insurrection ou la dompter à l'aide des forces dont il disposait. Le 4 mars, le général commandant la division militaire de Rennes recevait cette dépêche, émanée du chef du pouvoir exécutif et publiée par le préfet d'Ille-et-Vilaine: « Une insurrection criminelle s'organise dans ce moment à Paris; j'y envoie des forces qui, join

(1) Voyez pour tous ces faits le Journal militaire du général Vinoy.

tes à la garde naiionale honnête de Paris et aux autres troupes régulières qui y sont encore réunies, comprimeront, je l'espère, cette odieuse tentative. »

Ce qui prouve que le Gouvernement se faisait encore illusion sur la situation de Paris, c'est que dans la séance du 10 mars, après le vole de l'Assemblée sur le transfert à Versailles, au lieu de demander que l'on s'y transportât immédiatement, comme beaucoup de députés s'y attendaient, le gouvernement fixa le jour de la réunion au 20 mars. Il était préoccupé de questions d'installation qui avaient leur gravité, car les Prussiens occupaient encore Versailles au moment du vote de l'Assemblée, ils ne l'évacuèrent, en effet, que le 13; mais cette question secondaire n'aurait pu motiver l'ajournement jusqu'au 20 mars, si le chef du pouvoir exécutif, mieux informé par ses ministres restés à Paris, avait connu la vraie situation de la capitale et l'imminence du péril.

Le vote de l'Assemblée pour Versailles fut accueilli par un tolle général de la presse démagogique. Quelques députés de la Seine adressérent une protestation à leurs électeurs. Le Mot d'ordre, parlant des députés de Bordeaux, qu'il qualifie « d'exhumés de toutes les monarchies condamnés à fonder une république », disait : «Ils se remémorent avec épouvante le 14 juillet 1789, le 10 août 1792, le 21 janvier 1793, le 29 juillet 1830, le 24 février 1848, ces ineffaçables étapes de la Révolution, » puis, M. Rochefort revendiquait la présence de l'Assemblée à Paris, en des termes qui font sourire aujourd'hui, quand on pense qu'ils étaient écrits six jours à peine avant le 18 mars. Il ne veut pas que l'on fasse accroire aux simples et aux ignorants que Paris est à la merci d'une multitude dirigée par quelques meneurs; « le peuple de Paris est le plus éclairé de tous les peuples, il a la conscience de sa valeur morale, sachant que lorsqu'il parle, le monde se reeueille pour l'écouter, et que lorsqu'il marche, le monde s'ébranle pour le suivre.

C'est ainsi qu'on continuait à flatter le peuple de Paris au moment où il allait dépasser toutes les horreurs des époques les plus barbares. Le vote de l'Assemblée, exploité et représenté comme un acte d'hostilité et d'ingratitude, contribua encore, grâce aux déclamations de la presse, à irriter Paris et à y accroître les ferments de révolution. En vain M. Thiers, en proposant Versailles, avait indiqué que ce n'était qu'une étapé, en vain avait-il conseillé le retour dans la capitale pour un temps plus calme. On le voulait immédiat, on voulait reconquérir l'Assemblée, non pas pour dénouer, à l'aide de sa présence, les inextricables difficultés de la situation, mais pour l'avoir sous la main, pour la do

miner et en faire l'instrument ou la victime de la révolution sociale qu'on préparait.

La loi sur les échéances fournit à Paris un nouveau prétexte d'irritation. L'Assemblée ne voulait assurément que venir en aide aux Parisiens; mais elle eut le tort de partager l'erreur du Gouvernement en adoptant une mesure qu'elle a reconnu plus tard tout à fait insuffisante. Les échéances fixées au 13 mars plaçaient une grande partie du commerce de Paris en présence d'une faillite inévitable, c'est-à-dire de la ruine et du déshonneur. On ne se rendait pas compte des difficultés de la situation. Nul ne songeait à faire remonter la responsabilité de cette mesure au Gouvernement du 4 septembre, qui cependant avait le premier touché au droit commun. On ne voyait qu'une chose, l'impossibilité de faire face à ses engagements dans le délai fixé; et les commerçants les plus honnêtes, se détachant d'un gouvernement qui ne les sauvait pas de la faillite, se désintéressaient de la chose publique et se laissaient dévoyer aux idées les plus étranges. On ne peut, en effet, s'expliquer autrement la différence qui existe entre le mouvement spontané de la garde nationale au 31 octobre, et son apathie au 18 mars. Les 150,000 honimes qui se portèrent sur l'Hôtel de Ville, dans la soirée du 31 octobre, pour appuyer le général Trochu, n'étaient devenus ni des socialistes ni des partisans de la Commune au 18 mars; mais, inquiets. de l'avenir pour leur situation commerciale, mécontents d'une loi qui ne les protégeait pas à leur gré, ils s'abstenaient de prendre leurs fusils et de descendre dans la rue, comme déjà ils s'étaient abstenus, au 8 février, de prendre leurs bulletins et de voter.

Le Gouvernement essaya d'arrêter le mouvement insurrectionnel en frappant les journaux ultra-démagogiques, ceux qui prêchaient chaque jour la révolte à main armée. Le 11 mars, le général Vinoy, usant des pouvoirs que lui donnait l'état de siége, suspendit le Cri du peuple, de Jules Vallès, le Vengeur, de Félix Pyat, le Mot d'ordre, de Rochefort, le Père Duchêne, de Vermersch, la Caricature et la Bouche de fer, d'auteurs anonymes. Par un décret du même jour, les clubs furent fermés. Tous les honnêtes gens applaudirent à ces deux décrets; mais il était trop tard, le mal était fait. Les clubs continuèrent d'ailleurs à se réunir en plein air par groupes de 250 à 300 personnes, qui stationnaient sur les boulevards et agitaient les questions les plus incendiaires.

Une circonstance fortuite accrut l'état-major de l'insurrection. L'affaire du 31 octobre venait, après quatre mois et demi d'attente, d'être jugée par le troisième conseil de guerre. Blanqui, Flourens, Levraud et Cyrille étaient condamnés

par défaut à la peine de mort, Goupil et Jules Vallès à l'emprisonnement, le premier à deux ans, le second à six mois. Mais Maurice Joly, Jaclard, Jenard, Renier, Bauer, Régère et Eudes étaient acquittés, et reprenaient tout naturellement leur place à la tête d'une insurrection qu'ils avaient dès longtemps méditée et préparée. La suppression des journaux avait produit, dans tous les quartiers de Paris, une agitation extrême; des affiches rouges, contenant les protestations de Blanqui et de Flourens, qui faisaient ouvertement appel à la révolte et à la désertion de l'armée, ne purent être arrachées que sur quelques points. Flourens, qui avait repris son costume de major général, se promenait tout galonné d'or au milieu des bataillons de Montmartre et de Belleville; Blanqui, plus prudent, se contentait d'écrire. Les autres acquittés se faisaient confirmer et réintégrer dans les grades qu'on leur avait conférés au commencement du siége.

IV

Le noyau déjà insuffisant de troupes armées, que la capitulation avait permis de garder dans Paris, se trouvait encore diminué par la nécessité où l'on s'était trouvé d'occuper les forts du Sud abandonnés par les Prussiens. On y envoya la brigade Daudel, composée des meilleurs régiments de ligne, les 113 et 114°. Le 119 dut se rendre à Versailles, qui venait enfin d'être évacué par les Prussiens; et tandis que le petit nombre de soldats ayant conservé leurs armes était insuffisant pour garantir l'ordre à Paris, plus de 100,000 hommes désarmés, démoralisés par la capitulation, courant les rues du matin au soir en proie à toutes les tentations du désordre et de la débauche, créaient au général Vinoy un grand embarras et allaient donner à l'insurrection de dangereuses recrues. Les chemins de fer ne pouvaient fournir des moyens de transport suffisants pour les éloigner, et le général en chef dut se décider à les faire partir à pied. Dès qu'il put leur faire distribuer quelques jours de vivres, il les rangea en trois colonnes à la tête desquelles il plaça des généraux, et les fit conduire à Orléans, à Chartres et à Evreux. Mais pour atteindre ce résultat, le commandant de l'armée de Paris avait été obligé d'enlever aux secteurs les généraux et les officiers qu'il mettait à la tête de ces colonnes, et avait achevé ainsi de désorganiser les secteurs, la meilleure des créations du siége. C'est à eux, en effet, qu'on devait d'avoir pu mettre un peu d'ordre dans la défense; on sentit au 18 mars combien ils faisaient défaut. La forte organisation des secteurs aurait certainement permis d'opposer plus de résistance à l'insurrection.

Le 14 mars, un fait grave faillit occasionner un conflit immédiat; deux officiers prussiens, arrêtés par la garde nationale, sont conduits au Comité central qui refuse d'abord de les délivrer. Mais le général de Fabrice les ayant énergiquement réclamés à notre ministre des affaires étrangères et ayant rendu le Gouvernement responsable de leur vie, deux bataillons sont commandés pour aller les chercher. Le Comité central cède enfin et rend les deux officiers sains et saufs à la liberté. Le 15 mars, une réunion de la fédération de la garde nationale eut lieu au Wauxhall. C'était la quatrième assemblée générale depuis le 24 février. Deux cent quinze bataillons y étaient représentés par des délégués, dont nul ne songeait à vérifier les pouvoirs plus ou moins réguliers.

Le rapporteur, Arnold, annonça que la fusion entre le Comité central et le Comité fédéral, était un fait accompli, fait que la séance était destinée à consacrer solennellement. Il fit connaître l'état des finances de la fédération, rendit compte des élections du Comité central et proclama les noms des nouveaux membres. La réunion nomma ensuite Garibaldi, général en chef, Charles Lullier, colonel d'artillerie, Jacquelart, Faltot, Eudes, Duval et Henry (Lucien), chefs de légion. On verra Lullier contribuer par son activité révolutionnaire et par sa décision à la prise de possession des ministères, des mairies et des principaux établissements publics après le 18 mars. La fusion des deux groupes qui avaient voulu s'emparer de la direction de la garde natio*nale, était définitivement opérée au profit du Comité central, force occulte sans responsabilité, mais seul pouvoir qui subsistât au milieu du désordre général et de la ruin de tous les pouvoirs sociaux. Le Comité, proclamé dans la séance du 15 mars, se mit résolûment à l'œuvre en cherchant à ôter toute influence aux chefs de bataillon qu'il savait en dissidence avec lui. Ces préparatifs de la lutte, cette organisation pour le combat dont on désignait à l'avance les chefs, tout cela se faisait à côté du gouvernementréguli er impuissant à réprimer comme inhabile à prévoir. Tout cela se faisait au grand jour et avec la publicité la plus entière de la part de la presse. La révolution s'essayait sans oser, cependant encore, se déclarer tout à fait.

M. Thiers, arrivé à Paris le 15 mars, se préoccupa tout d'abord des progrès de l'insurrection et de la nécessité de la désarmer. Temporiser n'était plus possible. L'idée d'enlever les canons de Montmartre et de Belleville pour les faire rentrer dans les arsenaux de l'Etat dominait tous les esprits. Dans le conseil, ceux-là même qui n'avaient

vu d'abord dans la prise de possession par la garde nationale d'une artillerie formidable qu'une fantaisie passagère, commençaient à manifester une grande inquiétude. Les hommes de finance disaient à M. Thiers: Il faut payer les Prussiens et vous ne ferez aucune opération financière si vous ne rassurez Paris et l'Europe en reprenant les canons. Que faire tant qu'il y a des canons ! disait le commerce. L'argent se cache, plus de commandes; on ajourne toutes les transactions.

Cependant M. Thiers, voulant épuiser toutes les voies de conciliation, entama d'abord des pourparlers avec ceux qui détenaient les canons. Quelques-uns voulaient les rendre, d'autres s'y refusaient et ceux-là l'emportaient toujours au dernier moment. On a vu la tentative qui avait échoué à Montmartre malgré les promesses du maire M. Clémenceau. Le même fait se reproduisit le 16 mars à la place Royale; les officiers de la garde nationale qui veillaient à la garde des batteries réunies sur cette place, au lieu de les rendre, comme il avait été convenu, les conduisirent plus loin, et cela en plein jour; tandis que nos artilleurs, après avoir attendu de longues heures, étaient obligés de s'en retourner sans emmener une seule pièce. M. Thiers, poussé à bout, annonça sa résolution d'enlever les canons par la force. Son avis prévalut dans le conseil, bien que tout le monde, au dire d'un des témoins de l'enquête, eût été pour la temporisation.

Le 17, le conseil adopta pour le lendemain matin un plan d'attaque 'de Belleville et de Montmartre, attaque dont l'exécution fut naturellement confiée au général Vinoy. Le ministre de la guerre, retenu à Bordeaux par les nécessités du service, n'arriva à Paris que ce jour-là, et le plan du général Vinoy était approuvé quand il entra au conseil.

On lira dans la déposition de l'honorable général Le Flo les critiques qu'il crut devoir faire au plan du général en chef, critiques qu'il a reproduites devant votre commission. Il ne nous appartient pas de juger la question d'exécution militaire; mais peut-être ne se pénétra-t-on pas assez à l'état-major de la gravité et des difficultés de l'entreprise. Le petit nombre de troupes dont on pouvait disposer, la situation des canons sur les buttes de Montmartre et de Belleville ren daient ces difficultés d'autant plus sérieuses que les chefs de la garde nationale, consultés, n'avaient pas laissé ignorer qu'on ne pouvait compter sur le concours de leurs bataillons. Cependant, au point où en étaient arrivées les choses, le Gouvernement ne pouvait plus reculer; il fallait désarmer l'insurrection ou lui céder la place.

Jonrnée du 18 mars.

1

CHAPITRE TROISIÈME

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-

Assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas. Retraite à Versailles du Gouvernement et de l'armée. La réunion des maires de Paris investie du pouvoir légal; elle demande des concessions; refus de M. Jules Favre. - Abandon de l'Hotel de Ville et de toutes les Réunion des ministres chez M. Calmon. positions stratégiques. Concessions faites aux désirs Nouvelle réunion des ministres à l'Ecole militaire. Départ définitif. Conservation du Mont-Valérien.

des maires de Paris. Evacuation des forts.

I

Le 18 mars, dès la pointe du jour, une proclamation signée de M. Thiers et par tous les ministres était affichée sur les murs de Paris. Le chef du pouvoir exécutif, faisant appel à la raison et au patriotisme des citoyens, disait : << Dans votre intérêt même, dans celui de votre cité comme dans celui de la France, le Gouvernement est résolu à agir. Les coupables qui ont prétendu instituer un gouvernement à eux, vont être livrés à la justice régulière; les canons dérobés à l'Etat vont être rétablis dans les arsenaux et, pour exécuter cet acte urgent de justice et de raison, le Gouvernement compte sur votre concours. Que les bons citoyens se séparent des mauvais, qu'ils aident à la force publique au lieu de lui résister. Ils hâteront ainsi le retour de l'aisance dans la cité et rendront service à la République elle-même que le désordre ruinerait dans l'opinion de la France. »

La proclamation se terminait par quelques paroles plus fermes, qui contrastaient avec le préambule, et semblaient indiquer qu'on saurait au besoin se passer du concours demandé : « Parisiens, nous vous tenons ce langage, parce que nous estimons votre bon sens, votre sagesse, votre patriotisme; mais, cet avertissement donné, vous nous approuverez de recourir à la force, car il faut à tout prix et sans un jour de retard, que l'ordre, condition de votre bien-être, renaisse entier, immédiat, inaltérable. »

Cependant on comptait si peu sur la garde nationale qu'on ne voulut pas même qu'elle fût informée du mouvement projeté. Les chefs seulement d'un certain nombre de bataillons regardés comme plus dévoués à l'ordre (trente environ sur deux cent soixante), furent convoqués la veille vers 11 heures du soir, chez le général d'Aurelle qui, sans leur dire ce qui devait arriver, leur demanda si, dans le cas probable où des troubles viendraient à éclater, il pouvait compter sur leurs bataillons. Tous lui répondirent : « La garde nationale ne se battra pas contre la garde nationale. »

-

D'après le plan arrêté la veille en conseil des ministres, les troupes devaient se porter sur les points stratégiques que les fédérés avaient transformés en véritables parcs d'artillerie, et y arriver au moment où l'on supposait que les canons étaient le moins bien gardés par suite des fatigues de la nuit. Vers quatre heures du matin, en effet, Montmartre était cerné par un cordon de troupes et le général Lecomte, à la tête de quelques compagnies du 88 de marche, d'une compagnie de quelques gardiens de la paix et d'un bataillon de chasseurs à pied, gravissait la butte et s'emparait des canons sans résistance sérieuse. Aumême moment, les buttes Chaumont étaient occupées sans difficultés; mais on n'avait pas réussi à mettre la main sur les membres du Comité central, qu'on aurait dû arrêter avant tout, pour paralyser l'émeute. Le redoutable comité, prévenu des recherches dont il était l'objet, avait passé la fuit en permanence. Dès cinq heures du matin, il avait fait tirer des buttes Chaumont trois coups de canon pour avertir ses adhérents et leur donner le signal de la résistance.

C'était plutôt un coup de main que le Gouvernement avait voulu tenter qu'une attaque en règle. On avait espéré échapper aux dangers d'une lutte de vive force en s'y prenant de nuit et par surprise. Mais il aurait fallu que les attelages de l'artillerie arrivassent en même temps que la troupe. Malheureusement, il n'en fut rien; on a peine à s'expliquer que les canons, pris à quatre heures du matin, fussent encore en place à neuf heures, tandis qu'il était si important de ne pas laisser toute la matinée les troupes l'arme au bras, en contact avec une population et une garde nationale tout à fait hostiles. Les ordres furentils mal donnés, ou mal exécutés? L'un et l'autre peut-être; mais il serait injuste de ne pas tenir compte des difficultés de l'entreprise et du petit nombre de troupes dont on disposait. Il fallait attaquer en même temps Montmartre, les ButtesChaumont et Belleville, occuper la place de la Bastille et maintenir partout une population mé contente et surexcitée. Le nombre de pièces à enlever était tel, que d'après le général Vinoy,

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