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repose toute sa foi: Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit, et l'homme religieux marcha sur son crucifix avec l'insouciance et le dédain d'un matelot de Batavia qui s'en va commercer avec les idolâtres. Vous ne sauriez même vous figurer combien M. Guizot, esprit grave et rassis, se tira lestement de cette position difficile. A ceux qui le prièrent de vouloir bien se rappeler avec quelle brutalité un ministre de l'instruction publique l'avait fait autrefois descendre de sa chaire, il répondit qu'il savait fort bien qu'il avait été destitué, qu'il avait trouvé l'action toute simple, qu'il ne s'en était pas étonné, ni plaint, et qu'il engageait ceux qu'il destituait à l'imiter dans sa patience et sa résignation. Quelle patience, bon Dieu, que la patience de M. Guizot! quelle résignation que celle qui éclate en paroles semblables à celles que j'ai citées! Je ne sais ce que M. Guizot nomme des plaintes, mais vous trouverez sans doute, monsieur, que dix gros pamphlets et quelques centaines d'articles virulens, entassés dans le Courrier Français, dans le Temps, dans le Globe, et dans la Revue Française, sont des plaintes assez compactes, et sinon coupables, du moins faites pour ôter à celui qui les a poussées le droit de prétendre à la mansuétude de Job ou de Socrate. La philosophie de M. Guizot n'appartient certainement ni à l'une ni à l'autre de ces écoles dont les chefs périrent, comme vous savez, par excès de bonhomie et d'abnégation.

Comment M. Guizot en était-il arrivé là? De petit en petit, comme dit Montaigne. Depuis long-temps, M. Guizot avait vu l'impossibilité de s'entendre avec la restauration; il avait compris que le parti des prêtres et des grands seigneurs ne lui pardonnerait jamais son protestantisme, ses façons de Genève, son enveloppe de professeur, ses manières tranchantes, et par-dessus tout, les concessions qu'il avait faites, dans sa chaire, aux idées libérales; il se jeta donc dans les régions moyennes, et vit bientôt, avec sa sagacité ordinaire, quelles forces immenses on pouvait tirer des classes intermédiaires. Ce fut à elles qu'il s'adressa; il se fit, il redevint ce qu'il était originairement de sa nature, un homme des communes, un centenier du temps de la ligue, un de ces turbulens caractères d'échevins qui tendaient leurs chaînes jusque devant la porte du palais du roi. Il n'entrait certainement pas dans ses desseins

de renverser la légitimité: tout au contraire, on l'a vu depuis bien embarrassé et bien empêtré de sa chute; mais, sans doute, il voulait, chose fort louable, amener la restauration à choisir exclusivement ses ministres dans l'ordre d'idées qu'il prônait, et par conséquent dans le petit nombre d'opposans modérés, dans le noyau d'aristocratie bourgeoise dont il s'était fait le centre. Il y avait d'ailleurs des antécédens historiques favorables à ses desseins dans la vieille monarchie capétienne, et il espérait faire comprendre cela à ces princes qui ne vivaient que de traditions. Louis XI ne s'était-il pas appuyé sur la classe bourgeoise? Louis XIV, dans un autre système, n'y avait-il pas pris presque tous ses ministres, et quels rois ont exercé en France un pouvoir moins contesté que Louis XI et Louis XIV? Mais les leçons historiques de M. Guizot, quoique proclamées si haut et avec tout le retentissement possible, n'arrivèrent pas aux oreilles un peu sourdes et d'ailleurs fort bien gardées auxquelles il voulait les faire parvenir. La patience commença à lui manquer; il força la voix, se fit plus durement prophétique, parla d'un ton plus acerbe, et sans le vouloir, s'éloigna de plus en plus du but où il tendait. L'existence passive d'écrivain lui pesait cependant chaque jour davantage; il voyait avec peine s'écouler ses années de vigueur loin du pouvoir qu'il avait abordé avec tant de facilité jadis; il trouvait bien pénible de vivre, à son âge, de beaux discours, comme il s'en plaignait si vivement pour le compte de l'opposition, et il sentait bien qu'il ne pouvait rien fonder sur ses jeunes disciples, qui, moins avancés et moins désillusionnés que lui, n'en étaient encore qu'aux plaisirs du professorat et de la parole. Ce fut alors que, jetant les yeux autour de lui, il avisa ces jeunes gens måles et vigoureux, restes tout verts et encore frémissans des conspirations de Béfort, de Saumur, de La Rochelle et de l'expédition libérale de la Catalogne sous Pachiarottiet Mina. L'alliance de la force timide et précautionneuse dont il disposait, et de ces forces courageuses et un peu brutales, lui parut devoir produire les meilleurs effets. L'idée se trouva juste. De part et d'autre, on s'enhardit et on se modéra. La force du levier appliquée à l'endroit convenable, le pays fut bientôt en branle, beaucoup trop pour M. Guizot qui, un matin, se réveilla, non pas membre du conseil de Charles X, comme il l'espérait, mais mi

nistre improvisé par une conspiration, je veux dire par une révolution qu'il avait mise en train, et qui venait de tout abattre.

L'effroi de M. Guizot fut grand. Quel embarras qu'une situation si inattendue pour un homme qui ne s'aventure pas ordinairement dans les affaires, sans chercher à imprimer à leur marche une direction rationnelle! Dans les comités de la société populaire qu'il présidait, pendant la dernière année de la restauration, le rôle de M. Guizot n'avait pas été difficile. Dans les premiers temps d'abord, il avait envahi les bureaux, avec ses jeunes amis du Globe, et leurs doctrines passaient sans opposition dans les brochures et les lettres aux électeurs, qui coulaient sans interruption de ce petit foyer. Tant qu'il n'avait été question d'ailleurs que de préparer les choix des collèges et d'influencer les votes, la plume de M. Guizot et celles de ses amis avaient été trouvées assez fermes et assez bonnes; mais plus tard, quand la lutte s'engagea plus vivement, quand il fut question de protester, de refuser l'impôt, et peut-être d'agir d'une façon encore plus positive, le camp du Globe déclara que sa campagne était finie, et que puisqu'il pouvait être question, d'un jour à l'autre, de tirer l'épée du fourreau, il se devait, au nom de l'esprit de paix et de légalité qui l'animait, de se séparer de ceux qui méditaient une telle entreprise. Tous les membres de la société Aide-toi qu'on désignait sous le nom de doctrinaires, se retirèrent en effet. M. Guizot seul resta, et continua de venir, presque chaque soir, présider le conseil de cette association où ne siégeaient plus que les ennemis les plus fougueux des Bourbons. Il faut se hâter de dire que tout se passa dans les limites légales, et que, si on conspira la chute de la monarchie de Charles X en présence de M. Guizot, ce ne fut que par des voeux dont il reconnaissait la justice sans toutefois les partager.

Le trône une fois tombé, M. Guizot, soit qu'il eût désiré ou craint sa chute, se trouva poussé par le torrent révolutionnaire au milieu duquel il s'était lancé volontairement; engagé, en quelque sorte, avec tous les jeunes gens ardens qu'il avait aidés, peut-être 'sans le vouloir, dans leur entreprise; ses amis, ceux qui partageaient sa pensée véritable, restés loin de lui sur le rivage, et lui, emporté sur une barque périlleuse qu'il ne dirigeait plus. Il faut convenir que M. Guizot eut, en ces jours-là, toute l'intrépidité néces

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saire dans sa situation. D'abord, loin de se séparer de la société Aide-toi, qui était toute puissante, il est vrai, il resserra encore ses liens avec elle, reçut journellement ses anciens amis du comité, prit leur avis sur les affaires, et fit plus, car il suivit souvent les avis qu'on lui donnait. Aussi tous les choix de préfets et de fonctionnaires nommés par M. Guizot se ressentirent de cette influence, et furent exclusivement faits parmi les hommes que M. Guizot désigne aujourd'hui comme la mauvaise queue de la révolution. Sur l'ordre du nouveau ministre, le comité populaire créé pour secourir les réfugiés espagnols, obtint du préfet de police des feuilles de route collectives et des indemnités pour les détachemens qu'on dirigeait vers la frontière, dans l'espoir d'opérer une révolution en Espagne. Enfin, l'esprit libéral le plus exigeant n'eût rien trouvé à reprendre aux actes qui signalèrent d'abord le ministère de M. Guizot, et ses nouveaux amis politiques ne furent pas moins étonnés que ses anciens amis de la restauration de découvrir en lui un révolutionnaire si franc et si fougueux. Pour moi, je crois avoir trouvé l'explication de la conduite de M. Guizot, homme en qui, je dois le croire, les intérêts de l'intelligence dominent toujours ceux de la matière, et qu'on pourra peut-être accuser d'inconséquence, mais jamais de duplicité. M. Guizot avait été porté si inopinément dans le tourbillon des affaires, la force populaire, à laquelle il s'était confié un moment, l'avait lancé tout à coup si haut; il s'était trouvé si subitement transplanté d'une monarchie dans une autre, que toutes ses abstractions historiques en avaient été troublées, et que réfléchissant à ce qui venait de se passer, à l'effroyable commotion qui s'était faite, il se sentait enclin à la reconnaissance envers ceux qui, tenant de telles forces entre leurs mains, ne s'en étaient pas servis pour faire davantage, et le jeter plus loin encore qu'il n'était arrivé, à sa grande surprise. En un mot, il caressait d'une main un peu tremblante la république, enchanté qu'il était de la trouver si humaine et si bonne personne, après l'avoir crue prête à tout dé

vorer.

Un écrivain d'une rare portée a dit que M. Guizot était alors prêt pour la république comme pour la monarchie, et bien résigné à prendre un ministère, quelque régime que nous eût donné

la révolution de juillet. Quant au ministère, je n'en doute pas non plus; mais, sous l'un et l'autre de ces régimes, M. Guizot, revenu à lui, eût fait ce qu'il a fait, du pouvoir et de la résistance. Sans doute l'homme qui a écrit les lignes suivantes se serait rallié avec empressement à la république, comme il s'est rallié à la nouvelle monarchie La force a ses vissicitudes, celle d'aujourd'hui peut n'être pas celle de demain; la plus prépondérante a des égaremens où il ne faut pas la suivre: mais quand elle se présente avec l'empire d'un arrêt de la Providence, quand elle a revêtu les caractères de la nécessité, il y a folie à se séparer d'elle, à prétendre s'établir hors de son sein. Une fois donc que M. Guizot se sentit bien établi au sein de cette force vers laquelle l'attire une certaine puissance d'attraction, après que M. Périer eut fait renaître l'influence gouvernementale, dans un temps où personne en France n'avait le courage de faire du pouvoir, pas même M. Guizot, celuici revint à ses doctrines d'autrefois, et s'entoura de ses anciens disciples qu'il avait laissés depuis long-temps en arrière, et qui avaient vécu tristement dispersés comme ceux de Pythagore. A l'ombre de Casimir Périer, s'appuyant de son énergique volonté et de son humeur batailleuse, l'école doctrinaire retrouva une sorte de calme, et la sérénité qu'il lui faut pour professer ses vues. Blottie sous cette égide, elle se sentit de force à affronter les hommes des comités populaires qui l'avaient écartée, et à son tour elle les mit à l'écart sans façon. Engagé dans cette route, M. Guizot y marcha rapidement. Bientôt il inventa un blason pour la monarchie nouvelle, il lui forgea une légitimité bâtarde qui mit en repos sa conscience d'historien; et s'échauffant dans ses conceptions, se raidissant contre les murmures de l'opinion, il ne tarda pas à se trouver presque à son point de départ de 1815, déclamant contre les théories et les rêveries d'améliorations politiques, et invoquant l'impopularité comme moyen de gouvernement. Dès lors, c'est à pas de géant que M. Guizot rétrograde. Vous connaissez la double faculté qu'il possède de s'occuper de petites manoeuvres en même temps que de grandes théories; il se mit donc à la fois à formuler en doctrines les boutades de colère de Périer, et à discipliner les centres, tout jeunes encore, qui apprirent sous lui les évolutions parlementaires à l'aide desquelles on enlève aujourd'hui

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