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Puis l'auteur racontait la naissance miraculeuse de Romulus, fils de la fille d'Enée, et la fondation par lui de la ville de Rome; il faisait allusion à l'Aventin, au Palatin, aux lieux illustrés par la légende, aux monuments nationaux des temps primitifs. Et les origines de Rome ainsi expliquées, il passait à celles de Carthage et parlait de Didon et de sa sœur Anne'. Dans ce récit supposait-il qu'Enée s'était arrêté sur la côte africaine et le mettait-il en présence de la fondatrice de l'empire carthaginois? Quelques commentateurs, Niebuhr 2 entre autres, le pensent et sont d'avis d'appliquer à Didon le fragment «Blande et docte... etc. », que je viens de rapporter, comme on le fait généralement, au roi Latinus; mais, en somme, rien ne prouve que cet épisode ait été inventé par Nævius, et il est possible que Virgile, qui en a tiré parti d'une manière si brillante et si touchante, l'ait créé lui-même, conduit d'ailleurs à cette création par le simple rapprochement des deux personnages, trouvé dans le seconde livre du Bellum punicum.

Après ces préliminaires, Nævius entrait dans les événements de la guerre punique. Les féciaux, porteurs des rameaux et des herbes sacrés,

Scopas atque verbenas sagmina sumpserunt,

font la déclaration de guerre; le consul Manius Valérius, à la tête d'une partie de l'armée, part pour la Sicile,

Manius Valerius consul partem exerciti

In expeditionem ducit....

et les Romains se munissent d'une flotte. Les poupes de leurs vaisseaux portent les images des divinités: << C'est d'abord la fille de Cérès, Proserpine; puis le dieu armé de

(1) Serv., ad En., IV, 9.

(2) Hist. rom., I.

(3) Vahlen, p. 14.

l'arc aux flèches puissantes, le dieu vénérable de Delphes, Apollon Pythien»; «elles portent aussi les figures des Titans, des Géants à double corps, des superbes Atlantes, de Rhuncus et de Purpureus', ces fils de la terre »,

Prima incedit Cereris Proserpina puer 2

....

Dein pollens sagittis inclusus arquitenens
Sanctus Delphis prognatus Pythius Apollo...3.
Inerant signa expressa quo modo Titani,
Bicorpores Gigantes, magnique Atlantes
Rhuncus ac Purpureus, filii terras “.

Le chef de la flotte, «le vieux Duilius, prenant un appui dans le sentiment religieux, invoque le dieu des mers, frère du roi tout-puissant des dieux »,

Senex, fretus pietate deum, adloquutus summi

Deum regis fratrem ;

et Rome remporte sa première victoire navale, qui remplit de terreur les Carthaginois menacés dans les éléments essentiels de leur puissance,

Sis Ponei contremiscunt artibus.

Venait ensuite le récit de la campagne de Sicile, qui terminait le troisième livre.

Le quatrième était presque tout entier consacré à la gloire de Régulus. Le héros « passe par l'ile de Malte, y met tout à feu et à sang, la dévaste et la ruine entièrement »;

Transit Melitam Romanus, insulam integram omnem
Urit, populatur, vastat, rem hostium concinnat ;

(1) Le grec Porphyrios.

(2) Priscien, VI, 5.

(3) Macrob., Saturn., VI.

(4) Ce troisième fragment, que Spangelbert (éd. des Annales d'Ennius, 1835, p. 195) joint aux deux précédents, est donné par Priscien comme faisant partie du 1er livre, et Niebuhr (Hist. rom., 1) l'attribue à une description que Nævius, comme plus tard Virgile, aurait faite du bouclier d'Énée.

il se transporte en Afrique, y commence la campagne sous d'heureux auspices, mais ensuite est abandonné de la fortune; son âme pourtant reste impassible devant les vicissitudes du sort;

Jamque ejus mentem Fortuna fecerat quietam...

... vicissatim volvi victoriam...;

fait prisonnier avec un grand nombre des siens, il les exhorte à ne pas se laisser racheter et « ils aiment mieux périr en ces lieux-mêmes que revenir avec honte près de leurs concitoyens »;

Seseque ei perire mavolunt ibidem,

Quam cum stupro rebitere ad suos populares.

Tel est le désir que le général, mis en liberté sous conditions, vient faire connaître au Sénat. Quelques voix s'élèvent bien en leur faveur : « Les abandonner, dit-on, eux les plus valeureux des hommes, ce serait une grande honte pour Rome aux yeux des nations >> ;

Sin illos deserant fortissumos virorum,

Magnum stuprum populo fieri per gentes;

mais le Sénat, convaincu par Régulus, leur permet de se sacrifier au devoir; Régulus revient se livrer à ses ennemis qui le font mourir atrocement. Peu après, la flotte romaine, chargée des légions victorieuses, est engloutie dans la mer en fureur.

Inhospitalis victrices absorbet unda
Latium legiones homonum...

Du cinquième livre, il ne reste qu'un demi-vers se rapportant peut-être à la famine de Lilybée. Il traitait des événements accomplis dans une période d'environ sept ans.

Le sixième embrassait à peu près le même temps, montrait toutes les forces des deux républiques concentrées les

unes contre les autres dans un coin de la Sicile et disait les péripéties de leurs nombreux et sanglants combats jusqu'au jour de la grande victoire navale remportée par Lutatius près des iles Ægates.

Le septième livre, enfin, célébrait les résultats de cette victoire. On y voyait Carthage se résignant à demander la fin d'une guerre ruineuse pour son commerce et n'obtenant la paix qu'à la condition humiliante d'abandonner la Sicile et les îles voisines, de rendre sans rançon tous les prisonniers, de payer une forte indemnité; Rome récompensant généreusement Hiéron de sa fidèle alliance et sortant incontestablement triomphante, elle qui n'avait pas connu la mer jusque-là, d'une lutte héroïque de vingt-quatre années contre la plus puissante des nations maritimes.

Bien que les fragments du Bellum punicum soient peu nombreux et très courts, bien qu'il règne une grande incertitude et qu'il y ait eu entre les commentateurs de très vives discussions sur la manière de les classer, voilà l'analyse la plus vraisemblable qui semble pouvoir en être présentée. Quelque dose inévitable d'erreurs partielles qu'elle contienne, elle suffit à faire comprendre l'ensemble majestueux du poème, le profond sentiment de patriotisme qui en avait inspiré le plan, l'intérêt considérable qu'il devait avoir pour les Romains'.

L'œuvre est encore écrite en vers saturniens, et, quoique ces vers, délaissant la forme indéterminée et si difficile à saisir d'autrefois, revêtent une facture plus savante, plus conforme au mètre dont Térentianus Maurus a rédigé la règle, ils restent loin assurément de répondre aux besoins. de l'épopée. On ne peut pas dire non plus que le style soit épique: s'il s'anime quelquefois dans l'expression de nobles sentiments, ainsi que vous venez de le voir dans les fragments qui ont rapport aux compagnons de Régulus, il ne lui arrive que trop souvent de ressembler au style techni

(1) Cf. Philibert-Soupé, Étude sur le caractère national et religieur de l'Épopée latine, thèse, 1851, in-8 de 242. p.

que de l'annaliste, à celui même des inscriptions: exemples les vers, déjà cités, qui décrivent le départ de Marcus Valérius pour la Sicile, ceux qui racontent le ravage de l'île de Malte par Régulus, et ceux-ci, qui ont trait aux conditions de paix stipulées par Lutatius:

Id quoque paciscunt mænia sint Lutatium quæ
Reconcilient: captivos plurimos idem

Sicilienses paciscit, obsides ut reddant.

Mais quoiqu'on puisse reprocher à Nævius un prosaïsme trop fréquent dans son style, on ne peut méconnaître en lui un esprit tout à la fois vigoureux, énergique et richement doué. Je ne sais au juste comment il dépeignait ses héros: mais sûrement il ne devait pas s'en tenir à la nomenclature aride de leurs actions et il me semble bien que la figure de Régulus ne nous apparaîtrait pas aujourd'hui avec la majestueuse noblesse que lui ont donnée les historiens, si ceux-ci n'avaient pas reproduit les grandes lignes du sublime portrait tracé par lui. J'ignore aussi jusqu'à quel point il a réussi dans l'usage qu'il a fait des ressources de la Fable; mais n'était-ce pas déjà une conception poé, tique remarquable que celle qui lui fit rattacher les événements présents aux origines légendaires de Rome et de Carthage? Et s'il n'a marché qu'à tâtons et à pas un peu lourds au milieu de cette histoire mythologique, n'était-ce pas beaucoup vraiment que d'avoir le premier découvert cette voie encore obscure dans laquelle allait bientôt s'avancer Ennius avec plus de certitude, et que Virgile devait parcourir un jour en l'illuminant de toute la splendeur de sa pure et éclatante poésie?

VI

Ennius, à la vérité, avec les sentiments de justice et de modestie propres aux poètes, loin de lui témoigner quelque reconnaissance, le traitera avec dédain et parlera du Bel

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