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fections, comme aussi à cause que nous sommes très assurés qu'il n'y en peut avoir. Pour ce qui est des autres choses, nous savons qu'elles ne sont pas ainsi absolument parfaites, parcequ'encore que nous y remarquions quelquefois des propriétés qui nous semblent n'avoir point de limites, nous ne laissons pas de connoître que cela procède du défaut de notre entendement, et non point de leur nature.

En général, toutes les fois que nous voudrons examiner la nature de quelque chose, nous nous souviendrons que Dieu, qui en est l'auteur, est infini, et que nous sommes entièrement finis.

Tellement que s'il nous fait la grâce de nous révéler, ou bien à quelques autres, des choses qui surpassent la portée ordinaire de notre esprit, telles que sont les mystères de l'Incarnation et de la Trinité, nous ne ferons point difficulté deles croire, encore que nous ne les entendions peut-être pas bien clairement. Car nous ne devons point trouver étrange qu'il y ait en sa nature, qui est immense, et en ce qu'il a fait, beaucoup de choses qui surpassent la capacité de notre esprit.

Et nous tiendrons pour règle infaillible que ce que Dieu a révélé est incomparablement plus certain que tout le reste, afin que si quelque étincelle de raison sembloit nous suggérer quelque chose au contraire, nous soyons toujours prêts à soumettre notre jugement à ce qui vient de sa part; mais, pour ce qui est des vérités dont la théologie ne se mêle point, il n'y auroit pas d'apparence qu'un homme qui veut être philosophe reçût pour vrai ce qu'il n'a point connu être tel, et qu'il aimât mieux se fier à ses sens, c'està-dire aux jugements inconsidérés de son enfance, qu'à sa raison, lorsqu'il est en état de la bien conduire.

CHAPITRE VIII.

Des Notions simples qui composent nos Pensées.

S 1.

Afin que nous puissions maintenant nous délivrer de nos préjugés sans beaucoup de peine, je ferai ici un dénombrement de toutes les notions simples qui composent nos pensées, et séparerai ce qu'il y a de clair en chacune d'elles, et ce qu'il y a d'obscur, ou en quoi nous pouvons faillir.

Je distingue tout ce qui tombe sous notre connoissance en deux genres: le premier contient toutes les choses qui ont quelque existence, et l'autre toutes les vérités qui ne sont rien hors de notre pensée. Touchant les choses, nous avons premièrement certaines notions générales qui se peuvent rapporter à toutes, à savoir celles que nous avons de la substance, de la durée, de l'ordre et du nombre, et peut-être aussi quelques autres : puis nous en avons aussi de plus particulières, qui servent à les distinguer. Et la principale distinction que je remarque entre toutes les choses créées est que les unes sont intellectuelles, c'est-à-dire sont des substances intelligentes, ou bien des propriétés qui appartiennent à ces substances; et les autres sont corporelles, c'est-à-dire sont des corps, ou bien des propriétés qui appartiennent au corps. Ainsi l'entendement, la volonté, et toutes les façons de connoître et de vouloir, appartiennent à la substance qui pense; la grandeur, ou l'étendue en longueur, largeur et profondeur, la figure, le mouvement, la situation des parties, et la disposition qu'elles ont à être divisées, et telles autres propriétés, se rapportent au corps.

Il y a encore outre cela certaines choses que nous expérimentons en nous-mêmes qui ne doivent point être attribuées à l'ame seule, ni aussi au corps seul, mais à l'étroite union qui est entre eux, ainsi que j'expliquerai ci-après : tels sont les appétits de boire et de manger, etc., comme aussi les émotions ou les passions de l'ame qui ne dépendent pas de la pensée seule, comme l'émotion à la colère, à la joie, à la tristesse, à l'amour, etc.; tels sont, enfin, tous les sentiments, comme la douleur, le chatouillement, la lumière, les couleurs, les sons, les odeurs, le goût, la chaleur, la dureté, et toutes les autres qualités qui ne tombent que sous le sens de l'attouchement.

Jusques ici j'ai dénombré tout ce que nous connoissons comme des choses, il reste à parler de ce que nous connoissons comme des vérités. Par exemple, lorsque nous pensons qu'on ne sauroit faire quelque chose de rien, nous ne croyons point que cette proposition soit une chose qui existe ou la propriété de quelque chose, mais nous la prenons pour une certaine vérité éternelle qui a son siége en notre pensée, et que l'on nomme une notion commune ou une maxime : tout de même quand on dit qu'il est impossible qu'une même chose soit et ne soit pas en même temps, que ce qui a été fait ne peut n'être pas fait, que celui qui pense ne peut manquer d'être ou d'exister pendant qu'il pense, et quantité d'autres semblables, ce sont seulement des vérités, et non pas des choses qui soient hors de notre pensée, et il y en a un si grand nombre de telles qu'il seroit malaisé de les dénombrer; mais aussi n'est-il pas nécessaire, parceque nous ne saurions manquer de les savoir lorsque l'occasion se présente de penser à elles, et que nous n'avons point de préjugés qui nous aveuglent.

Pour ce qui est des vérités qu'on nomme des notions communes, il est certain qu'elles peuvent être connues de plusieurs très clairement et très distinctement; car autre

pas

ment elles ne mériteroient d'avoir ce nom: mais il est vrai aussi qu'il y en a qui le méritent au regard de quelques personnes, et qui ne le méritent point au regard des autres, à cause qu'elles ne leur sont pas assez évidentes. Non pas que je croie que la faculté de connoître, qui est en quelques hommes, s'étende plus loin que celle qui est communément en tous; mais c'est plutôt qu'il y a des personnes qui ont imprimé de longue main des opinions en leur créance, qui étant contraires à quelques unes de ces vérités, empêchent qu'ils ne les puissent apercevoir, bien qu'elles soient fort manifestes à ceux qui ne sont point ainsi préoccupés.

On ne doit recevoir pour notion commune que ce qui ne peut être nié de personne.

$2.

Pour ce qui est des choses que nous considérons comme ayant quelque existence, il est besoin que nous les examinions ici l'une après l'autre, afin de distinguer ce qui est obscur d'avec ce qui est évident en la notion que nous avons de chacune. Lorsque nous concevons la substance, nous concevons seulement une chose qui existe en telle façon qu'elle n'a besoin que de soi-même pour exister. En quoi il peut y avoir de l'obscurité touchant l'explication de ce mot, n'avoir besoin que de soi-même ; car, à proprement parler, il n'y a que Dieu qui soit tel, et il n'y a aucune chose créée qui puisse exister un seul moment sans être soutenue et conservée par sa puissance. C'est pourquoi on a raison dans l'école de dire que le nom de substance n'est pas univoque au regard de Dieu et des créatures, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune signification de ce mot que nous concevions distinctement, laquelle convienne en même sens à lui et à elles: mais, parcequ'entre les choses créées, quelques unes sont de telle nature qu'elles ne peuvent exister sans quel

ques autres, nous les distinguons d'avec celles qui n'ont besoin que du concours ordinaire de Dieu, en nommant celles-ci des substances, et celles-là des qualités ou des attributs de ces substances.

Et la notion que nous avons ainsi de la substance créée se rapporte en même façon à toutes, c'est-à-dire à celles qui sont immatérielles comme à celles qui sont matérielles ou corporelles; car, pour entendre que ce sont des substances, il faut seulement que nous apercevions qu'elles peuvent exister sans l'aide d'aucune chose créée. Mais lorsqu'il est question de savoir si quelqu'une de ces substances existe véritablement, c'est-à-dire si elle est à présent dans le monde, ce n'est pas assez qu'elle existe en cette façon pour faire que nous l'apercevions: car cela seul ne nous découvre rien qui excite quelque connoissance particulière en notre pensée, il faut outre cela qu'elle ait quelques attributs que nous puissions remarquer; et il n'y en a aucun qui ne suffise pour cet effet, à cause que l'une de nos notions communes est que le néant ne peut avoir aucuns attributs, ni propriétés ou qualités; c'est pourquoi, lorsqu'on en rencontre quelqu'un, on a raison de conclure qu'il est l'attribut de quelque substance, et que cette substance existe.

Mais encore que tout attribut soit suffisant pour faire connoître la substance, il y en a toutefois un en chacune qui constitue sa nature et son essence, et de qui tous les autres dépendent. A savoir l'étendue en longueur, largeur et profondeur, constitue la nature de la substance corporelle ; et la pensée constitue la nature de la substance qui pense. Car tout ce que d'ailleurs on peut attribuer au corps présuppose de l'étendue, et n'est qu'une dépendance de ce qui est étendu; de même, toutes les propriétés que nous trouvons en la chose qui pense ne sont que des façons différentes de penser. Ainsi nous ne saurions concevoir, par exemple, de figure, si ce n'est en une chose étendue,

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