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semble-t-il, appeler particulièrement leur attention et devenir pour eux l'objet de travaux importants. Mais les philologues de cette époque, pour la plupart, ne voulurent voir dans l'étude de la grammaire des auteurs classiques qu'un moyen de mieux les comprendre; ils cherchaient à se rendre compte des qualités littéraires de chaque écrivain pris isolément bien plus qu'ils n'avaient le désir de savoir quels avaient été les éléments premiers et le développement organique de la langue considérée dans son ensemble. Quelques rares érudits du xvi et du XVIIe siècle, tels que les Scaliger1 et les Vossius, manifestèrent à la vérité ce désir; mais même ceux-là s'attachèrent beaucoup plus à préciser l'orthographe qu'à découvrir l'origine des mots. Tout en ayant parfois d'heureuses inspirations, ils livraient encore l'étymologie à tous les hasards de l'hypothèse et, dans les questions qui s'y rapportaient, montraient plus d'imagination que de science. Le volumineux ouvrage de N. Funccius, malgré ses divisions rigoureuses 3, n'indique que trop bien à quoi en était réduite l'érudition au commencement du XVIII° siècle. Malgré les doctes recherches de l'école hollandaise fondée par Hemsterhuys et Van Lennep, malgré celles de Walch, de Becmann et de beaucoup d'autres, le progrès était on ne peut plus long à se produire. Et de fait on manquait encore pour ainsi dire de matériaux propres à édifier quelque travail solide. Le texte des inscriptions latines. n'avait pas été revisé sérieusement, et si l'on avait découvert quelques monuments des plus anciens dialectes italiotes, les reproductions qui en avaient été publiées, peu

(1) Scaliger (Jules-César) publia, en 1540, un ouvrage en treize livres intitulé De causis linguæ latinæ; son fils, Scaliger (Joseph-Juste) donna, en 1573 et 1576, des commentaires du De lingua latina de Varron et du De verborum significatione de Festus.

(2) Vossius (Gérard-Jean) publia, en 1662, l'Etymologicon linguæ latinæ, que compléta son fils Isaac, non moins érudit que lui.

(3) De origine et pueritia, de adolescentia, de virili ætate, de imminenti senectute, de vegeta senectute, de inerti ac decrepita senectute linguæ latina (Marburg, 1720 1750).

réussies et mal interprétées en général, n'étaient pas de nature à faciliter une étude basée sur la méthode comparative. De plus, on était sous l'impression du préjugé qui faisait passer le latin pour une langue dérivée du grec1. Comme Rome n'a eu d'histoire littéraire que longtemps après la Grèce et que ses écrivains ont généralement pris plaisir à se reconnaître les disciples des Grecs', on appliquait à la langue l'affirmation qui en réalité n'avait concerné que la littérature, et de là une erreur qui détournait les recherches de la voie qu'elles auraient dû suivre.

Cependant Fréret eut.comme l'intuition de la vérité *. Dans plusieurs mémoires, lus à l'Académie des Inscriptions, sur l'origine des premiers habitants de la Grèce et de l'Italie, il pressentit avec une merveilleuse sagacité

(1) Cf., dans les Mélanges arch. et litt. d'Edél. du Méril (Paris, 1850, in-8), une dissertation critique sur le Latini sermonis vetustioris reliquiæ selectæ d'Ém. Egger.

(2) Quintil., Inst. orat.. XII, 10; Suet., De claris gramm., 1.

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(3) J. J. Scaliger, dans son Commentaire sur Festus, disait qu'il n'y avait presque pas de différence entre le grec et le latin primitif : « eamdem pene cum veteri græca veterem latinam linguam fuisse. » Vossius, dans la préface de son traité en quatre livres De vitiis sermonis..., affirmait qu'en dehors de quelques mots indigènes et d'un petit nombre de vocables empruntés aux Celtes leurs voisins, la langue des habitants du Latium venait presque tout entière du grec : Ab his tribus Græcorum commigrationibus in Latium est illud, quod lingua latina, si exceperis ea quæ vel ex primogenia lingua retinuit, vel a vicinis Celtis accepit, tota pene flexerit a græca. » Hemsterhuys s'exprimait en termes analogues : « Totam fere latinam linguam ab æolica fluxisse. » H. Grotius (De satisfact. Christi contra Socinum liber, 8) était plus affirmatif encore; car, selon lui, la langue des premiers Latins n'avait absolument pour origine que le grec: « Est vetcrum Latinorum lingua tota græcæ depravatio. Et Walch, dans son Historia critica linguæ latinæ (éd. 1781, p. 33), allait jusqu'à ne voir que des Grecs dans les habitants de Rome au temps de Romulus : « ... ab origine Romuli..., quo tempore græca lingua magis quam latina viguit, quoniam primi urbis incolæ Græci fuerunt.

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(4) Voir mon Etude sur les peuples anciens de l'Italie et sur les cinq premiers siècles de Rome pour servir d'Introduction à l'Histoire de la littérature romaine, Liv. 1, ch. 1, § 1. (Dorénavant quand j'aurai à me reporter à cette étude, je l'indiquerai ainsi : Et. p. s. d'Introd. à l'Hist. de la Litt. rom.)

quelques-unes des découvertes de la linguistique moderne. Presque dans le même temps, Forcellini, après trente-cinq années d'un labeur opiniâtre, achevait son vaste répertoire du vocabulaire latin, fondé sur l'autorité même des écrivains et où chaque mot et chaque locution trouvaient à la fois, dans des citations exactes, une preuve et un éclaircissement3. Turgot écrivait aussi, dans l'Encyclopédie méthodique, un article fort remarquable sur les règles à observer dans la recherche des étymologies. Et l'ensemble de ces généreux efforts commençait à donner déjà des instruments de travail moins incertains, quand la connaissance du sanscrit vint ouvrir à l'étude des deux idiomes classiques de l'antiquité un horizon nouveau.

Ce fut un jésuite français, depuis longtemps établi à Pondichery, le P. Cœurdoux, qui, le premier, appela l'attention du monde savant sur la parenté qui relie les langues de l'Europe à celle de l'Inde. En répondant au docte helléniste, l'abbé Barthélemy, qui lui avait demandé, avec une grammaire et un dictionnaire du sanscrit, divers renseignements sur l'histoire et la littérature de l'Inde, il lui envoya, sous forme de lettre ou de mémoire à l'adresse de l'Académie des Inscriptions, une question ainsi conçue : << D'où vient que dans la langue samscroutane il se trouve un grand nombre de mots qui lui sont communs avec le latin et le grec, et surtout avec le latin? » Malheureusement cette lettre du P. Cœurdoux, ainsi que celle qui suivit, malgré les curieuses et nombreuses observations qu'elles contenaient, ne produisirent point sur l'abbé Bar

(1) Lire, aux tomes XVIII et XXI de l'Histoire de l'Académie des Inscriptions l'analyse des trois mémoires intitulés : Vues générales sur l'origine et le mélange des anciennes nations. Observations générales sur l'origine et sur l'ancienne histoire des premiers habitants de la Grèce. Recherches sur l'origine et l'ancienne histoire des différents peuples de l'Italie.

(2) Totius latinitatis lexicon, ouvrage achevé en 1753, publié en 1771 (4 vol. in-fol.) après la mort de l'auteur.

(3) Voir l'article de Le Clerc dans l'Encyclopédie des gens du monde. (4) Au mot étymologie.

thélemy et ses collègues l'effet qu'elles méritaient. Tandis qu'elles étaient délaissées, la science du sanscrit se répandait, et tout l'honneur de la découverte du jésuite français revenait à William Jones qui, vingt ans plus tard, exprimait à son tour ce même principe de la parenté des langues indo-européennes avec une netteté que permettaient dès lors les progrès accomplis dans les études indiennes. Dans un discours à la Société de Calcutta', l'érudit anglais affirma la structure merveilleuse de la langue sanscrite, les rapports très étroits qu'elle a, pour les racines verbales comme pour les formes grammaticales, avec la langue grecque et la langue latine, et la nécessité pour tout philologue de reconnaître désormais que ces trois idiomes sont dérivés d'une source commune, qui peut-être, ajoutait-il, n'existe plus.

Ainsi, au début même de cette révolution scientifique, le latin ne passait plus et ne pouvait plus passer pour une dérivation du grec: il était avéré que ces deux langues, sœurs entre elles et sœurs aussi du sanscrit, avaient eu pour mère commune une langue antérieure. Celle-ci, ainsi que l'avait bien pensé William Jones, n'existait plus; elle avait été parlée par les Aryas primitifs, cette race puissante, dont les rameaux, en se dispersant, avaient formé les Hindous brahmaniques, les Persans iraniens, les Grecs et les Latins, les Slaves, les Germains, les Celtes, tous les peuples de la grande famille indo-européenne.

A partir du moment où cette vérité fut connue, des savants en grand nombre, tant en France qu'en Allemagne, en Angleterre et en italie, travaillèrent comme à l'envi à

(1) En 1786, v. Recherches asiatiques, t. I, p. 122.

(2) Voir Et. p. s. d'Introd. à l'Hist. de la Litt. rom., L. 1, ch. 1, § 2. Consulter sur la langue aryenne primitive deux livres de F. C. Auguste Fick : Worterburch der indo-germanischen Grundsprache (Göttingue, 1868, in-8) et Die ehemalige Spracheinheit der indogermanen Europas (Gött. 1873, in-8); des articles de M. Louis Havet dans la Revue critique du 7 mars 1874 et dans les Mémoires de la Société de Linguistique, 4. II, p. 261 et suiv.

en accumuler les preuves. Je n'ai pas à énumérer ici la magnifique série des travaux de ceux qui, chez nous comme ailleurs, se firent un nom parmi les orientalistes de la première moitié de ce siècle. Mais je dois citer entre tous le premier maître, le véritable fondateur de la philologie comparative, François Bopp. Après avoir passé cinq années à Paris dans la société de Sylvestre de Sacy, dont il suivait les cours, et de Langlès, le conservateur des manuscrits orientaux, il commença, en 1816, ses savantes publications par un ouvrage ayant pour titre « Du système de conjugaison de la langue sanscrite comparée avec celui des langues grecque, latine, persane et germanique », et qui fit époque dans l'histoire de la linguistique. A la différence, en effet, des autres philologues qui, une fois la parenté du sanscrit et des langues indo-européennes établie, considéraient leur tâche comme terminée, Bopp prenait ce fait comme point de départ et, s'attachant à observer les modifications éprouvées par ces langues identiques à leur origine, il expliquait l'action des lois qui ont fait prendre des formes si diverses à des idiomes sortis du même berceau. Il se distinguait aussi des autres en abordant nettement l'explication des flexions et il montrait que ces lettres et ces syllabes qui servent à marquer dans les verbes, les nombres, les personnes, les temps, les voix et les modes ainsi que les nombres et les cas dans les noms, sont d'anciennes racines qui, après avoir eu leur valeur propre et leur existence individuelle, se sont combinées avec la racine verbale pour produire le mécanisme de la conjugaison. Enfin il proclamait l'indépendance de la philologie comparative et, bien qu'il prît dans les grammaires particulières de chaque langue les observations dont il appréciait la justesse, il voulait « ne reconnaître d'autre maitre que la langue elle-même et se réserver le droit de contrôler les doctrines des grammairiens au nom du principe supérieur de la critique historique. » Le succès de ce premier ouvrage l'engagea plus profondément encore dans son travail. Aux langues qui lui avaient servi pour ses pre

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