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blait surtout le triomphe des plus fortes qualités de Bentham, de son excellence dans ce qu'il appelle la logique judiciaire, dans la critique de tout ce qui constitue l'appareil externe du droit et de la législation; la Tactique des assemblées législatives et le Traité des sophismes politiques prouvaient à la fois son habileté à débrouiller le faisceau des malentendus et des méprises dans la manutention des affaires et des lois, et la difficulté qu'il éprouvait à entrer dans l'entente des hommes et de l'histoire; le Traité d'organisation judiciaire complétait les Preuves, et la belle théorie du juge unique qui, par une singulière fortune, peut s'appuyer de l'exemple de Rome et de l'Angleterre, se faisait accepter de nous comme un grand et nécessaire corollaire de la procédure de ce novateur. Nous sentions à la fois les grandeurs et les imper fections de Bentham; mais cependant, dans le partage de ses qualités, il y avait encore pour nous quelque chose de perplexe et de douteux. Aujourd'hui tout est clair; et le moraliste a trahi tout à fait le législateur.

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Comment, en effet, ne pas comprendre un homme qui dit ouvertement; « Il n'y a pas de droit, il n'y a pas de justice, il n'y a pas de devoir. Jusqu'ici une langue fausse a traduit des idées fausses; il n'y a qu'une idée fondamentalement vraie dont toutes les autres découlent, l'utilité; il n'y a qu'un but, qui est lui-même le criterium de toutes les actions humaines, le bonheur; l'action la plus vertueuse est l'action qui produit la plus forte somme de bonheur. » Et non-seulėment ces principes sont posés, mais leur application est poursuivie avec une rigoureuse délicatesse dans toutes les ramifications de l'humaine activité.

Dans son insurrection contre la légalité civile, la procédure et la pénalité qui sont en vigueur en Europe, Bentham a été pro voqué par le spectacle que l'Angleterre déroulait sous ses yeux, et sur ce point sa patrie a été sa cause immédiate.

Dans sa négation du droit même, du de

voir et de la justice morale, Bentham a été suscité par la philosophie du XVIIIe siècle; il a eu pour cause Helvétius, dont les écrits l'ont surtout frappé; il s'est proposé de faire rentrer toutes les questions humaines dans celle de l'intérêt, du bonheur et de l'utilité; et, comme Brutus, il a dit à la vertu Tu n'es qu'un mot.

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La critique philosophique n'accomplit qu'une moitié de sa tâche quand elle se borne à signaler les défauts et les ellipses d'un système; elle doit montrer encore l'opportunité de ce système dans sa venue, la convenance de son originalité, la nécessité de ses affirmations dogmatiques, et la fonction qu'il était appelé à remplir dans le système du monde moral. Mainte fois les soutiens du spiritualisme ont démontré à Bentham et à ses partisans les oublis et les erreurs de la psychologie utilitaire; il est inutile de recommencer cette démonstration effectuée; nous aimons mieux assigner à Bentham son rôle et sa valeur dans l'économie générale de la philosophie moderne.

Quand le christianisme parut sur la terre, il s'adressa surtout à la crédibilité de l'humanité; il demanda aux hommes de croire à sa parole, et, sans nier l'intelligence, il lui préféra la foi. Il serait inique de dire que le christianisme ait voulu opprimer la raison; mais ses docteurs, saint Paul à leur tête, travaillèrent à la soumettre aux croyances enseignées; ils lui donnèrent pour office le soin de commenter les objets de la foi, et ne lui permirent que des développements soumis et dociles. Mais l'indépendance est dans la nature même de la raison, et pour vivre, elle a besoin d'être sa loi à elle-même : elle s'insurgea pour ne pas mourir, et elle se fit une destinée par une philosophie rationaliste et idéaliste dont Descartes est le premier auteur, dont, Spinosa, Kant, Rousseau, Fichte, Hégel et Schelling sont les glorieux promoteurs. La philosophie rationaliste et idéaliste de l'Europe moderne consiste surtout dans la préoccupation du droit absolu de la raison.

Cependant le christianisme, en apostro

phant avec véhémence la crédibilité humaine, lui avait promis le bonheur après la mort, et avait mis sa sanction dans une immortalité heureuse ou tourmentée. Il serait peu exact de dire que le christianisme est l'intraitable ennemi du bonheur terrestre, et qu'il considère les prospérités d'une civilisation brillante comme l'occasion d'une damnation future; gardons-nous de juger une doctrine sur les exagérations qui la dénaturent. Néanmoins il est certain que le christianisme s'occupait plus des cieux que de la terre, et que l'immortalité promise par sa parole lui semblait une suffisante indemnité des misères et des détresses d'ici-bas. Mais quand l'Europe eut joui pendant quelque temps de l'indépendance de la raison, elle se mit aussi à songer au bonheur; et l'humanité se prit à spéculer sur cet objet important, trop oublié par le christianisme. C'est surtout au XVIIIe siècle que le soin du bonheur s'établit dans les esprits avec autorité, parce que depuis cent ans la raison s'était développée avec indépendance. Alors, au re

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