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Ils ont eu en leur possession absolue la capitale du monde civilisé, une ville de deux millions d'âmes. Ce centre des arts, des sciences et des ettres, cette Athènes du monde moderne leur a été abandonnée; ils l'ont exploitée comme un champ d'expérience; ils ont exercé pendant deux mois la dictature la plus absolue; ils ont pu transformer chaque jour en décrets incontestés les systèmes de leurs penseurs, les rêves de leurs politiques; il ne leur a manqué que des penseurs et des politiques! Ils ont eu deux mois pour réaliser toutes leurs promesses d'amélioration sociale, et il n'est sorti de leurs conciliabules qu'un chaos incohérent; pas un progrès, pas une amélioration pour ce peuple affolé qu'ils ont si cruellement trompé! D'où vient donc que les yeux ne se sont pas dessillés, et que les hommes de la Commune gardent des partisans et des apologistes ?

Ce n'est pas tout; cette ville qui leur a été livrée, ils en ont fait un monceau de ruines; ils ont brûlé le palais du peuple comme le palais des rois. A l'Hôtel de Ville comme aux Tuileries c'est la France qu'ils ont frappée. Le vieux parloir aux bourgeois, avec ses souvenirs de l'ancienne municipalité parisienne et de toutes les grandes scènes de la Révolution ne les a pas plus arrêtés que le chef-d'œuvre de Philibert Delorme, avec ses souvenirs monarchiques. A la place Vendôme ils semblent avoir voulu atteindre la France nouvelle, la France de la Révolution, dans ce qu'elle a toujours eu de plus cher, la gloire militaire. Ils ont abattu la colonne, ce trophée de nos victoires; le piédestal qu'ils ont laissé subsister est là comme le monument funèbre d'un culte disparu! Et cela en présence des Prussiens qui applaudissaient à ces actes sauvages!

Et, en face de ces ruines lamentables, nous ne réagissons pas! La contagion de ceux qui ont subi la Commune semble avoir gagné la nation! Nous oublierions volontiers cette date du 18 mars! nous ferions le silence sur ces hontes accumulées pendant deux mois! nous pardonnerions sans peine aux coupables, non par générosité d'âme, mais pour ne pas faire un triste retour sur nousmêmes et pour ne pas constater jusqu'à quel point nous avons été complices? Cela tient à deux causes principales qu'il faut résolument aborder.

Les ruines morales accumulées ou plutôt mises au jour par la Commune sont plus tristes, et plus grandes que les ruines matérielles. Ce qui a le plus souffert dans cette dernière catastrophe, c'est notre confiance en nous-mêmes, notre foi aux principes de la société moderne. Nos pères croyaient du moins à la révolution; imbus des idées spécieuses de la philosophie du dix-huitième siècle, ils avaient foi en la liberté et croyaient la fonder à jamais par leurs déclarations et leurs

lois. Toutes leurs aspirations étaient libérales, et ils voulaient les faire passer du domaine des idées dans le domaine des faits. La foi en la liberté a longtemps survécu à toutes les déceptions révolutionnaires, à toutes les usurpations du despotisme; quelques-uns d'entre vous, messieurs, ont assez vécu pour se souvenir du mouvement libéral de la Restauration et de la vigueur de l'esprit public retrouvant toute son énergie après le premier empire. Ce sentiment s'est peu à peu affaibli; la révolution du 18 mars est venue montrer toute l'étendue du terrain que nous avons perdu.

Le caractère de cette dernière révolution est étrange. Il ne s'agit plus pour les hommes du 18 mars d'améliorer l'état social, pas même d'en modifier ou d'en changer les bases. Non, ce qu'ils veulent c'est le renverser; il leur faut table rase, ils bâtiront après s'ils le peuvent; ils l'ont assez déclaré sur tous les tons la vieille société est mauvaise, il faut la détruire. En 1789, on agissait au nom des intérêts moraux; ici il ne s'a git plus que des intérêts matériels. Comment avons-nous pu descendre si bas? Il faut indiquer les degrés de cette échelle douloureuse. Nos malheurs sont si grands et encore si menaçants qu'ils nous imposent l'obligation et le devoir de dire toute la vérité. D'ailleurs, les événements se sont précipités avec une telle rapidité que des siècles nous séparent déjà du second Empire et que nous avons sur lui, pour ainsi dire, les droits de la postérité.

III

Lorsque le gouvernement du 2 décembre remplaça la République éphémère de 1848, la France, fatiguée de provisoire et d'incertitude, avait une soif ardente de repos et de conservation, sans abdiquer toutefois ses aspirations. L'Empire représentait à la fois le pouvoir et la révolution, et répondait ainsi aux intérêts conservateurs comme aux instincts révolutionnaires du pays. Il y a des temps où nous poussons jusqu'à l'abandon la passion de l'autorité, à condition qu'elle nous décharge du souci de nous-mêmes; et, par une étrange contradiction, nous retrouvons bientôt, pour le principe même de l'autorité, une antipathie qui va jusqu'au désir incessant d'en renver-. ser les représentants. L'idéal politique, à cette date de notre histoire, a paru être dans un régime qui réunissait et conciliait le pouvoir matériel et la licence morale, et qui permettait de faire vivre côte à côte l'autorité et la revolution. Le coup d'Etat avait encore, aux yeux de ceux qui se croyaient conservateurs en acceptant les mesures les plus empiriques, le mérite d'être un coup de force qui venait d'en haut au lieu de

venir d'en bas. L'origine leur faisait illusion, et ils ne voyaient pas que c'était le désordre, l'insurrection, la révolte contre la loi, consacrés par le pouvoir qui avait mission de les réprimer, c'est-à-dire ce qu'il y avait de plus contraire à leurs principes.

Jamais, plus cruelle atteinte ne fut portée au sens moral d'un peuple. Le gouvernement, en renversant la constitution au nom du suffrage universel, ouvrait une brèche par laquelle la démagogie ne pouvait manquer de passer tôt ou tard.

La grande et honnête opinion conservatrice, saisie de je ne sais quelle impatience febrile, out la faiblesse d'accepter, de la force et de la révolution, ce que lui auraient certainement donné, dans un court délai, le régime légal et le progrès des idées d'ordre si prononcé à cette date. Elle a payé bien cher sa complaisance pour les téméri tés d'un pouvoir qui, sacrifiant tout aux intérêts du moment, semblait oublier que les peuples ont un long avenir, et que quelques années de prospérité matérielle sont toujours trop chèrement achetées quand on les acquiert aux dépens de cet avenir.

Pendant une grande partie du dernier règne, le gouvernement, au lieu de s'appuyer sur les grands intérêts conservateurs qui l'avaient porté au pouvoir, ne leur donna qu'une insignifiante satisfaction. Il les alarmait sur un point quand il les rassurait sur un autre, et semblait garder toujours, comme en réserve, l'appui de la démagogie.

A la fois autoritaire et révolutionnaire, caressant les mauvaises passions des riches comme les appétits des pauvres, il favorisait l'abaissement des hautes classes et la corruption des classes inférieures. La France, enserrée dans le réseau d'une centralisation excessive, ne recevait d'impulsion que de la capitale, et le mal fait à Paris se répercutait dans les départements. Les villes imitaient les emprunts et les constructions insensées de Paris; elles copiaient de leur mieux un luxe stérile et gans grandeur; et, dans cette imitation ruineuse, la vie provinciale s'effaçait de plus en plus. Tout émanait de Paris, tout y retournait et venait s'y engloutir, la vie n'était que là, et encore une vie factice qui consommait sans créer, les hommes et les choses, et qui devait, à un moment donné, montrer dans nos défaites et notre impuissance à repousser l'invasion, et l'effrayante stérilité d'un régime de pouvoir absolu prolongé pendant vingt ans.

Une so eflrénée des jouissances matérielles s'était emparée de la nation entière; l'exemple venu de haut avait été contagieux; chacun voulait accroître sa part de bien-être. L'ambition de la richesse semblait avoir remplacé toutes les au

tres (1). Jamais la spéculation n'avait atteint de telles limites; il fallait faire fortune, une fortune rapide. Des hommes de rien, pour emprunter ici l'expression d'un diplomate anglais, spéculaient sur tout et acquéraient ainsi avec la puissance une considération usurpée. Le scandale de succès financiers aussi rapides que peu justifiés démoralisait la nation le crédit public était compromis par des manœuvres honteuses; elles amenaient devant la justice des noms qui auraient dû rester honorables. Le respect, que l'on a appelé à si juste titre le ciment de l'édifice social, faisait partout de plus en plus défaut, et les aveugles seuls se sont étonnés de voir un jour tout se disjoindre et s'écrouler.

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Corrumpere et corrumpi, comme parle Tacite, semblait la devise d'une société affolée de licence et de sensualisme. On protégeait l'immoralité dans les arts et dans les lettres; des productions, qui auraient dû être énergiquement flétries, recevaient des distinctions et des récompenses. On propageait le goût du faux et du théâtral; rien de grand dans ces constructions dont le prix ef fraye l'imagination. On avait trouvé le secret de prodiguer les richesses pour ne produire que de petits effets. Témoin ce monument dans lequel se résume le goût du règne et que la Commune a respecté comme le temple du culte matériel qu'elle voulait inaugurer.

L'Empire a, pendant vingt ans, flatté les passions de la démocratie, non pas précisément par goût, mais parce que c'était un moyen pour lui de diriger et de dominer le suffrage du nombre sur lequel il avait assis son fragile pouvoir. Il a cru être assez fort pour enchaîner ou déchaîner, au gré de ses intérêts, des forces qui devaient un jour se retourner contre lui et le renverser. Le plus grand reproche assurément que l'avenir fera au régime impérial, c'est d'avoir contribué à pervertir les classes ouvrières, celles qui vivent du travail de leurs mains et dont le premier capital est la probité, la tempérance, l'ordre et l'économie.

Travailler à améliorer le soit des classes pauvres, à mettre à leur portée tout ce qui est bon, honnête et utile, c'est le devoir de tout gouvernement qui se respecte, c'est votre mission, messieurs, vous n'y faillirez pas Mais favoriser les mauvais instincts des travailleurs, chercher un point d'appui dans leur dépravation, est plus qu'une faute. L'Empire a augmenté les appétits brutaux des masses; il a accéléré la dissolution de la famille, il a exalté l'envie, la révolte morale pas ses encouragements à la mau

(1)..... Et turpi fregerunt sæcula luxu

Divitiæ molles..... (JUVENAL, satire VI. v. 292.)

vaise presse, aux mauvais livres, aux mauvais spectacles; les théâtres patentés étaient un dissolvant de toute morale; la moindre allusion politique contre le pouvoir était interdite, mais pour a licence des mœurs et des idées, point de veto. La petite presse, favorisée par l'exemption du timbre et patronnée de mille façons, infiltrait partout le poison du vice et du crime. La loi ellemême contribuait à démoraliser les travailleurs : la loi sur les coalitions donnait l'essor à toutes les ambitions et à toutes les espérances que -l'Empire avait fait naître dans l'esprit de la démagogie; elle encourageait le mécontentement et la révolte des ouvriers contre les patrons, sans régler les droits légitimes des uns et des autres. En favorisant les grèves, la loi mettait en quelque sorte à l'ordre du jour la guerre sociale; en supprimant les livrets, elle enlevait une garantie à l'ouvrier honnête et laborieux, et ne servait que les intérêts des paresseux et des incapables.

iv

Il faut bien aborder, quoi qu'il en coûte, un côté plus élevé de 11 question. Les attaques violentes contre ce qu'il y a de plus respectable et de plus sacré tolérées, sinon favorisées, à la condition de respecter le gouvernement et sa politique; les croyances d'un peuple livrées au sarcasme d'une presse éhontée; le matérialisme prêché sur tous les tons; cela s'appelait dans un cynique langage la soupape du régime. Nous voudrions croire qu'il n'y a jamais eu système et parti pris à cet égard; ce que nous recueillons de cette croisade contre la foi de nos pères, les tristes fruits qu'elle a produits sont trop amers pour ne pas faire réfléchir les plus aveugles. On a semé le vent de la haine; on a 'recueilli les massacres sur lesquels nous gémissons.

Que dire des réunions publiques tenues à Paris et dans quelques-unes de nos principales villes de France pendant les deux dernières années de l'Empire? Comment admettre qu'un gouvernement régulier ait pu tolérer un tel déchaînement d'attaques contre tout ce qui est respectable? Pour ceux qui ont suivi ces réunions populaires, il a été facile de mesurer les ravages que les doctrines révolutionnaires et antireligieuses ont faits par ce moyen dans les masses, et de connaître la. cause des troubles qui ont ensanglanté notre pays. Grâce à ces réunions, on avait réussi à corrompre profondément, au sein de notre capitale si orgueilleuse des lumières qu'elle renferme, une foule de gens pour lesquels l'athéisme était la seule philosophie raisonnable; le communisme, la seule doctrine économique et sociale; la force, quelque chose de supérieur au droit.

La nation semblait avoir renoncé à toute res

ponsabilité sur ses destinées. Privée d'initiative, elle se laissait représenter par un corps législatif muet, puis par des assemblées dont les pouvoirs insuffisants ne pouvaient opposer un véritable contrepoids à l'autorité absolue du maître. Les consciences livrées aux faiblesses de l'inertie, aux mauvaises suggestions de l'égoïsme, n'avaient plus de ressort. Le gouvernement paraissait à l'apogée de sa force; il entreprenait les guerres les plus anti nationales; il fondait, au prix đu sang de nos soldats, l'unité de l'Italie qui devait préparer l'unité de l'Allemagne et les désastres de la guerre de 1870; il perdait de gaieté de cœur, au fond du Mexique, et nos armées, et nos alliances, et, ce qui est plus triste, notre dignité morale; nous laissions assassiner un empereur fait de nos mains, et le crime que nous avions subi, une fois accompli, nous nous retirions sans venger ce sang qui retombait sur nous. La France docile continuait à fournir en silence ses enfants et ses trésors. Mais, tandis que tout, dans le monde officiel, se taisait ou acclamait l'empereur, dans l'ombre, dans un coin de Paris, au sein de ces classes ouvrières que le gouvernement avait tant fait pour séduire, se formait un pouvoir occulte, une société moitié secrète, moitié publique, politico-sociale qui, invoquant d'abord la protection de l'empereur et des princes de sa famille, acquérait bientôt assez de force pour repousser tout appui, traiter de haut le ministre le plus autoritaire du règne et remplir le monde du bruit de ses congrès, de la discussion de ses théories de renversement. Il ne s'agit plus d'améliorer la société, de changer la forme du gouvernement, d'ôter le pouvoir aux uns pour le donner aux autres. Non; la société était tout simplement condamnée, dans ses institutions, dans son existence; on lui demandait de disparaître corps et biens pour faire place à un ordre nouveau

L'ennemi qui levait ainsi le drapeau d'une lutte terrible et suprême, s'appelait l'Internationale. La France surprise s'aperçut un jour avec effroi qu'elle avait fait fausse route. Ce qu'elle avait surtout voulu fuir en acceptant l'empire, c'était le socialisme et la révolution; et le pouvoir, se faisant socialiste et révolutionnaire, la conduisait à une révolution bien plus radicale que celle de 1818! Elle eut un vague instinct que celui qu'elle avait pris pour la préserver contribuait par sa politique à susciter cet immense danger; mais il n'était plus temps de reprendre la direction d'elle-même. Elle cherchait partout la responsabilité et ne la trouvait nulle part; elle invoquait le secours d'un homme de cœur et de génie qui voulût et pût la sauver, le régime qu'elle venait de traverser n'en avait pas créé !

L'Internationale était une puissance cosmopolite; pour elle, pas de frontières, pas de patrie

son mot d'ordre, elle le recevait de l'étranger; ses alliés, elle les trouvait chez nos ennemis; sa force, elle l'empruntait aux doctrines matérialistes qu'on avait préconisées si longtemps. En vain, on chercha à la traduire devant la justice; les attaques la grandissaient, les réquisitoires lui servaient de propagande. Le pouvoir n'avait trouvé d'autre expédient, pour échapper aux responsabilités, que de déchaîner contre la société, déjà si menacée, la presse, les réunions publiques; il mettait à abattre les barrières qui arrêtaient la démagogie, autant de soin et d'activité qu'il en avait mis à les élever; puis, voyant qu'il détruisait une à une les forces sociales qui restaient debout, effrayé lui-même du déchaînement des

tempêtes révolutionnaires, il précipitait la France dans une guerre insensée, sans préparatifs, sans alliances, et laissait tomber au milieu de nos défaites, un pouvoir qu'il avait cru relevér par ses victoires. L'Internationale, après avoir contribué à nos désastres par son entente avec l'étranger, organisa dans Paris l'armée de la révolution que nous avons vue à l'œuvre le 18 mars. La chute de la Commune n'a malheureusement anéanti ni se3 forces, ni ses projets; l'ennemi est là devant nous; il a les mêmes aspirations, les mêmes convoitises; il recrute chaque jour son armée; il faut dire, une fois pour toutes, ce qu'il est, ce qu'il veut et comment il a acquis la force avec laquelle nous avons à compter aujourd'hui.

Doctrines socialistes.

l'association.
penseurs.

CHAPITRE NEUVIÈME

Force que l'Internationale met à leur service. Origine et fondation de Son but, ses statuts, son organisation. Association internationale des libresFédérations ouvrières. Conférences d'Adelphi Terrace, à Londres. Congrès de Genève; mémoire des délégués parisiens. — Grève des bronziers de Paris. Congrès de Lausanne; l'Internationale s'allie avec le jacobinisme. Adhésion à la ligue de la paix; manifestations politiques. Premier procès intenté par l'Empire. Congrès de Bruxelles; Congrès de la ligue de la paix, à Berne. Alliance internationale de la démocratie socialiste; son programme. — Congrès de Bâle; la propriété y est condamnée. Projet de Congrès à Paris pour 1870. Congrès provincial à la Chaux-de-Fonds. Second et troisième procès intentés par l'Empire. — Rôle de l'Internationale sous le Gouvernement du 4 septembre. Part qu'elle prend à l'insurrection du 18 mars. Ses adeptes acceptent partout en Europe la responsabilité des actes de la Commune. Manifestes publiés à ce sujet dans divers pays.

I

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Nous sommes en présence d'une nouvelle invasion de barbares; ils ne sont pas à nos portes, mais au milieu de nous, dans nos villes, assis à notre foyer. Ils ne viennent pas, comme leurs devanciers des IV et V• siècles, apporter au monde vieilli un sang régénérateur. C'est par le meurtre et l'incendie qu'ils procèdent, et ce n'est pas tant la cité de pierres qu'ils veulent détruire, que la cité morale. Niant les vérités qui ont été jusqu'ici l'honneur du genre humain, ils n'attaquent pas seulement la propriété, la famille, ces bases séculaires de toute société; ils s'en prennent à l'existence de Dieu, à l'immortalité de l'âme. Rejetant la distinction du bien et du mal, la liberté et la valeur morale des actes humains, ils étalent au grand jour les corruptions, les bassesses, les appétts sauvages qui jusqu'ici restaient inavoués dans les bas-fonds de la société.

La Commune de Paris vient de montrer à l'œuvre les théories insensées, les programmes menteurs dont la réalisation ferait reculer l'humanité de plusieurs siècles. On ne saurait assez le redire aux adeptes du progrès: les idées au nom desquelles s'est faite l'insurrection du 18 mars ne sont pas nouvelles. Le monde les connaît depuis qu'il existe, et elles ont surgi au milieu de toutes les grandes crises de l'humanité, en Orient comme en Occident, dans l'antiquité comme dans les temps modernes. On les trouve en Egypte, aux III et IVe siècles, concurremment avec les progrès des écoles philosophiques d'Alexandrie. Le moyen-âge, le XVI siècle en Allemagne, le XVII® en Angleterre ont eu leurs socialistes, qui pensaient et agissaient comme ceux de nos jours. On a écrit des volumes sur toutes les questions prétendues sociales. Les utopistes de tous les temps, les philosophes et les penseurs de tous les pays s'en sont occupés. Ce qui est nouveau, ce n'est

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donc pas le socialisme contemporain, mais l'armée organisée et vraiment formidable que l'Internationale met à son service. Le dan ger n'est pas dans les idées de la secte, mais dans les facilités de réunion et de propagation qu'offre aux sectaires l'Association des travailleurs servie par toutes les découvertes de la science moderne. Grâce à l'unité de la société française, grâce à la publicité immense de la presse et à la facilité des communications de tous genres, l'appel du socialisme retentit incessamment partout, de telle sorte que les conquêtes de la civilisation tournent contre elle, et que c'est à l'aide des chemins de fer, de l'électricité et de la puissance de la vapeur qu'on essaye de nous ramener à la barbarie. Les ennemis de la société peuvent aujourd'hui former des conspirations cosmopolites, et multiplier leurs attaques avec une rapidité telle que la force de résistance se trouve paralysée sur les points où il leur plaira de porter subitement leurs coups. Le danger est donc dans l'instrument mis à la disposition des masses inconscientes, à la disposition de ceux que M. Thiers appelait, il y a vingt ans, la vile multitude (1), il y a quarante ans, la vile populace (2), et qui, malgré le progrès des lumières, sont tout aussi faciles à tromper et à entraîner aujourd'hui qu'alors. Cet instrument, c'est l'association doublée du suffrage universel. Dès qu'on a proclamé la souveraineté absolue du nombre, il suffit de propager une idée fausse assez vite et assez complétement pour qu'elle passe dans les faits avant que la minorité ait pu protester, avant que la majorité ait pu reconnaître qu'elle s'est trompée; surtout si vous mettez dans la même main un fusil et un bulletin, c'est-à-dire la ten

(1) Discussion de la loi du 31 mai.

(2) Histoire de la Révolution, récit de la mort du roi.

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