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L'idéal de ce groupe était le régime du Comité de salut public, dont ils parvinrent, à la fin de leur domination éphémère, à rétablir le nom, sans jamais atteindre à autre chose qu'à une parodie aussi ridicule qu'odieuse des hommes de la Convention. Ce n'était pas pourtant une pure fantaisie d'anachronisme, qui portait ce parti à faire revivre le titre du fameux comité de 1793; il voulait que la Terreur eût aussi sa restauration. Le second parti appartenait aux socialistes de l'Internationale, ceux-là avaient un programme arrêté; ils ne voulaient pas la domination, mais la destruction complète de la société. Les deux partis avaient fait pour arriver au pouvoir une alliance, qui ne tarda pas à être brisée, et leur rivalité d'influence, comme leur antagonisme d'opinion, a rempli le règne de la Com

mune.

Le titre de Commune était habilement choisi. Pour la masse, il signifiait l'établissement de franchises municipales que promettaient le Gouvernement et l'Assemblée, que demandaient les maires issus du suffrage universel comme les députés de Paris, c'est-à-dire le rêve de la bourgeoisie parisienne depuis longues années. Pour les jacobins, la Commune rappelait la dictature révolutionnaire de 1792, concentrant tous les pouvoirs et s'imposant à la France entière. Enfin, pour les sectaires de l'Internationale, la Commune, dans le vague de son titre, était une première satisfaction aux aspirations des classes ouvrières, un être collectif concentrant toutes les forces sociales, possédant le sol et l'industrie et distribuant, pour l'exploitation de l'un et de l'autre, les rôles et les profits entre les adeptes. La Commune, unique propriétaire, apparaissait aux yeux des communistes purs comme le but définitif. Le nouveau gouvernement fut proclamé avec éclat; les parades révolutionnaires sont restées chères aux jacobins. Une draperie rouge à crépines d'or couvrait une partie de la façade de I'Hôtel de Ville, et cachait le bas relief de Henri IV, que l'on n'avait pas encore eu le temps de faire disparaitre. Sur un fût de colonne, était le buste de la Liberté, coiffé du bonnet rouge et entouré de drapeaux rouges; au-dessus, une estrade, au centre de laquelle est un siège plus élevé pour le président; une batterie d'artillerie, rangée sur le quai, est prête à saluer la proclamation des votes. A quatre heures, un long roulement de tambours se fait entendre, le Comité central monte sur l'estrade, le canon tonne, les vivats retentissent, les fanfares éclatent, les tambours et les clairons battent aux champs. Assi prononce un discours, d'autres orateurs lui succèdent, et le nouveau gouvernement publie une déclaration pour notifier son existence à Paris et à la France.

Il faut rapprocher la description de cette parade extérieure du tableau qu'un des témoins de l'enquête, M. Tirard, l'un des élus de la Commune, a fait à votre commission de ce qui se passait ce jour-là même, à l'intérieur de l'Hôtel de Ville. « Je m'y rendis le lundi soir, a-t-il dit. C'était une bacchanale effroyable; on mangeait dans tous les couloirs, il y avait des orgies dans toutes les salles, il y avait partout une odeur de vin, c'était quelque chose d'affreux. La réunion avait lieu dans la salle du conseil municipal; à peine y étais-je entré qu'un membre se leva pour demander ma mise en accusation, en disant que j'étais un traître. » Un autre membre proposa de déclarer que l'assemblée municipale se formât en conseil de guerre; un autre déclara que la Commune de Paris avait un pouvoir constituant qui s'étendait à toute la France, et il demanda qu'on envoyât partout des délégués ou commissaires. A propos de la vérification des pouvoirs, M. Tirard entendit proclamer que la Commune ne reconnaissait aucune des lois antérieures, qu'il n'y avait pas d'autres lois que celles qu'elle ferait. Le nouveau gouvernement se mettait, dès le premier jour, au-dessus des lois.

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Voilà donc la Commune proclamée à l'Hôtel de Ville et en possession de Paris. Elle va y régner soixante-douze jours sans opposition. L'histoire détaillée de ce trop long règne serait pleine d'enseignements, mais ce n'est pas ici le lieu de la ra conter, et d'ailleurs les éléments font défaut. Les documents les plus importants sont entre les mains de la justice. Votre commission n'a pas pu entendre les hommes qui ont joué un rôle dans le gouvernement de l'Hôtel de Ville ou dans la lutte fratricide soutenue dans Paris; ils étaient presque tous accusés ou en fuite. C'eût été d'ailleurs mêler notre enquête à celle qui se faisait chaque jour devant les conseils de guerre, et vous nous aviez donné pour première mission, messieurs, de n'élever aucun conflit avec l'autorité judiciaire. Nous n'avons donc pas cherché à interroger les accusés, et nous n'essayerons pas de vous donner ici un résumé des débats qui ont lieu dans d'autres enceintes. Les instructions sont encore pendantes. les arrêts ne sont pas définitifs, votre commission des graces est nantie d'une masse de dossiers, et nous ne devions pas songer à émettre une opinion qui pouvait influer sur la décision de ceux qui ont le pénible devoir de choisir entre l'indulgence et l'exécution de la loi. Quand la justice aura achevé son œuvre, l'histoire prononcera son verdict; nous croyons qu'il sera sévère. Il ne nous appartient pas de le devancer. La tâche que vous nous avez déléguée est purement politique; nous n'avons à chercher, dans les faits accomplis et dans les crimes commis, que l'indice des idées fausses, des principes erronés, des systèmes men

teurs qui ont rendu possible l'insurrection du 18 mars, et la preuve des fautes ou des défaillances qui ont paralysé la défense de la société et amené le triomphe de la Commune. Aussi avonsnous raconté dans le plus grand détail les événements qui ont préparé l'insurrection, parce que tant que la lutte a été possible dans Paris, tant que le parti de la résistance s'y est maintenu, il nous a semblé que chaque fait servait à montrer comment et pourquoi le parti de l'ordre et du bon sens avait succombé. Mais, à l'heure où le parti démagogique va régner sans conteste, mêler les crimes les plus odieux aux actes les plus insensés, nous ne pouvons songer à les énumérer; ils ne laisseront, hélas! qu'une trop longue trace dans nos annales.

II

La première séance de la Commune fut convoquée pour le mercredi 29 mars, que les fanatiques imitateurs du passé dataient du 8 germinal an 79. Le lendemain, le Journal officiel paraissait sous le titre de Journal officiel de la Commune de Paris et contenait trois décrets par lesquels le gouvernement de l'Hôtel-de-Ville faisait, dès ses premiers pas, appel aux appétits brutaux de ses adhérents. Le premier abolissait la conscription, et statuait qu'aucune force armée autre que la garde nationale, ne pourrait être créée ou introduite dans Paris. Le second remettait aux locataires les termes d'octobre 1870, janvier et avril 1871. Le troisième suspendait la vente des objets déposés au mont-de-piété.

Puis, comme si elle avait eu la France entière à administrer, la Commune décida qu'elle se formerait en commissions, correspondant à peu près aux attributions des divers ministères, sauf celui des cultes, dont le budget fut déclaré supprimé. Elle indiquait ainsi, dès sa première séance, qu'elle se considérait comme gouvernement et non plus comme conseil municipal. Elle faisait acte d'hostilité contre tous les cultes établis, en même temps qu'elle commençait à mettre en pratique les théories socialistes sur le crédit. Cette attitude provoqua de nombreuses démissions, parmi lesquelles il faut citer celles de MM. Desmarest, Tirard, Adolphe Adam, etc. Par contre, MM. Delescluze et Cournet écrivirent au président de l'Assemblée nationale qu'ils optaient pour la Commune et renonçaient à leur mandat de députė.

S'emparer de toutes les administrations, nommer des délégués à tous les ministères était chose facile; mais il fallait de l'argent pour le nouveau gouvernement. Les ressources laissées dans quelques ministères, lors de la retraite précipitée des administrations à Versailles, avaient été bien vite

épuisées. La Commune eut recours à la Banque de France, dont l'administration n'avait pas quitté Paris et ne pouvait pas le quitter; car, comment faire sortir, sans l'autorisation du Comité central, l'immense convoi nécessaire pour emporter les valeurs conservées rue de la Vrillière ? La Banque possédait des fonds apppartenant à la ville de Paris. Un premier à-compte prélevé sur ces fonds avait été autorisé par le gouverneur de la Banque avant la retraite de cet administrateur à Versailles. Après son départ, le danger s'accrut chaque jour pour notre premier établissement financier. Le sous-gouverneur resté à Paris parvint, à force d'énergie, de courage et de présence d'esprit, à sauver le dépôt de la fortune publique; sa conduite console des défaillances trop souvent signalées dans ce rapport, et prouve ce que peut un homme de cœur animé du sentiment du devoir. Vous lirez, messieurs, dans la déposition de notre honorable collègue, M. le marquis de Plouc, comment la Banque a pu échapper, pendant soixante-douze jours, aux réquisitions, au pillage et à l'incendie. Il y avait là plus de trois milliards en valeurs réalisables; l'intérêt de la fortune publique, comme celui d'un grand nombre de fortunes privées, était engagé dans le salut de notre grand établissement de crédit. A peine quelques millions, appartenant pour la plus grande partie à la ville de Paris, ont été livrés à la Commune. Le reste a été sauvé, grâce au concours que le sous-gouverneur a trouvé dans le délégué de la Commune, M. Beslay, dont l'utile appui a permis de conjurer le péril; grâce surtout au dévouement des membres du conseil de régence et du nombreux personnel de la Banque. Tous les employés, au nombre de plus de cinq cents, rangés en trois compagnies, ont défendu l'arme au bras l'établissement confié à leur garde et à leur patriotisme; il n'y a pas eu une défection, pas une hésitation; chacun a fait son devoir. Nous aimons à citer ce fait, qui honore la population de Paris. Une ville qui compte de tels groupes est loin d'appartenir au parti du désordre. Le même fait se serait peut-être produit dans d'autres administrations, si la direction n'eût pas manqué. Nous savons, notamment, qu'au ministère des finances, dans les premiers jours de l'insurrection comme au moment de l'incendie, le dévouement de courageux employés n'a pas fait défaut. C'est grâce à eux qu'on a pu sauver le grand livre de la Dette publique.

Pendant que la Commune s'installait dans le palais municipal et s'emparait de toutes les administrations, le Comité central ne s'était pas pas dissous; quelques-uns de ses membres siégeaient, il est vrai, à l'Hôtel de Ville, mais le Comité n'en restait pas moins en permanence rue de la Corderie, et présidait aux préparatifs de la

guerre. Il s'agissait pour le moment de marcher sur Versailles, si l'Assemblée nationale ne ratifiait pas la Commune. Nous verrons le Comité central garder la haute direction des opérations militaires, jusqu'au moment où il effacera tout à fait la Commune. La lutte s'engagea, le 2 avril, par une rencontre à Courbevoie de cinq bataillons de gardes nationaux fédérés avec quelques troupes de l'armée de Versailles qui venaient faire une reconnaissance. Les insurgés furent complétement battus, nos troupes occupèrent les positions de Courbevoie et s'emparèrent, avec beaucoup d'entrain et d'élan, de la barricade qui défendait l'entrée du pont de Neuilly. Le lendemain, M. Thiers faisait connaître ce succès dans une circulaire adressée aux préfets, procureurs généraux, et dans laquelle il disait en finissant : « Les misérables que la France est réduite à combattre ont commis un nouveau crime; le chirurgien en chef de l'armée, M. Pasquier, s'étant avancé seul et sans armes trop près des positions ennemies, a été indignement assassiné. »> Dans le même numéro de l'Officiel une note émanée évidemment du cabinet du chef du pouvoir exécutif, qualifiait ainsi les actes de la Com

mune:

«Ils ont installé un véritable Comité de salut public et organisé dans Paris un commencement de terreur qu'heureusement la présence de l'Assemblée à Versailles est de nature à limiter. »> Plus loin, l'auteur de la note, repoussant les injures et les menaces adressées à l'Assemblée nationale par les hommes de l'Hôtel de Ville, les accusait de vouloir détruire « la dernière ressource, peut-être le dernier asile, en face des Prussiens, de la nationalité française. » Il ne s'agissait pas alors de regretter que l'Assemblée ne fùt pas à Paris; on sentait que sa présence à Versailles était la meilleure chonce de salut du pays.

On répétait sur tous les tons que, seule, cette présence de l'Assemblée à Versailles avait permis au Gouvernement de sauver la France en quittant Paris. Le Journal officiel, parlant, dans une note émanée de la même source, de la translation de toutes les administrations à Versailles, disait « Elle marquera dans l'avenir la fin du despotisme jacobin qui, mieux armé que jamais pour tout saisir, est mis ainsi dans l'impuissance de rien atteindre. Tandis que dans le palais, sur le fronton duquel on lit: A TOUTES LES GLOIRES DE LA FRANCE, l'administration de la France s'exerce avec sa régularité habituelle, et que l'Assemblée, dernier asile de notre nationalité française, jouit pour ses séances d'une parfaite sécurité, l'insurrection, assiégée dans Paris, privée des postes et des télégraphes, se meurt dans son triomphe. Séparée du reste du monde, elle épuise

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dans un cercle de fer sa rage impuissante (1). » Le 2 avril, la commission exécutive de la Commune annonce à la garde nationale parisienne l'échec de Courbevoie par une proclamation où l'on comptait un peu trop sur la crédulité et la sottise des Parisiens; on y lisait « Les conspirateurs royalistes ont attaqué avec les zouaves pontificaux et la police impériale........... Les chouans de Charette, les Vendéens de Cathelineau, les Bretons de Trochu, flanqués des gen. darmes de Valentin ont couvert de mitraille et d'obus le village inoffensif de Neuilly et engagé la guerre civile... » On alla jusqu'à faire brûler publiquement sur la place de l'Hôtel-de-Ville un drapeau blanc fleurdelisé que l'on disait pris sur les troupes de Versailles. La Commune ne se borna pas à ces démonstrations ridicules. Ne reculant point devant un moyen d'intimidation que les plus mauvais jours de 93 n'avaient pas connu, elle décrète une loi des otages, qui dépasse de beaucoup la fameuse loi des suspects de Merlin de Douai. «Toute personne prévenue de complicité avec le Gouvernement de Versailles sera immédiatement incarcérée; un jury d'accusation statuera dans les quarante-huit heures, et tous les accusés retenus par le verdict du jury seront les otages du peuple de Paris. Toute exécution d'un prisonnier de guerre ou d'un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris. sera sur-le-champ suivie de l'exécution d'un nombre triple des otages retenus par la Commune. » C'était revenir aux lois des barbares, à la peine du talion dans ce qu'elle a de plus brutal. Le crime de complicité avec Versailles, comme autrefois celui de lèse majesté à Rome, était un crime élastique avec lequel on pouvait atteindre tout le monde. Aussi arrêta-t-on des prêtres, des religieux, des magistrats, des citoyens inoffensifs, sans même se donner la peine de leur imputer le crime de complicité avec Versailles. En même temps, rien n'était épargné pour exciter la haine du peuple contre des classes entières de citoyens. L'un des journaux de l'insurrection, La Montagne, disait : « Les marchands veulent nous vendre et les prêtres nous crucifier. Hier on a arrêté des moines qui avaient de la poudre dans leurs tabernacles et des balles pour grains de rosaire. >>

A la suite de l'échauffourée de Courbevoie et de Neuilly un conseil de guerre des fédérés décida qu'on marcherait le lendemain sur Versailles. Les forces des insurgés furent divisées en trois corps. L'un confié à Eudes, l'assassin de la Villette, devenu général, attaqua par Clamart en s'appuyant sur le fort de Vanves; le second s'a

(1) Journal officiel du 9 avri!.

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vança sous la protection du fort d'Issy vers Meudon; le troisième marcha sur Rueil sans tenir compte de la forteresse du Mont-Valérien, dont quelques décharges suffirent pour balayer et mettre en fuite les bataillons qui s'étaient avancés de ce côté. A Meudon et à Châtillon, les fédérés furent vaillamment repoussés par les gardiens de la paix et par les gendarmes. Flourens fut tué à Rueil. C'était une défaite décisive; l'insurrection, renfermée dans Paris, devait renoncer dès-lors, et renonça, en effet, à l'illusion de pouvoir marcher sur Versailles; mais les moyens formidables de défense qui restaient à sa disposition devaient trop longtemps prolonger la lutte. Paris allait soutenir un second siége.

La Commune, pour se venger de sa défaite, met en accusation M. Thiers et ses ministres comme fauteurs de la guerre civile. « Leurs biens devront être saisis et mis sous le séquestre jusqu'à ce qu'ils aient comparu devant la justice du peuple.»> Il ne suffit pas aux hommes de l'Hôtel de Ville de sévir contre des absents, ils veulent des otages. Mgr Darboy est arrêté le premier, il est impliqué dans un prétendu complot contre la sûreté de l'Etat. Le vénérable abbé Croze, aumônier des prisons, le père Ducoudray, recteur de l'école Sainte-Geneviève, le père Olivaint, supérieur de la maison de la rue de Sèvres, l'excellent et vénéré curé de la Madeleine, M. Deguerry, ont l'honneur d'être inscrits les premiers sur cette liste des otages de la Commune qui devait devenir une liste de mort. Et Paris, morne et silencieux, laissait faire. On ne prenait pas encore la Commune au sérieux, on lisait avec une sorte de curiosité stupide et indifférente ces affiches blanches qui couvraient les murs et où l'atroce le disputait au ridicule. Quand on a vu Paris dans ces tristes jours, on comprend le règne de la terreur : l'apathie des honnêtes gens en 1871 explique celle de nos pères en 1793. Les arrestations civiles furent plus nombreuses encore que celles faites dans le clergé.

Le président Bonjean, Gustave Chaudey, le banquier Jecker, dominaient par la notoriété de leurs noms la foule des nouveaux suspects. On arrêtait en masse des agents de police, des sergents de ville, des gendarmes, coupables d'avoir défendu l'ordre et les lois.

Au nom de la liberté de conscience, le budget des cultes, condamné tout d'abord, demeurait supprimé. Les auteurs du décret invoquaient la liberté comme le premier des principes de la République, mais ils ajoutaient que « le clergé avait été le complice des crimes de la monarchie, » c'était donc le clergé qu'on voulait frapper et punir; la suite ne l'a que trop montré. Au moment où nous sommes, on se bornait encore aux arrestations et au pillage. Les maisons des

Jésuites, des Lazaristes et des Dominicains furent fouillées et dévastées.

Eu même temps que la Commune préludait ainsi aux atrocités qu'elle méditait, elle protégeait la liberté de la presse en supprimant les journaux. Le Journal des Débats, le Constitutionnel, Paris-Journal, étaient frappés d'interdit.

La transaction du 26 mars entre les municipalités de Paris et le Comité central n'avait, on l'a vu, abouti qu'à assurer l'établissement de la Commune, sans enlever à ceux qui avaient provoqué ou signé ce déplorable compromis le désir d'amener une conciliation entre le gouvernement régulier et l'insurrection. Dès le 5 avril, d'anciens maires, des représentants de Paris, des hommes marquants du parti démocratique, parmi lesquels étaient MM. Ranc, Floquet, Clémenceau, Lockroy, Corbon, Edmond Adam, réunis dans les bureaux de l'Avenir national, fondèrent, sous le titre de « Ligue de l'Union républicaine pour les droits de Paris,» une association qui avait pour but d'intervenir entre la Commune et l'Assemblée nationale (1). Les bases du programme adopté étaient : « 1° la reconnaissance de la République; 2° la reconnaissance du droit de Paris à se gouverner, à régler, par un conseil librement élu et souverain dans la limite de ses attributions, sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement et l'exercice de la liberté de conscience; 3 la garde de Paris exclusivement confiée à la garde nationale, composée de tous les électeurs valides. >>

Le même jour, la ligue de l'Union républicaine adressait une sorte de sommation à la Commune et à l'Assemblée nationale, et convoquait pour le lendemain, à la Bourse, tous ceux qui voudraient prêter leur concours à son action médiatrice. La Commune répondait par le terrible décret des otages, dont le préambule avouait nettement l'intention de rétablir la loi du talion. « Le peuple, y était-il dit, prendra œil pour œil et dent pour dent. » Puis, la Commune interdisait la réunion convoquée à la Bourse, ou toute autre manifestation analogue, par une affiche qui portait « La conciliation est une trahison! » Ces façons dictatoriales n'arrêtèrent pas ceux qui, dans la presse comme dans la bourgeoisie de Paris, travaillèrent jusqu'à la dernière heure à concilier ce qui était inconciliable. Ils considéraient l'Assemblée et la Commune comme des belligérants et ne comprenaient pas qu'entre l'insur

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rection du 18 mars et le Gouvernement légal du pays, il n'y avait de possible que le triomphe absolu ou la soumission de l'insurrection.

Chaque jour des projets de transaction paraissaient dans les journaux ou étaient proposés dans les réunions de la Ligue. Le 7, le journal Le Temps en publiait un d'après lequel Paris aurait confié ses pleins pouvoirs à M. Louis Blanc qui se serait entendu avec M. Thiers. Le même jour, un second projet était formulé dans une lettre adressée à M. Thiers par un certain nombre d'habitants du quartier des Ecoles, et un troisième paraissait dans Le Cri du Peuple. L'idée fondamentale de tous ces projets était la constitution de Paris en un Etat autonome, parfaitement indépendant du reste de la France et s'administrant lui-même. C'était insensé! et pourtant l'on s'étonnait à Paris que M. Thiers et l'Assemblée nationale ne s'empressassent pas d'adhérer à des propositions qui aboutissaient en définitive à la reconnaissance de la Commune et du droit de l'insurrection. A Versailles, quelques députés de Paris s'associaient aux efforts de la Ligue dans la généreuse illusion d'éviter ou d'arrêter l'effusion du sang, et aussi parce qu'ils croyaient tout sauver en faisant adopter aux deux partis en lutte le maintien de la forme républicaine. D'autres groupes venaient en aide à la Ligue. Les francs-maçons, en adressant aux combattants les devises humanitaires de leur ordre; diverses corporations ouvrières ou industrielles, en lui prêtant le poids de leur nombre et de leur influence

Le 9 avril, les membres de la Ligue se réunirent à l'Ecole centrale pour proposer un armistice au Gouvernement. Le programme, toujours le même, fut apporté à Versailles par des délégués qui virent M. Thiers, mais n'en obtinrent que cette réponse bien naturelle : « Il faut que l'insurrection désarme d'abord ». Le 10, la Ligue publiait une adresse à tous les Français, dans laquelle elle développait le même programme. Des délégués allaient de nouveau trouver M. Thiers, et donnaient, le 13, le compte rendu détaillé de leur mission. Le 14, ils étaient reçus à l'Hôtel de Ville, et, le 15, une note paraissait dans l'Officiel de l'insurrection, constatant que la Commune avait déclaré n'avoir rien à répondre. Malgré l'insuccès de ses démarches à l'Hôtel de Ville comme à Versailles, la Ligue persistait dans ses espérances et chargait de nouveaux délégués de poursuivre son œuvr Nous la verrons continuer ainsi juqu'à la reprise de Paris, et protéger, plus qu'elle ne le croyait peut-être, la Commune jusque dans son agonie. Il importe, et il est essentiellement de notre sujet, de signaler ces efforts persévérants que rien n'a pu décourager. Ils ont contribué à faire vivre la Commune en lui don

nant l'appui d'hommes honnêtes, qui ne participaient à aucun excès, mais qui consacraient, par une sorte d'adhésion morale, le droit qu'elle s'arrogeait de soutenir, les armes à la main, une évidente usurpation.

III

A partir du 5 avril, une surveillance étroite est exercée sur toutes les voies de communication qui permettent de sortir de Paris. La Commune vient de réorganiser dans la garde nationale les compagnies de marche; elle a décidé que tous les citoyens de dix-sept à trente-cinq ans, non máriés, feraient partie des bataillons de guerre. Il s'agit de les empêcher de se soustraire par la fuite au décret de la Commune. Le ridicule se mêlant à l'odieux, Paschal Grousset, en sa qualité de délégué aux relations extérieures, notifie officiellement aux puissances étrangères la constitution du gouvernement communal de Paris, mais aucune puissance ne daigne lui répondre. La lettre plus étrange encore, s'il est possible, qu'il écrit au général prussien, commandant l'armée d'occupation, pour lui demander si le Gouvernement de Versailles a payé les millions du premier àcompte de notre rançon, et si l'on peut compter sur la prochaine évacuation des forts et du département de la Seine, reste aussi sans rẻponse (1).

Déçus dans leur espérance de s'emparer de Versailles par un coup de main, renfermés dans un cercle de fer qui allait se resserrer de jour en jour, les hommes de l'Hôtel de Ville sentirent

(1) Voici le texte de ces deux pièces : « Le soussigné, membre de la Commune de Paris, délégué aux relations extérieures, a l'honneur de vous notifier officiellement la constitution du gouvernement communal de Paris. Il vous prie d'en porter la connaissance à votre Gouvernement, et saisit cette occasion de vous exprimer le désir de la Commune de resserrer les liens fraternels qui unissent le peuple de Paris au peuple que vous représentez. »

Le seconde était adressée personnellement au général de Fabrice. « Général, écrivait Paschal Grousset, le délégué de la Commune aux relations extérieures a l'honneur de vous adresser les observations suivantes : La ville de Paris est intéressée au même titre que le reste de la France à l'observation des conventions de paix conclues avec la Prusse, elle a donc le devoir de connaître comment le traité s'exécute. Je vous prierai, en conséquence, de vouloir bien me faire savoir, notamment si le Gouvernement de Versailles a fait un premier versement de cinq cent millions, et si, par suite de ce versement, les chefs de l'armée allemande ont arrêté la date de l'évacuation de la partie du département de la Seine et aussi des forts qui font partie intégrante du territoire de la Commune de Paris. Je vous serai obligé, général, de vouloir bien me renseigner à cet égard.»

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