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produite par la menace de quelque calamité publique, il cherchait dans le plus grand déploiement possible des spectacles les moyens d'impressionner favorablement les esprits. Les fêtes solennelles avec leurs chants et leurs danses, les pompes du cirque, les jeux scéniques n'étaient, à vrai dire, dans l'ancienne Italie, que des institutions religieuses établies pour détourner la colère des dieux.

La ville de Romulus, formée d'un mélange de peuples, prit les croyances et les pratiques des nations dont elle sortait. Ainsi s'expliquent les paroles que nous lisons dans le discours profondément religieux mis par Tite-Live dans la bouche de Camille défendant les vieux sanctuaires du sol natal: Abandonnerons-nous, dit-il, tous ces sanctuaires aussi anciens que notre ville et dont quelques-uns même sont plus anciens qu'elle 1? » Latins, Sabins, Étrusques, tous à la fois fournirent contribution aux rites et au culte de Rome naissante. Elle travailla seulement à coordonner tout ce qu'elle tenait d'ailleurs et sur l'ensemble elle fixa l'empreinte de sa discipline.

Elle ne marqua pas seulement sa religion d'un caractère essentiellement laïque en la faisant diriger par ceux-là mêmes qui gouvernaient l'État, elle la façonna conformément au sens pratique qui distingua si bien sa politique: elle lui donna une organisation froide, méthodique, où rien n'était laissé à l'inspiration, où tout était prévu jusque dans les détails les plus minutieux. Dépouillant la prière de liberté, elle lui imposa des formes immuables; elle régla les sacrifices et les rapports de piété et de reconnaissance des hommes envers les dieux comme des sortes de traités ou de contrats dont chaque terme strictement

(1) Tit. Liv., V, 52.

(2) De toutes les institutions inspirées par les dieux à nos ancêtres, dit Cicéron, il n'en est pas de plus belle que celle qui confère aux mêmes personnes le soin de la religion et le gouvernement de la République : c'est ainsi que les plus illustres et les plus nobles citoyens, comme sages magistrats, comme gardiens fidèles des rites, assurent le salut de l'État. » Pro

domo, 1.

arrêté devait ne laisser place à aucun doute et qui, renfermant la dévotion dans des limites étroites, ne lui permettait ni de devoir quelque chose à la divinité ni de lui payer plus que sa dette'. Des dispositions de l'âme et des élans du cœur elle ne s'occupa nullement; elle s'arrêta aux pratiques, considéra comme religieux ceux qui connaissaient les rites et qui savaient accomplir les cérémonies sacrées en suivant exactement, dans l'attitude prescrite, les règles établies".

Il est vrai que ces règles étaient si compliquées qu'il y avait quelque mérite à les observer et qu'il eût été souvent difficile de le faire sans le secours des prètres spéciaux qui en possédaient la science. Il fallait tout d'abord, quand on voulait implorer la protection divine, savoir le nom précis du dieu de qui dépendait, dans la circonstance, la faveur dont on avait besoin, et ce n'était pas un petit embarras de le trouver avec certitude dans l'infinie variété du

(1) Aulu-Gelle constate, en même temps que la piété des premiers Romains, la très grande prudence qu'ils montraient dans l'expression des promesses faites aux dicux: Veteres romani, quum in omnibus aliis vitæ officiis, tum in constituendis religionibus atque in diis immortalibus animadvertendis castissimi cautissimique.» Noct. Att, 11, 28. - A propos de ces trafics imaginés entre l'homme et la divinité, rien n'est plus curieux que la légende reproduite par Ovide dans le le livre de ses Fastes et qui représente plaisamment le roi Numa sollicitant une faveur de Jupiter et parvenant à l'obtenir tout en réduisant à presque rien ses exigences. Vous me sacrifierez une tête, dit le dieu. — Vous serez obéi, répond le roi, je couperai une tête d'ail de mes jardins. Il me faut quelque chose ayant appartenu à un homme. Je vous donnerai l'extrémité de ses cheveux. Je veux un être animé. Je vous offrirai un petit poisson. » Jupiter accepte en riant le sacrifice ainsi stipulé et promet en retour un gage infaillible du salut de P'État. Fast, III, v. 339 et suiv.

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(2) M. Boissier a fait remarquer que les caractères de la religion romaine sont parfaitement exprimés par le nom qui la désigne : Les critiques anciens, dit-il, dérivent en général ce nom religio de la même racine qui a produit les mots diligens et diligentia; ils pensent qu'à l'origine il voulait dire simplement exactitude et régularité. » (La religion romaine, Introd. ch. 1, 2.) Krahner a noté aussi que les Grecs n'ont jamais eu de terme correspondant tout à fait à celui-là (Grundlinien zur Geschichte des Verfall der römischen Staatsreligion, p. 13).

panthéon romain. Non seulement des dieux presque identiques, empruntés à plusieurs peuples, y avaient pris rang sous des noms différents; mais les attributs divers de chaque divinité en avaient été détachés, avec les épithètes distinctes qui les exprimaient, pour être érigés eux-mêmes en autant de dieux indépendants, et il était résulté d'une telle méthode d'abstraction que chacun des événements de la vie de l'homme depuis sa conception jusqu'à sa mort, comme chacun de ses besoins essentiels, tels que la nourriture, la demeure, le vêtement, se trouvait placé sous la dépendance d'un dieu particulier qui n'avait d'autre nom que celui de la fonction dont il était chargé et qui n'était doué de pouvoir qu'autant qu'on l'invoquait dans les conditions répondant exactement à cette fonction. Il fallait en outre choisir pour le dieu, dès qu'il était trouvé, la prière dont les termes devaient le mieux lui convenir, prière ordinairement prolixe et pleine de répétitions pour bien préciser tous les points, abondante en formules semblables à celles de la jurisprudence.

On comprend aisément qu'une telle religion, avec tous ces dieux abstraits dont la plupart ne prirent aucune forme, aucune vie, avec ces prières calculées de sang-froid et en

(1) Il y eut, par exemple, au nombre des dieux et des déesses: Vaticanus, pour présider au premier cri de l'enfant; Fabulinus, pour lui faire prononcer sa première parole; Educa et Potina, pour lui apprendre à manger et à boire; Cuba, pour protéger son repos au lit; Abeona et Iterduca, Adeona et Domiduca, pour suivre ses pas en différents sens, etc. A l'origine, ces mots de Vaticanus et de Fabulinus n'avaient été que des épithetes jointes au nom d'une puissante divinité telle que divus Pater, le Père céleste; mais ainsi que l'explique M. Bouché-Leclercq : Comme chaque invocation faisait appel, non pas à toute la puissance du dieu, mais à une de ses facultés, l'épithète était, dans la pratique, beaucoup plus importante que le nom et fut employée isolément. Bientôt le souvenir de la relation qui existait primitivement entre le nom et les qualifications se perdit et les dieux ouvrirent leurs rangs aux épithètes divinisées. » Les pontifes de l'ancienne Rome, thèse (1871), p. 46.

(2) Dès les premiers temps de Rome le goût des abstractions divinisées fut porté si loi que nous voyons Tullus Hostilius batir un temple à la Peur et à la Paleur.

vue seulement du profit qu'elles devaient procurer, avec ces pontifes constitués en jurisconsultes chargés de veiller au maintien scrupuleux des mille détails d'un code des plus compliqués, n'ait inspiré aux premiers Romains aucun de ces élans d'imagination et d'enthousiasme qui portèrent les Grecs de si bonne heure dans les régions les plus élevées de la poésie. Leur littérature religieuse se composa surtout de ces sortes de listes appelées Indigitamenta, où les prêtres, rangeant tous les dieux dans un ordre régulier, conservaient l'explication du nom et des fonctions de chacun, ainsi que les formules des prières qu'il importait de leur adresser. Elle posséda aussi, avec les litanies, certaines compositions, non pas de style lyrique, mais en langage rythmique et cadencé, dont se servaient. plusieurs corporations dans leurs fêtes les plus solennelles.

C'est de ces corporations remontant à la plus haute antiquité et qui répétèrent chaque année, durant des siècles, les mêmes cérémonies traditionnelles, que nous tenons les deux monuments les plus anciens de la langue latine. L'un est connu sous le nom de Chant des Frères Arvales; l'autre, réduit à quelques mots, sous celui de Chant des Saliens.

II

Le collège des Frères Arvales passait chez les Romains pour avoir été constitué, dans le principe, par les douze fils d'Acca Larentia; un d'eux étant mort, Romulus avait pris sa place, et le nombre des Arvales était toujours resté fixé à douze. Sous la présidence de celui qui prenait le nom de magister, ils gardèrent le titre de frères pour rappeler leur origine. Le culte qu'ils desservaient, comme leur nom, se référait à l'agriculture et se célébrait dans

1) Aroa, champs.

le temple de la divinité agricole Dea Dia1, lequel était entouré d'un bois sacré et situé à cinq milles de Rome. Réorganisé par Auguste qui, fondateur de l'empire, tint à faire partie de la confrérie comme en avait fait partie le fondateur de la ville, ce culte fut entouré pendant longtemps d'un éclat extraordinaire'. Il ne tomba qu'au temps des Gordiens. Le sanctuaire, sur les parois duquel avaient été inscrits régulièrement les actes du collège, fut alors abandonné et le tout s'en alla en ruines. Mais l'emplacement ayant été retrouvé à la fin du siècle dernier, les fouilles qu'on y pratiqua permirent au savant G. Marini de publier le grand ouvrage3 où il restaura avec une admirable sagacité l'histoire des Arvales depuis l'origine de leur institution. D'autres fouilles, opérées il y a une trentaine d'années, fournirent aussi à M. Henzen le moyen de tracer dans son livre Acta fratrum Arvalium le tableau de la vie de la corporation durant plus de deux cents ans.

Les cérémonies, toujours les mêmes, des Arvales, décrites par une longue série de procès-verbaux plus ou moins prolixes qui se complètent mutuellement, nous sont donc connues dans tous leurs détails. Il y en avait beaucoup les unes s'accomplissaient au moment de graver sur le marbre les actes du collège; les autres, quand il s'agissait de réparer le temple, de remplacer les autels de gazon du bois sacré. On y invoquait les anciens dieux du Latium, Janus pater, Jupiter, Mars, Dea Dia, Flora, Vesta, Sum

(1) Divinité analogue à Ops et à Acca Larentia.

(2) Les Arvales étaient assistés dans les sacrifices par quatre pueri, qui devaient être ingenui, matrimi et patrimi, et peut-être senatorum filii. Il y avait aussi des ministri, des calatores, des scribæ, probablement au nombre de quarante-huit.

(3) Atti e monumenti de'fratelli Arvali (Rome, 1795, 2 vol in-4). (4) Berlin, 1874. Le même auteur avait publié, en 1868, Scavi nel bosco sacro dei fratelli Artali.

(5) Le plus ancien des procès-verbaux du culte des Arvales est de l'an 14 de notre ère, le plus récent est de l'an 238. Rien ne nous met mieux que cette collection en état d'apprécier le formalisme minutieux de la liturgic romaine.

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