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et la substance en laquelle ils résident, nous la nommons une chose qui pense ou un esprit, ou de tel autre nom qu'il nous plaît, pourvu que nous ne la confondions point avec la substance corporelle, d'autant que les actes intellectuels n'ont aucune affinité avec les actes corporels, et que la pensée, qui est la raison commune en laquelle ils conviennent, diffère totalement de l'extension, qui est la raison commune des autres.

Mais après que nous avons formé deux concepts clairs et distincts de ces deux substances, il est aisé de connoître, par ce qui a été dit en la sixième Méditation, si elles ne sont qu'une même chose, ou si elles en sont deux différentes.

J'ai considéré la pensée comme le principal attribut de la substance incorporelle, et l'étendue comme le principal attribut de la substance corporelle: mais je n'ai pas dit que ces attributs étoient en ces substances comme en des sujets différents d'eux. Et il faut bien prendre garde que par ce mot d'attribut, que je donne à la pensée et à l'étendue, nous n'entendons ici rien autre chose que ce que les philosophes appellent communément un mode ou une façon; car il est bien vrai qu'à parler généralement nous pouvons donner le nom d'attribut à tout ce qui a été attribué à quelque chose par la nature, et en ce sens le nom d'attribut peut convenir également au mode, qui peut être changé, et à l'essence même d'une chose, qui est tout-à-fait immuable. Mais ce n'est pas ainsi universellement que je l'ai pris quand j'ai considéré la pensée et l'étendue comme les principaux attributs des substances où elles résident, mais au sens qu'on le prend d'ordinaire, et quand par ce mot d'attribut en entend une chose qui est immuable et inséparable de l'essence de son sujet, comme celle qui la constitue, et qui

pour cela même est opposée au mode; c'est en ce sens-là qu'on s'en sert quand on dit qu'il y a en Dieu plusieurs attributs, mais non pas plusieurs modes. C'est ainsi que l'un des attributs de chaque substance, quelle qu'elle soit, est qu'elle subsiste par elle-même. De même aussi l'étendue d'un certain corps en particulier peut bien à la vérité admettre en soi une variété de modes: car, par exemple, quand ce corps est sphérique, il est d'une autre façon que quand il est carré, et ainsi être sphérique et être carré sont deux diverses façons d'étendue; mais l'étendue même qui est le sujet de ces modes, étant considérée en soi, n'est pas un mode de la substance corporelle, mais bien un attribut qui en constitue l'essence et la nature. Ainsi enfin la pensée peut recevoir plusieurs divers modes; car assurer est une autre façon de pensée que nier, aimer en est une autre que désirer, et ainsi des autres; mais la pensée même, en tant qu'elle est le principe interne d'où procèdent tous ces modes, et dans lequel ils sont comme dans leur sujet, n'est pas conçue comme un mode, mais comme un attribut qui constitue la nature de quelque substance; et la question est maintenant de savoir si cette substance qu'elle constitue est corporelle ou incorporelle.

On ne peut pas dire de ces sortes d'attributs qui constituent la nature des choses, que ceux qui sont divers, et qui ne sont en aucune façon compris dans la notion l'un de l'autre, conviennent à un seul et même sujet : car c'est de même que si l'on disoit qu'un seul et même sujet a deux natures diverses; ce qui enferme une manifeste contradiction, au moins lorsqu'il est question d'un sujet simple, et non pas d'un sujet composé.

Cet être-là est composé, dans lequel se rencontrent deux ou plusieurs attributs, chacun desquels peut être conçu distinctement sans l'autre; car de cela même que l'un est ainsi conçu distinctement sans l'autre, on connoît qu'il n'en est

pas le mode, mais qu'il est une chose ou l'attribut d'une chose qui peut subsister sans lui. L'être simple au contraire est celui dans lequel on ne remarque point de semblables attributs d'où il paroît que ce sujet-là est simple, dans lequel nous ne remarquons que la seule étendue, et quelques autres modes qui en sont des suites et des dépendances, comme aussi celui dans lequel nous ne reconnoissons que la seule pensée, et dont tous les modes ne sont que des diverses façons de penser; mais que celui-là est composé, dans lequel nous considérons l'étendue jointe avec la pensée, c'est à savoir l'homme, qui est composé de corps et d'ame.

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De ce que vous avouez que la pensée est un attribut de la substance qui n'enferme aucune étendue, et qu'au contraire l'étendue est l'attribut de la substance qui n'enferme aucune pensée, il faut par là que vous avouiez aussi que la substance qui pense est distinguée de celle qui est étendue; car nous n'avons point d'autre marque pour connoître qu'une substance diffère de l'autre que de ce que nous comprenons l'une indépendamment de l'autre ; et, en effet, Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre. clairement; et s'il y a d'autres choses qu'on dit que Dieu ne peut faire, c'est qu'elles impliquent contradiction dans leurs idées, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas intelligibles. Or nous pouvons comprendre clairement une substance qui pense et qui ne soit pas étendue, et une substance étendue qui ne pense pas, comme vous l'avouez: cela étant, que Dieu lie et unisse ces substances autant qu'il le peut, il ne pourra pas pour cela se priver de sa toute-puissance, ni s'ôter le pouvoir de les séparer, par conséquent elles demeureront distinctes.

En bien examinant la physique, on y peut réduire toutes les choses qui tombent sous la connoissance de l'entendement à si peu de de genres, et desquels nous avons des notions si claires et si distinctes les unes des autres, qu'après les avoir considérées, il ne me semble pas qu'on puisse manquer à reconnoître si, lorsque nous concevons une chose

sans une autre, cela se fait seulement par une abstraction de notre esprit, ou bien à cause que ces choses sont véritablement diverses : car en tout ce qui n'est séparé que par abstraction d'esprit, on y remarque nécessairement de la conjonction et de l'union, lorsqu'on les considère l'un avec l'autre ; et on n'en sauroit remarquer aucune entre l'ame et le corps, pourvu qu'on ne les conçoive que comme il les faut concevoir, à savoir l'un comme ce qui remplit l'espace, et l'autre comme ce qui pense.

OBJECTION FAITE PAR CATÉRUS, Savant théologien dES PAYS-BAS.

S'il y a une distinction entre l'âme et le corps, M. Descartes semble la prouver de ce que ces deux choses peuvent être conçues distinctement et séparément l'une de l'autre. Et sur cela je mets ce savant homme aux prises avec Scot, qui dit qu'afin qu'une chose soit conçue distinctement et séparément d'une autre, il suffit qu'il y ait entre ly elles une distinction, qu'il appelle formelle et objective, laquelle il met entre la distinction réelle et celle de raison ; et c'est ainsi qu'il distingue la justice de Dieu d'avec sa miséricorde; car elles ont, dit-il, avant aucune opération de l'entendement des raisons formelles différentes, en sorte que l'une n'est pas l'autre; et néanmoins ce seroit une mauvaise conséquence de dire, la justice peut être conçue séparément d'avec la miséricorde, donc elle peut aussi exister séparément.

RÉPONSE.

Pour ce qui regarde la distinction formelle, que ce très docte théologien dit avoir prise de Scot, je réponds brièvement qu'elle ne diffère point de la modale, et qu'elle ne s'étend que sur les êtres incomplets, lesquels j'ai soigneu

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