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» elle doit au moins avoir un nombre et une

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harmonie qui lui soit propre. Avant lui, on » ne connaissait aucun art dans l'arrangement des » mots quand cet arrangement était heureux, » c'était un effet du hasard; car la nature elle» même nous porte à renfermer notre pensée dans un certain espace, à donner aux mots

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un ordre convenable, et à terminer nos phra» ses le plus souvent d'une maniere plus ou moins » nombreuse. L'oreille elle-même sent ce qui la

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remplit ou ce qui lui manque; nos phrases sont

coupées par les intervalles de la respiration, qui non-seulement ne doit pas nous manquer, » mais qui même ne peut être gênée sans produire » un mauvais effet. »

Cicéron parle ensuite de Lysias, d'Hypéride, d'Eschine, et après leur avoir payé le tribut d'éloges qu'ils méritent, il s'exprime ainsi : « Démos» thene réunit la pureté de Lysias, l'esprit et la » finesse d'Hypéride, la douceur et l'éclat d'Eschine; et quant aux figures de la pensée et aux » mouvemens du discours, il est au dessus de tout en un mot, on ne peut imaginer rien de plus divin. »

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L'éloge de Démosthene revient sans cesse sous la plume de Cicéron, comme celui de Racine sous la plume de Voltaire. Ainsi chacun d'eux n'a cessé

Cours de littér. Tome II.

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d'exalter l'homme qu'il devait craindre le plus et à qui il ressemblait le moins. Ce doit être sans doute un des avantages du génie, de sentir plus vivement que personne le charme de la perfection, parce qu'il en connaît toute la difficulté; et cet attrait doit contribuer à le mettre au dessus de la jalousie naturelle à la rivalité. L'intérêt de son plaisir l'emporte alors sur celui de son amour propre il jouit trop pour rien envier; il est trop heureux pour être injuste.

Il y a malheureusement des exceptions à cette vérité comme à toute autre; mais je ne m'occupe dans ce moment que des exemples d'équité, et celui de Cicéron est d'autant plus frappant, la justice qu'il rend à Démosthene fait d'autant plus d'honneur à tous les deux, que les caracteres de leur éloquence, comme je viens de le dire, sont absolument différens, Cicéron est de tous les hommes celui qui a porté le plus loin les charmes du style et les ressources du pathétique. Il se complaît dans sa magnifique abondance, raconte avec tout l'art possible et pleure avec grâce. C'est pourtant lui qui regarde Démosthene comme le premier des hommes dans l'éloquence judiciaire et délibérative, parce que nul ne va plus promptement et plus sûrement à son but, qui est d'entraîner la multitude ou les juges. C'est Cicéron qui vante

la supériorité de Démosthene, l'élévation de ses idées et de ses sentimens, la dignité de son style et son impulsion victorieuse. Fénélon lui rend le même hommage et le préfere à Cicéron, que pourtant il aime infiniment, tant il était de la destinée de Démosthene de subjuguer en tout genre, et ses juges, et ses rivaux,

On sait tous les obstacles qu'il eut à vaincre et tous les efforts qu'il fit pour corriger, assouplir, perfectionner son organe, et pour rendre son action oratoire digne de sa composition; mais peutêtre n'a-t-on pas fait assez d'attention à ce qu'il y avait de grand dans cette singuliere idée, d'aller haranguer sur les bords de la mer, pour s'exercer à haranguer ensuite devant le peuple. C'était avoir saisi, ce me semble, sous un point de vue bien juste, le rapport qui se trouve entre ces deux puissances également tumultueuses et imposantes, les flots de la mer et les flots d'un peuple as

semblé.

Raisonnemens et mouvemens, voilà toute l'éloquence de Démosthene. Jamais homme n'a donné à la raison des armes plus pénétrantes, plus inévitables. La vérité est dans sa main un trait perçant qu'il manie avec autant d'agilité que de force, et dont il redouble sans cesse les atteintes. Il frappe sans donner le tems de respirer; il pousse, presse,

renverse, et ce n'est pas un de ces hommes qui laissent à l'adversaire terrassé le moyen de nier sa chute. Son style est austere et robuste, tel qu'il convient à une âme franche et impétueuse. Il s'occupe rarement à parer sa pensée : ce soin semble au dessous de lui; il ne songe qu'à la porter toute entiere au fond de votre cœur. Nul n'a moins employé les figures de diction, nul n'a plus négligé les ornemens; mais dans sa marche rapide il entraîne l'auditeur où il veut, et ce qui le distingue de tous les orateurs, c'est que l'espece de suffrage qu'il arrache, est toujours pour l'objet dont il s'agit, et non pas pour lui. On dirait d'un autre Il parle bien; on dit de Démosthene : Il

a raison.

SECTION I I.

Des diverses parties de l'Invention oratoire, et en particulier de la maniere de raisonner oratoirement, telle que l'a employée Démosthene dans la harangue pour la Couronne.

L'invention oratoire consiste dans la connaissance et dans le choix des moyens de persuasion. Ils sont tirés généralement des choses ou des personnes; mais la maniere de les considérer n'est pas la même, à plusieurs égards, dans les délibérations politiques que dans les questions judiciaires. Dans celles-ci, de quoi s'agit-il d'ordinaire? Tel fait est-il constant? Est-il un délit ? Quelle loi y estelle applicable? L'âge, la profession, les mœurs, le caractere, les intérêts, la situation de l'accusé, rendent-ils le fait probable ou improbable? Voilà le fond du genre judiciaire. Dans le délibératif, il s'agit, suivant les anciens rhéteurs, de ce qui est honnête, utile ou nécessaire. Mais Quintilien rejette ce dernier cas, et prenant le mot dans son acception rigoureuse, c'est-à-dire, pour ce que l'on est contraint de faire par une nécessité insurmontable, il prétend que cette contrainte ne peut exister dès qu'on préfere la liberté de mourir.

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