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qui me représente un Dieu, d'autres des choses corporelles et inanimées, d'autres des anges, d'autres des animaux, et d'autres enfin qui me représentent des hommes semblables à moi. Mais, pour ce qui regarde les idées qui me représentent d'autres hommes, ou des animaux, ou des anges, je conçois facilement qu'elles peuvent être formées par le mélange et la composition des autres idées que j'ai des choses corporelles et de Dieu, encore que hors de moi il n'y eut point d'autres hommes dans le monde, ni aucuns animaux, ni aucuns anges. Et pour ce qui regarde les idées des choses corporelles, je n'y reconnois rien de si grand ni de si excellent qui ne me semble pouvoir venir de moimême; car, si je les considère de plus près, et si je les examine de la même façon que j'examinai hier l'idée de la cire, je trouve qu'il ne s'y rencontre que fort peu de chose que je conçoive clairement et distinctement, à savoir la grandeur ou bien l'extension en longueur, largeur et profon deur, la figure qui résulte de la terminaison de cette extension, la situation que les corps diversement figurés gardent entre eux, et le mouvement ou le changement de cette situation, auxquelles on peut ajouter la substance, la durée et le nombre. Quant aux autres choses, comme la lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, les saveurs, la chaleur, le froid, et les autres qualités qui tombent sous l'attouchement, elles se rencontrent dans ma pensée avec tant d'obscurité et de confusion, que j'ignore même si elles sont vraies ou fausses, c'est-à-dire si les idées que je conçois de ces qualités sont en effet les idées de quelques choses réelles, ou bien si elles ne me représentent que des êtres chimériques qui ne peuvent exister. Car, encore que j'aie remarqué ci-devant qu'il n'y a que dans les jugements que se puisse rencontrer la vraie et formelle fausseté, il se peut néanmoins trouver dans les idées une certaine fausseté matérielle, à savoir lorsqu'elles représentent ce qui n'est rien

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comme si c'étoit quelque chose. Par exemple, les idées que j'ai du froid et de la chaleur sont si peu claires et si peu distinctes, qu'elles ne me sauroient apprendre si le froid est seulement une privation de la chaleur, ou la chaleur une privation du froid; ou bien si l'une et l'autre sont des lités réelles, ou si elles ne le sont pas : et, d'autant que les idées étant comme des images, il n'y en peut avoir aucune qui ne nous semble représenter quelque chose, s'il est vrai de dire que le froid ne soit autre chose qu'une privation de la chaleur, l'idée qui me le représente comme quelque chose de réel et de positif ne sera pas mal à propos appelée fausse, et ainsi des autres. Mais, à dire le vrai, il n'est pas nécessaire que je leur attribue d'autre auteur que moimême : car, si elles sont fausses, c'est-à-dire si elles représentent des choses qui ne sont point, la lumière naturelle me fait connoître qu'elles procèdent du néant, c'est-à-dire qu'elles ne sont en moi que parcequ'il manque quelque chose à ma nature, et qu'elle n'est pas toute parfaite; et si ces idées sont vraies, néanmoins, parcequ'elles me font paroître si peu de réalité que même je ne saurois distinguer la chose représentée d'avec le non-être, je ne vois pas pourquoi je ne pourrois point en être l'auteur.

Quant aux idées claires et distinctes que j'ai des choses corporelles, il y en a quelques unes qu'il semble que j'ai pu tirer de l'idée que j'ai de moi-même; comme celles que j'ai de la substance, de la durée, du nombre, et d'autres choses semblables. Car lorsque je pense que la pierre est une substance, ou bien une chose qui de soi est capable d'exister, et que je suis aussi moi-même une substance; quoique je conçoive bien que je suis une chose qui pens« et non étendue, et que la pierre au contraire est une chose étendue et qui ne pense point, et qu'ainsi entre ces deux conceptions il se rencontre une notable différence, toutefois elles semblent convenir en ce point qu'elles représentent

TOME IV.

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toutes deux des substances. De même, quand je pense que je suis maintenant, et que je me ressouviens outre cela d'avoir été autrefois, et que je conçois plusieurs diverses pensées dont je connois le nombre, alors j'acquiers en moi les idées de la durée et du nombre, lesquelles, par après, je puis transférer à toutes les autres choses que je voudrai. Pour ce qui est des autres qualités dont les idées des choses corporelles sont composées, à savoir l'étendue, la figure, la situation et le mouvement, il est vrai qu'elles ne sont point formellement en moi, puisque je ne suis qu'une chose qui pense; mais parceque ce sont seulement de certains modes de la substance, et que je suis moi-même une substance, il semble qu'elles puissent être contenues en moi éminemment.

Partant, il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s'il y a quelque chose qui n'ait pu venir de moi-même.

CHAPITRE XII.

Preuve de l'existence de Dieu tirée de son idée.

$ 1.

Par le nom de Dieu j'entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connoissante, toute puissante, et par laquelle moi-même et toutes les autres choses qui sont (s'il est vrai qu'il y en ait qui existent) ont été créées et produites. Or, ces avantages sont si grands et si éminents, que plus attentivement je les considère, et moins je me persuade que l'idée que j'en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par conséquent il faut nécessairement conclure de tout ce que j'ai dit auparavant que Dieu existe car, encore que l'idée de la substance soit en moi de cela même que je suis une substance, je n'aurois par néanmoins l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avoit été mise en moi par quelque substance qui fut véritablement infinie.

OBJECTION FAITE PAR UN THÉOLOGIEN OU PHILOSOPHE.

Vous dites que l'effet ne peut avoir aucun degré de perfection ou de réalité qui n'ait été auparavant dans sa cause; mais, outre que nous voyons tous les jours que les mouches, et plusieurs autres animaux, comme aussi les plantes, sont produites par le soleil, la pluie et la terre, dans lesquels il n'y a point de vie comme en ces animaux, laquelle vie est plus noble qu'aucun autre degré purement corporel, d'où il arrive que l'effet tire quelque réalité de sa cause, qui néanmoins n'étoit pas dans sa cause; mais, dis-je, l'idée

d'un être parfait n'est rien autre chose qu'un être de raison, qui n'est pas plus noble que votre esprit qui la conçoit.

RÉPONSE.

Ce que vous dites des mouches, des plantes, etc., ne prouve en aucune façon que quelque degré de perfection peut être dans un effet qui n'ait point été auparavant dans sa cause. Car, ou il est certain qu'il n'y a point de perfection dans les animaux qui n'ont point de raison qui ne se rencontre aussi dans les corps inanimés, ou, s'il y en a quelqu'une, qu'elle leur vient d'ailleurs ; et que le soleil, la pluie et la terre ne sont point les causes totales de ces animaux. Et ce seroit une chose fort éloignée de la raison si quelqu'un, de cela seul qu'il ne connoît point de cause qui concoure à la génération d'une mouche et qui ait autant de degrés de perfection qu'en a une mouche, n'étant pas cependant assuré qu'il n'y en ait point d'autres que celles qu'il connoît, prenoit de là occasion de douter d'une chose laquelle, comme je dirai tantôt plus au long, est manifeste par la lumière naturelle.

A quoi j'ajoute que ce que vous objectez ici des mouches, étant tiré de la considération des choses matérielles, ne peut venir en l'esprit de ceux qui, suivant l'ordre de mes Méditations, détourneront leurs pensées des choses sensibles pour commencer à philosopher.

Il ne me semble pas aussi que vous prouviez rien contre moi en disant que « l'idée de Dieu qui est en nous n'est » qu'un être de raison. » Car cela n'est pas vrai, si par un être de raison l'on entend une chose qui n'est point; mais seulement si toutes les opérations de l'entendement sont prises pour des êtres de raison, c'est-à-dire pour des êtres qui partent de la raison, auquel sens tout ce monde peut aussi être appelé un être de raison divine, c'est-à-dire un

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