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clairement; et qu'elle soit tout à fait contraire à celles de la philosophie, j'espère dans peu le démontrer évidemment dans un traité des principes que j'ai dessein de publier, et d'y expliquer comment la couleur, la saveur, la pesanteur, et toutes les autres qualités qui touchent nos sens, dépendent seulement en cela de la superficie extérieure des corps. Au reste, on ne peut pas supposer que les accidents soient réels sans qu'au miracle de la transsubstantiation, lequel seul peut être inféré des paroles de la consécration, on n'en ajoute sans nécessité un nouveau et incompréhensible, par lequel ces accidents réels existent tellement sans la substance du pain, que cependant ils ne soient pas eux-mêmes faits des substances; ce qui ne répugne pas seulement à la raison humaine, mais même à l'axiome des théologiens, qui disent que les paroles de la consécration n'opèrent rien que ce qu'elles signifient, et qui ne veulent pas attribuer à miracle les choses qui peuvent être expliquées par raison naturelle; toutes lesquelles difficultés sont entièrement levées par l'explication que je donne à ces choses. Car tant s'en faut que, selon l'explication que j'y donne, il soit besoin de quelque miracle pour conserver les accidents après que la substance du pain est ôtée, qu'au contraire, sans un nouveau miracle, à savoir, par lequel les dimensions fussent changées, ils ne peuvent pas être ôtés. Et les histoires nous apprennent que cela est quelquefois arrivé, lorsqu'au lieu du pain consacré il a paru de la chair ou un petit enfant entre les mains du prètre; car jamais on n'a cru que cela soit arrivé par une cessation de miracle, mais on a toujours attribué cet effet à un miracle nouveau. Davantage, il n'y a rien en cela d'incompréhensible ou de difficile, que Dieu, créateur de toutes choses, puisse changer une substance en une autre, et que cette dernière substance demeure précisément sous la mème superficie sous qui la première était contenue. On ne peut aussi rien dire de plus conforme à la raison, ni qui soit plus communément reçu par les philosophes, que non-seulement tout sentiment, mais généralement toute action d'un corps sur un autre, se fait par le contact, et que ce contact peut être en la seule superficie: d'où il suit évidemment que la même superficie doit toujours agir ou pâtir de la même facon, quelque changement qui arrive en la substance qu'elle

couvre.

C'est pourquoi, s'il m'est ici permis de dire la vérité sans envie, j'ose espérer que le temps viendra auquel cette opinion qui admet des accidents réels sera rejetée par les théologiens, comme peu sûre en la foi, répugnante à la raison, et du tout incompréhen

sible; et que la mienne sera reçue en sa place, comme certaine et indubitable; ce que j'ai cru ne devoir pas ici dissimuler, pour prévenir autant qu'il m'est possible les calomnies de ceux qui, voulant paraître plus savants que les autres, et ne pouvant souffrir qu'on propose aucune opinion différente des leurs qui soit estimée vraie et importante, ont coutume de dire qu'elle répugne aux vérités de la foi, et tâchent d'abolir par autorité ce qu ils ne peuvent réfuter par raison. Mais j'appelle de leur sentence à celle des bons et orthodoxes théologiens, au jugement et à la censure desquels je me soumettrai toujours très volontiers.

CINQUIÈMES OBJECTIONS

FAITES PAR M. GASSENDI,

CONTRE LES SIX MÉDITATIONS.

M. GASSENDI A M, DESCARTES,

MONSIEUR,

Le révérend P. Mersenne m'a beaucoup obligé de me faire participant de ces sublimes Méditations que vous avez écrites touchant la première philosophie; car certainement la grandeur du sujet, la force des pensées et la pureté de la diction m'ont plu extraordinairement. Aussi, à vrai dire, est-ce avec plaisir que je vous vois avec tant d'esprit et de courage travailler si heureusement à l'avancement des sciences, et que vous commencez à nous découvrir des choses qui ont été inconnues à tous les siècles passés. Une seule chose m'a fâché : qu'il a désiré de moi que, si après la lecture de vos Méditations il me restait quelques doutes ou scrupules en l'esprit, je vous en écrivisse; car j'ai bien jugé que je ne ferais paraître autre chose que le défaut de mon esprit si je n'acquiesçais pas à vos raisons, ou plutôt ma témérité si j'osais proposer la moindre chose à l'encontre. Néanmoins je ne l'ai pu refuser aux sollicitations de mon ami, ayant pensé que vous prendrez en

bonne part un dessein qui vient plutôt de lui que de moi, et sachant d'ailleurs que vous êtes si humain que vous croirez facilement que je n'ai point eu d'autre pensée que celle de vous proposer mûrement mes doutes et mes difficultés. Et certes ce sera bien assez si vous prenez la patience de les lire d'un bout à l'autre. Car de penser qu'elles vous doivent émouvoir et vous donner la moindre défiance de vos raisonnements, ou vous obliger à perdre le temps à leur répondre que vous devez mieux employer, j'en suis fort éloigné et ne vous le conseillerais pas. Je n'oserais pas même vous les proposer sans rougir, étant assuré qu'il n'y en a pas une qui ne vous ait plusieurs fois passé par l'esprit et que vous n'ayez ou expressément méprisée ou jugée devoir être dissimulée. Je les propose donc, mais sans autre dessein que celui d'une simple proposition, laquelle je fais non contre les choses que vous traitez et dont vous avez entrepris la démonstration, mais seulement contre la méthode et les raisons dont vous usez pour les démontrer. Car, de vrai, je fais profession de croire qu'il y a un Dieu et que nos âmes sont immortelles; et je n'ai de la difficulté qu'à comprendre la force et l'énergie du raisonnement que vous employez pour la preuve de ces vérités métaphysiques, et des autres questions que vous insérez dans votre ouvrage.

CONTRE LA PREMIÈRE MÉDITATION.

DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE RÉVOQUÉES EN DOUTE.

Pour ce qui regarde la première Méditation, il n'est pas besoin que je m'y arrête beaucoup; car j'approuve le dessein que vous avez pris de vous défaire de toutes sortes de préjugés. Il n'y a qu'une chose que je ne comprends pas bien, qui est de savoir pourquoi vous n'avez pas mieux aimé tout simplement et en peu de paroles tenir toutes les choses que vous aviez connues jusques alors pour incertaines (afin puis après de mettre à part celles que vous reconnaîtriez être vraies), que, les tenant toutes pour fausses, ne vous pas tant dépouiller d'un ancien préjugé que vous revêtir d'un autre tout nouveau. Et remarquez comme quoi il a été nécessaire pour obtenir cela de vous feindre un Dieu trompeur ou un je ne sais quel mauvais génie qui employât toute son industrie à vous surprendre, bien qu'il semble que c'eût été assez d'alléguer pour raison de votre défiance le peu de lumière de l'esprit humain et la seule faiblesse de la nature. Outre cela, vous feignez que vous dor

mez, afin que vous ayez occasion de révoquer toutes choses en doute et que vous puissiez prendre pour des illusions tout ce qui se passe ici-bas. Mais pouvez-vous pour cela assez sur vous-même que de croire que vous ne soyez point éveillé, et que toutes les choses qui sont et qui se passent devant vos yeux soient fausses et trompeuses? Quoi que vous en disiez, il n'y aura personne qui se persuade que vous soyez pleinement persuadé qu'il n'y a rien de vrai de tout ce que vous avez jamais connu, et que les sens, ou le sommeil, ou Dieu, ou un mauvais génie, vous ont continuellement imposé. N'eût-ce pas été une chose plus digne de la candeur d'un philosophe et du zèle de la vérité de dire les choses simplement, de bonne foi, et comme elles sont, que non pas, comme on vous pourrait objecter, recourir à cette machine, forger ces illusions, rechercher ces détours et ces nouveautés? Néanmoins, puisque vous l'avez ainsi trouvé bon, je ne contesterai pas davantage.

CONTRE LA SECONDE MÉDITATION.

DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN; ET QU'IL EST PLUS AISÉ DE LE CONNAITRE QUE LE CORPS.

I. Touchant la seconde, je vois que vous n'êtes pas encore hors de votre enchantement et illusion, et néanmoins qu'à travers de ces fantômes vous ne laissez pas d'apercevoir qu'au moins est-il vrai que vous, qui êtes ainsi charmé et enchanté, êtes quelque chose; c'est pourquoi vous concluez que cette proposition : je suis, j'existe, autant de fois que vous la proférez ou que vous la concevez en votre esprit, est nécessairement vraie. Mais je ne vois pas que vous ayez eu besoin d'un si grand appareil, puisque d'ailleurs vous étiez déjà certain de votre existence, et que vous pouviez inférer la même chose de quelque autre que ce fût de vos actions, étant manifeste par la lumière naturelle que tout ce qui agit est ou existe.

Vous ajoutez à cela que néanmoins vous ne savez pas encore assez ce que vous êtes. Je sais que vous le dites tout de bon, et je vous l'accorde fort volontiers; car c'est en cela que consiste tout le nœud de la difficulté; et, en effet, c'était tout ce qu'il fallait rechercher saus tant de détours et sans user de toute cette supposition.

Ensuite de cela vous vous proposez d'examiner ce que vous avez pensé être jusques ici, afin qu'après en avoir retranché tout ce qui peut recevoir le moindre doute, il ne demeure rien qui ne soit certain et inébranlable. Certainement vous le pouvez faire avec l'ap

probation d'un chacun. Ayant tenté ce beau dessein et ensuite trouvé que vous avez toujours cru être un homme, vous vous faites cette demande: Qu'est-ce donc qu'un homme? où, après avoir rejeté de propos délibéré la définition ordinaire, vous vous arrêtez aux choses qui s'offraient autrefois à vous de prime abord; par exemple, que vous avez un visage, des mains, et tous ces autres membres que vous appel:ez du nom de corps; comme aussi que vous êtes nourri, que vous marchez, que vous sentez et que vous pensez, ce que vous rapportiez à l'âme. Je vous accorde tout cela, pourvu que nous nous gardions de la distinction que vous mettez entre l'esprit et le corps. Vous dites que vous ne vous arrêtiez point alors à penser ce que c'était que l'âme; ou bien, si vous vous y arrêtiez, que vous imaginiez qu'elle était quelque chose de fort subtil, semblable au vent, au feu ou à l'air, infus et répandu dans les parties les plus grossières de votre corps; cela certes est digne de remarque; mais, pour le corps, vous ne doutiez nullement que ce ne fût une chose dont la nature consistait à pouvoir être figurée, comprise en quelque lieu, remplir un espace et en exclure tout autre corps, à pouvoir être aperçue par l'attouchement, par la vue, par l'ouïe, par l'odorat et par le goût, et être mue en plusieurs façons. Vous pouvez encore aujourd'hui attribuer au corps les mêmes choses, pourvu que vous ne les attribuiez pas toutes à chacun d'eux; car le vent est un corps, et néanmoins il ne s'aperçoit point par la vue; et que vous n'en excluiez pas les autres choses que vous rapportiez à l'âme; car le vent, le feu et plusieurs autres corps se meuvent d'eux-mêmes et ont la vertu de mouvoir les autres.

Quant à ce que vous dites ensuite, que vous n'accordiez pas lors au corps la vertu de se mouvoir soi-même, je ne vois pas comment vous le pourriez maintenant défendre; comme si tout corps devait être de sa nature immobile, et si aucun mouvement ne pouvait partir que d'un principe incorporel, et que ni l'eau ne pût couler ni l'animal marcher sans le secours d'un moteur intelligent ou spirituel.

II. En après, vous examinez si, supposé votre illusion, vous pouvez assurer qu'il y ait en vous aucune des choses que vous estimiez appartenir à la nature du corps; et, après un long examen, vous dites que vous ne trouvez rien de semblable en vous. C'est ici que vous commencez à ne vous plus considérer comme un homme tout entier, mais comme cette partie la plus intime et la plus cachée de vous-même, telle que vous estimiez ci-devant qu'était l'âme. Dites-moi, je vous prie, ô âme! ou qui que vous soyez,

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