Immagini della pagina
PDF
ePub

hardies et que, dans l'exercice des hautes fonctions qu'il eut à remplir, il dota Rome d'aqueducs nouveaux et de cette magnifique voie appienne qu'on admire encore de nos jours; nous savons aussi qu'on lui attribuait dans l'antiquité certaines innovations apportées à l'alphabet latin '; que Panætius, dans une lettre à Tubéron, faisait un grand éloge de vers saturniens écrits par lui; et qu'en dehors de ses recherches juridiques, il s'adonnait à des travaux intellectuels, dont toute trace n'est pas perdue pour nous. Festus, en expliquant le mot stuprum 3, nous a conservé une de ses pensées :

« Qui animi [vult se] compotem esse, ne quid fraudis stuprique ferocia pariat; »>

Être maître des mouvements de son âme, pour que l'orgueilleuse colère n'engendre ni dommage ni honte; »

et une des deux prétendues lettres de Salluste à César en fournit une autre :

« Fabrum esse quemque fortunæ. »

a Chacun est l'artisan de son sort 5. >>>

Il n'est donc pas impossible qu'un homme qui savait si bien trouver de telles sentences, qui publiait des ouvrages de droit, qui n'était pas malhabile à faire des vers et qui

(1) Voir une citation de Marcianus Capella (De Nuptiis philologiæ, III, $261, éd. Kopp), relative à l'opinion d'Appius Claudius sur la lettre Z, et le passage de Pomponius (De origine juris, § 36): « App. Cl. R litteram invenit, ut pro Valesiis Valerii essent, et pro Fusiis Furii. L'opinion

«

de Pomponius est toutefois exagérée : il faut restreindre l'innovation attestée par lui à un usage plus fréquent de la lettre R.

(2) Cic., Tuscul., IV, 2: « Mihi quidem Appii Cæci carmen, quod valde Panatius laudat epistola quadam, quæ est ad Q. Tuberonem, Pythagoreum videtur. »

(3) L. XVII.

(4) De ordin. rep., II, 1.

(5) Une imitation de ces deux pensées se remarque dans le recueil de P. Syrus « Homo extra corpus est, cum irascitur.- Fortunam cuique mores confingunt sui. »

peut-être même s'occupait de questions grammaticales, ait aussi apporté à la composition d'un discours politique un soin que ses contemporains ne prenaient pas encore. La précaution qu'il eut de le mettre par écrit dénoterait à elle seule que, le premier de tous les Romains, il eut le sentiment qu'à l'éloquence naturelle pouvait se rattacher quelque intérêt littéraire, et ce fait doit d'autant moins. nous surprendre qu'il date de l'an 474 de Rome, c'est-à-dire d'une année qui touche à la fin même de cette longue période pendant laquelle la République resta dans l'ignorance de l'art oratoire.

Sans doute ce n'est pas l'impression de cette ignorance que nous ressentons quand nous parcourons dans Tite-Live l'histoire des premiers temps de Rome. Nous trouvons, au contraire, au milieu des narrations de cet écrivain, un grand nombre de discours qui, tels qu'il nous les présente, nous donneraient la plus haute idée de l'habileté oratoire de la plupart des personnages en scène. Mais ne nous y trompons pas, ce que nous avons dans ces harangues, ce n'est pas le mode de composition des premiers Romains, c'est celui de l'auteur avec toute la richesse de sa science.

Les discours de Tite-Live n'en sont pas moins à consulter si nous voulons chercher dans l'antiquité des indications sérieuses sur ce que furent à Rome les commencements de l'éloquence politique. Car, bien qu'il prête son propre style aux personnages historiques, il leur conserve si fidèlement leur caractère et leurs passions, il peint avec une profondeur et une vérité si saisissantes leurs pensées et leurs sentiments, que personne ne nous a donné mieux que lui la représentation de tant de scènes variées où la parole ne resta pas inactive.

(1) - Primus apud Cræcos Pherycides Syrius soluta oratione scripsit, apud Romanos autem Appius Cæcus; jam ex hinc ceteri prosæ eloquentiam condiderunt. » Isidor., Orig., I, 37, 2.

II

La première chose qui nous frappe, en le lisant, c'est la grande différence des deux auditoires que présentaient le Sénat et le Forum, et par suite celle des caractères que prenait nécessairement la parole alors qu'elle s'exerçait dans l'un ou l'autre milieu.

Rien de plus grave que le Sénat dans lequel Cinéas disait avoir vu comme une assemblée de rois. Réuni, sur la convocation d'un des chefs de l'État', dans la Curie, c'est-à-dire dans un lieu sanctifié par les cérémonies religieuses, il n'avait point de séances publiques. Tout au plus admettait-il les ambassadeurs des rois et des peuples, qui, dès que leurs propositions avaient été enten

(1) Primitivement par les rois, puis par les consuls ou, en temps de dictature, par le dictateur ou son représentant, le maitre de la cavalerie, et quand la préture exista, par le préteur ou le préfet de la ville en l'absence des consuls.

(2) Un usage ancien permettait aux sénateurs d'amener aux séances leurs fils revêtus de la robe prétexte; c'était une manière de les former de bonne heure à la vie politique. Mais un incident plaisant montra que cet usage pouvait avoir ses dangers et y mit fin du moins Aulu-Gelle (Noct. Att., I, 23) explique par ce motif assez curieux comment il cessa. Un jour, dit-il, que le Sénat avait remis au lendemain la conclusion d'une affaire importante en recommandant à tous le secret absolu de sa délibération, la mère du jeune Papirius insista tellement auprès de lui pour lui faire commettre l'indiscrétion défendue, que l'enfant, poussé à bout, inventa ce mensonge: Le Sénat a réservé la question de savoir s'il vaut mieux pour la République qu'un seul homme ait deux femmes ou qu'une seule femme épouse deux hommes. A ces mots, la mère affolée court raconter la nouvelle aux dames romaines. Le lendemain, les matrones en grand nombre se rendent aux abords de la Curie; avec larmes et prières elles demandent qu'une femme épouse deux hommes plutôt qu'un homme deux femmes. Les sénateurs ne savent ce que signifient ce bruit et cette requête. Le jeune Papirius est obligé de le leur expliquer. Charmé alors de sa discrétion et de son esprit, le Sénat

[ocr errors]
[ocr errors]

dues, se retiraient avant toute délibération. La distinction des préséances y était rigoureusement observée, les consuls en fonction assis sur une espèce de tribunal, les personnages consulaires sur un banc réservé, les autres sur divers bancs. Chacun parlait debout, de la place qu'il occupait et à son tour de parole. Celui qui avait convoqué l'assemblée et qui légalement la présidait, commençait par expliquer l'objet de la délibération; après cet exposé (relatio), il demandait l'avis de chacun (interrogatio), s'adressant nommément d'abord aux consuls désignés, puis au plus illustre des personnages consulaires qui portait le titre honorifique de prince du Sénat (princeps senatus), puis aux consulaires, puis successivement à tous les autres magistrats dans l'ordre hiérarchique, et enfin à ceux du reste des sénateurs qui jouissaient du droit de parler'. La formule d'interrogation était la même pour tous: «Dites... quel est votre avis? Dic... quid censes? » Celui qui avait la parole en usait aussi longtemps qu'il le voulait, sans qu'il fût permis de l'interrompre. Quand tous les avis avaient été émis, il était d'usage que le président les résumât, ce qu'il faisait d'habitude sans dissimuler ses préférences. Après quoi il prononçait la formule du vote : << Que ceux qui sont de tel avis passent de ce côté, que ceux qui pensent différemment passent de l'autre3». Les sénateurs

le félicite et lui décerne le surnom de prætextatus pour rappeler la prudence dont il a fait preuve en sachant parler et se taire à propos dans l'àge où l'on porte encore la prétexte; il maintient pour lui l'autorisation d'accompagner son père à la Curie, mais il décide que tous les autres enfants en seront désormais privés.

(1) Il y en avait qui ne pouvaient que voter: c'étaient sans doute, en dehors de la liste des magistrats, les derniers nommés. On les appelait pedarii, parce que, dit Festus, ils ne votaient que du pied, en passant sans rien dire, au moment décisif, du côté de l'orateur, dont ils approuvaient l'opinion. Festus, XIV, v. pedarius senator.

(2) Il lui était même loisible de sortir de la question en y rattachant quelque autre sujet, plus important selon lui, et que le président, si exceptionnellement il le jugeait convenable, ou s'il y était entraîné par une acclamation générale, avait le droit de mettre aussitôt à l'ordre du jour. (3) Plin., Epist., VIII, 14; Cic., ad famil., VIII. 13.

quittaient leurs places et ainsi, selon l'expression pedibus in sententiam ire, votaient avec les pieds. Si, comme il arrivait presque toujours, les deux partis formés, la majorité était évidente, le président constatait le résultat par ces mots : « hæc pars major videtur. » Dans le doute, on comptait les voix de chaque parti (denumeratio). Venait alors l'énonciation du décret dont les termes étaient presque toujours empruntés à la proposition servant de conclusion à la principale harangue de ceux qui avaient parlé dans le sens de l'opinion dominante. De là le quare censeo et la phrase en forme de décret qu'on retrouve à la fin de la plupart des harangues sénatoriales.

De la composition et des règlements d'une telle assemblée il résultait que la parole y appartenait presque complètement à ceux qui exerçaient ou avaient exercé les plus hautes fonctions de l'Etat et aux plus anciens de ses membres. Il est évident que, lorsque les cent sénateurs interrogés les premiers avaient motivé leur avis, il devenait bien difficile aux autres de fournir une idée qui n'eût pas été exprimée déjà avant eux. Ce n'étaient donc pas, comme il arrive trop souvent dans les parlements modernes, les intrigants désireux de se mettre d'eux-mêmes en avant ou les bavards doués de la plus grande facilité d'élocution qui se trouvaient chargés d'expliquer et d'élucider les questions, mais bien les hommes les plus graves, à qui la gestion de la chose publique et l'expérience des années donnaient une réelle autorité. Ceux-ci, soyez-en sûrs, n'abusaient pas du droit qui leur était laissé d'étendre leurs discours aussi longuement qu'ils le voulaient, et, si ce n'est dans des circonstances exceptionnelles où ils croyaient qu'il y avait intérêt à prolonger la délibération pour empêcher tout vote immédiat', ils se contentaient

(1) On appelait cette tactique parlementaire eximere diem in dicendo. Cf. Cic., Epist. ad Attic., IV, 2; Aul. Gel., Noct. Att., IV, 10. —Voir, sur le fonctionnement et les mœurs parlementaires du sénat romain, l'intéressant ouvrage de M. J. B. Mispoulet, la Vie parlementaire à Rome sous la République, 1899, in-8 de 418 p.

« IndietroContinua »