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heureux, plus d'un siècle avant Horace 1, le poète Porcius Licinius, ce fut à l'époque de la seconde guerre punique que vaillamment la muse aux pieds ailés se porta à la conquête du peuple farouche de Romulus ».

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Quel fut à Rome le premier interprète de cette muse envahissante et conquérante? Un homme de condition bien humble, qui de naissance s'appelait Andronicus. Très jeune au moment où Tarente, sa patrie, fut prise par Papirius Cursor, il avait été emmené de cette ville avec la foule des prisonniers réservés à l'esclavage et était tombé en la possession de la famille Livia. On suppose sans pouvoir l'affirmer, qu'il appartint à ce Livius Salinator qui devait s'illustrer sur les bords du Métaure en y détruisant avec Claudius Néron l'armée d'Asdrubal, mais, en tout cas, nous savons que son maître le traita avec bonté et favorisa son goût pour l'étude. Après l'avoir chargé d'apprendre la langue grecque à ses enfants, il le récompensa de la bonne instruction qu'ils avaient reçue, en lui donnant la liberté et en lui conférant, selon l'usage de l'affranchissement, son propre nom de Livius.

Le commencement de réputation qu'avait fait à Livius Andronicus ce premier succès de ses leçons l'enhardit à les offrir publiquement aux jeunes gens des grandes familles; la fréquentation de son école étant devenue tout de suite un luxe aristocratique, il ne manqua pas d'élèves. Non content d'ailleurs de leur apprendre à parler le grec, il leur donnait en même temps le plus de notions littéraires qu'il pouvait. Il leur expliquait les poésies les plus remarquables de la Grèce, leur en dévoilait les diverses qualités et s'efforçait de leur donner à penser qu'il ne serait peut-être pas impossible de faire passer une partie de ces merveilleuses beautés dans la langue latine elle-même. Aussi,

(1) On connait le passage célèbre d'Horace, Epist., II, 1, v. 155: Græcia capta fcrum victorem cepit...

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(2) Fragment conservé par Aulu-Gelle, Noct. Att. XVII, 24 :

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après s'être exercé quotidiennement sur les passages les plus saillants des poètes qui faisaient le sujet de ses leçons, en vint-il à traduire en entier quelques-unes de leurs œuvres.

Il ne recula pas devant un des deux grands poèmes épiques. d'Homère, et ce fut l'Odyssée qui lui sembla, par la variété des récits, devoir, mieux que l'Iliade, exciter et retenir la curiosité des Romains'. Le vieux vers saturnien, le seul instrument dont pouvait alors disposer la poésie latine, nese prêtait guère à la traduction de l'hexamètre grec; mais il sut en tirer parti, il l'assouplit un peu et, malgré toutela rudesse du langage qu'il avait à manier, il réussit à présenter un ensemble qui produisit un grand effet sur son auditoire et sur ses lecteurs. Nous ne pouvons juger du mérite de cette œuvre par ce qui nous en reste; car les écrivains anciens ne nous en ont conservé qu'un très petit nombre de fragments3 fort courts, dont voici quelques-uns joints aux vers grecs qu'ils interprètent :

(1) Peut-être aussi avait-il lui-même plus de goût pour l'Odyssée que pour l'Iliade. D'excellents esprits ont marqué la même préférence dans tousles temps. Je déclare hautement, écrit Ch. Nodier dans ses Contes de la Veillée, que s'il fallait renoncer de toute nécessité à l'un de ces immortels chefs-d'œuvre d'Homère, l'Iliade et l'Odyssée, et qu'il y eût pour cela une ordonnance expresse du roi, ou une loi formelle des Chambres, je tâcheraisd'apprendre l'Iliade par cœur avant de la perdre, mais c'est l'Odyssée que je garderais. Je n'hésiterais pas un moment ».

(2) Suétone dit en parlant de lui et d'Ennius: .... Si quid latine composuissent, prælegebant ». De illustr. Gramm. 1.

(3) Les fragments de l'Odyssée de Livius sont rassemblés dans : A. E. Egger, Latin. sermon. vet. reliq., p. 116-119: L. Havet, de Saturn. latin. versu, p. 425-430; J.-A. Pfau, de numero saturn., p. 70-78; 0. Günther, Progr. von Greiffenberg 1864, 10 p. in-4 - Il faut avoir soin de ne pas classer parmi ces fragments certains restes d'une autre traduction latine de l'Odyssée, tels que ces vers:

At celer hasta volans perrumpit pectora ferro;

Od. Ch. XXII, v. 83.

Inferus an superus tibi fert deu' funera, Ulixe;

Od. Ch. XI, v. 135.

Ceux-ci sont des hexamètres du poète Lævius, dont les grammairiens ont quelquefois confondu le nom, à cause de la grande ressemblance, avec celui de Livius. Cf. Osaun. Anal. critic., p. 31 sqq.

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Εἰς ότε κέν μεν

Μετρ' ολοή καθέλησι τανηλεγέος θανάτοιο
Quando dies adveniet quem profata morta est?.

Τηλέμαχος δ' ετάροισιν ἐποτρύνας ἐκέλευσεν
Όπλων ἅπτεσθαι.

Tumque remos jussit religare struppis 3.

Ἔνθα δὲ Πάτροκλος, θεόφιν μήστωρ ἀτάλαντος.
Ibidemque vir summus, adprimus, Patroclus.
Δάκρυ ̓ ὁμορξάμεος κεφαλῆς ἄπο φάρος ἕλεσκεν.
Simul ac lacrimas de ore nogeo detersit3.

(1) Dis-moi, Muse, ce guerrier fécond en ressources ». Od. Ch. 1, v. 1. Cité par Aulu-Gelle, qui, à propos de l'emploi du mot insece pour inseque, dit avoir tiré ce vers d'un exemplaire authentique de Livius, trouvé par lui dans la bibliothèque de Patras. Noct. Att., XVIII, 9.

(2)« Quand viendra le jour qu'a désigné la mort ». Od. Ch. II, v. 99-100; Ch. III, v. 237-238; et ailleurs. Cité par Aulu-Gelle, Noct. Att. III, 16. Ce vers et le précédent montrent comment, pour rendre intelligibles aux Romains certains détails du texte homérique, Livius modifie des noms propres et désigne les types mythologiques des Hellenes par des dénominations analogues prises dans les antiques légendes de l'Italie. La Parque devient Morta, la muse devient Camena, qu'il appelle ailleurs la divine fille de Moneta :

Nam diva Monetas filia docuit.

Od. Ch. VIII, v. 480.

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(3) Et alors il donna l'ordre d'attacher les avirons à leurs liens » Od. Ch. 11, v. 422-423; Ch. XV, v. 287-288. Cité par Isid., Orig. XIX, 4, $9. (4). Et aussi un guerrier de très haute valeur, du premier rang, Patrocle ». Od. Ch. III, v. 110. Cité par Aulu-Gelle, Noct. Att., VII, 7.

(5) « Dès qu'il eut fait disparaitre les larmes de son visage sous son manteau. Od. Ch VIII, v. 88. Cité par Festus, au mot nægeus. Le nogeum était, au dire de Festus, un manteau blanc garni de pourpre ; mais il me semble qu'après avoir fourni ce renseignement, le grammairien traduisait mal le mot nogeo du vers de Livius en le faisant rapporter à ore avec le sens de ore candido (blanc visage); car Livius n'aurait pas alors traduit la pensée si délicate d'Homère, qui parle expressément de la façon dont Ulysse se servait de son manteau pour cacher ses larmes : « Voilà ce que chantait l'aède à la voix sonore cependant Ulysse, ayant pris son

Quelque retentissement qu'cût ce travail, comme la traduction d'un poème épique ne pouvait en somme s'adresser qu'à une classe d'élite, Livius voulut étendre sa réputation en élargissant de beaucoup le cercle de ceux auxquels il s'adressait et imagina de transporter à Rome les représentations des pièces grecques. Il ne chercha ni sujet, ni canevas nouveau de la même façon qu'il traduisit une épopée d'Homère, il se mit à rendre en latin les œuvres des poètes tragiques et comiques de la Grèce, moins fidèlement sans. doute, mais sans aucun effort d'invention. La première pièce qu'il fut autorisé à représenter et qu'il joua, car luimême était acteur', parut en l'an 240 avant J.-C. (514 de Rome), date mémorable dans l'histoire des lettres, puisqu'elle ouvre, à vrai dire, l'ère du théâtre régulier des Romains.

Nous devons croire que ses comédies furent moins nombreuses que ses tragédies; car des premières nous ne connaissons guère que trois titres, Gladiolus, Ludius et Virgus, tandis que des secondes nous en avons beaucoup plus Achilles, Ægisthus, Ajax, Andromeda, Danae, Equus Trojanus, Hermiona, Ino, Tereus. Ces derniers, à défaut de fragments capables de nous donner une idée de sa poésie

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manteau de pourpre avec ses mains vigoureuses, le ramena sur sa tête et couvrit son beau visage : car il avait honte que les Phéaciens vissent ses yeux baignés de larmes. Lorsque le divin aède cessait de chanter, il essuyait ses larmes et rabaissait son manteau. » Trad. de M. E. Pessonneaux, lib. Charpentier, 1869.

(1) Livius... qui ab saturis ausus est primus argumento fabulam serere, idem scilicet, id quod omnes tum erant, suorum carminum actor,... Tit. Liv., VII, 2.

(2) Voir Fragm. dans Ribbeck, Com. lat., p.3 sq., id. Trag. lat.,

p. 1-6.

Il n'y en a guère de plus importants que les deux que voici, l'un, que nous a conservé Festus, de la comédie du Gladiolus :

publicesne an cimices

An pedes? responde mihi.

Sont-ce des puces ou des punaises ou des poux ? Réponds-moi.

l'autre, qui appartenait à la tragédie d'Achilles :

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Si j'imite les méchants, toi alors pour le méfait, tu me donneras un

scénique, nous montrent du moins qu'il avait su faire un choix des personnages et des situations les plus dramatiques. Nous n'ignorons pas d'ailleurs que le succès avait récompensé ses efforts, qu'il était très aimé et qu'on le demandait souvent dans les fêtes publiques. Il finit même par y fatiguer sa voix et, comme on ne voulait pas se priver de lui, cette fatigue fut cause d'une innovation importante, que signale Tite-Live. Il obtint alors du peuple, d'après ce que nous apprend l'historien, la permission de placer devant le joueur de flûte un jeune esclave qui chantait pour lui les vers des cantica. Ainsi exonéré du soin de chanter et n'ayant plus à s'occuper dans ces morceaux que des gestes, il put y déployer plus de vigueur et d'expression. Aussi les Romains furent-ils enchantés de son jeu; et, à partir de ce moment, ce devint une règle que l'acteur réservât sa voix uniquement pour les diverbia, c'est-à-dire pour les parties parlées de la pièce, mais que, dans les cantica, les gestes et les paroles fussent séparés et confiés simultanément à l'acteur et au chanteur'.

La grande célébrité et l'estime générale que Livius s'était acquises firent que, vers la fin de sa carrière, dans une circonstance solennelle, où il s'agissait de détourner la colère du ciel, il fut chargé d'être l'interprète de la ville entière. dans un hymne religieux qui fut chanté, au milieu d'une grande cérémonie publique, par les jeunes filles romaines. Tite-Live énumère les divers prodiges qui avaient frappé de terreur tous les esprits et raconte fort au long la cérémonie qu'avaient ordonnée les pontifes. Précédées de deux génisses blanches et de deux statues de Junon Reine, faites en bois de cyprès, vingt-sept jeunes filles, partagées en trois choeurs, parées de robes traînantes et que

salaire. D Le latin, comme on le voit, n'est pas aussi éloigné qu'on aurait pu le croire de celui des auteurs classiques.

(1) Ce récit de Tite-Live (VII, 2) se retrouve chez Valère-Maxime, II, 4. Quant à la distinction des cantica et des diverbia, nous aurons occasion -d'en reparler dans un des chapitres suivants.

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