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sente à chaque question qu'il traite, et que les ministres ne parlent plus à la chambre, mais bien, par les croisées, aux électeurs. Ainsi, récemment, au sujet des subventions des théâtres, on a vu M. Thiers attaquer la presse et l'opposition, et les accuser, avec sa légèreté ordinaire et sans se donner la peine de préciser son accusation, d'être la cause des troubles de Paris et de Lyon. Entre ces accusations et la censure dramatique que M. Thiers voulait établir de sa propre autorité et exercer par lui seul, l'analogie n'était pas bien grande; mais M. Thiers sentait le besoin de faire naître quelques scènes violentes dans la Chambre. C'est ainsi qu'on veut finir la session; il faut bien prouver aux collèges électoraux que l'opposition est irritable à l'excès, qu'elle enflamme toutes les questions, et que le pays n'aura jamais de paix ni de repos tant qu'il existera la moindre opposition dans la presse et à la chambre. Quel triste et honteux spectacle que celui que donnent au pays ces apostats de la liberté qui l'ont si long-temps trompé par de belles paroles!

Quelques petits scandales, étouffés aussitôt avec beaucoup de sollicitude à force de démarches et de démentis, prouvent en effet que certains ministres ne sauraient supporter la liberté de discussion. Il paraît que vers la fin de la semaine dernière, une hausse subite des fonds à Londres fut exploitée à la bourse de Paris par un ou deux capitalistes avec un esprit d'à-propos qui ne permettait d'attribuer qu'au télégraphe la diligence avec laquelle ils avaient été instruits de ce qui s'était passé à Exeter-Exchange. Quelques banquiers députés qui n'avaient pas été admis au bénéfice de la spéculation élevèrent de vives accusations contre un ministre dans les bureaux de la chambre, et il paraît que les explications qui eurent lieu à ce sujet ne seraient pas tout-à-fait conformes à celles qui ont été données dans les journaux ministériels. On parle aussi d'un autre scandale qui attend également son démenti. Il s'agit de ce fameux vaisseau construit pour les fêtes de juillet par ordre de M. Thiers, sur lequel aurait été opéré un léger bénéfice de 76,000 fr. Un journal fort grave assure que 25,000 fr. auraient été prélevés sur ces bénéfices pour acheter l'entreprise. Une contestation entre les intéressés, qui ont été amenés devant le tribunal de commerce, a révélé ces faits, et la presse, qui les a signalés, paiera sans doute par quelque nouvelle accusation le nouvel excès d'humeur qu'elle a dû causer au ministre.

En attendant que la presse et la tribune périssent, les théâtres gémissent sous la main de M. Thiers. Le dernier discours du ministre de l'intérieur, au sujet des théâtres subventionnés, a pu donner une idée de l'arrogance et de la fatuité dont il accable les malheureux artistes qui luttent contre sa volonté. Pour M. Thiers, toute la législation actuelle con

cernant les théâtres est renfermée dans le décret de 1806, du moins le disait-il à la tribune. Encore M. Thiers ne se regarde pas lié par ce décret; il a déclaré qu'il en prendra ce que bon lui semble, et qu'il en retranchera ce qui lui en paraît mauvais. C'est ainsi que M. Thiers entend l'administration; il fouille à son gré dans l'arsenal de la Convention, du Directoire et de l'Empire, y prend les armes qui lui conviennent, et les enfonce plus ou moins à son gré. Au reste, ce décret de 1806 est une arme commode, et M. Thiers pourrait bien se contenter de l'article 44, par lequel aucune pièce de théâtre ne peut être jouée sans l'autorisation du ministre de la police générale. Il trouverait même, dans les décrets impériaux de la même année quelque article qui défend de publier un journal sans soumettre préalablement chaque numéro à la censure de la police. Que n'en fait-il aussi usage?

Les grandes affaires de l'Opéra, qui occupaient si vivement M. Thiers, sont terminées. M. Véron ne sera pas remplacé. L'homme de lettres qui devait prendre la direction de l'Opéra, et qui a le grand tort d'être l'un des collaborateurs de la Revue des Deux Mondes et le coupable correspondant du West-End-Rewiew où il s'efforce de faire apprécier le mérite de nos hommes d'état, a été définitivement repoussé par M. Thiers. On a trouvé ses opinions politiques incompatibles avec les qualités nécessaires à un directeur de l'Opéra, et l'on a craint qu'il n'imprimât une direction trop libérale au chant et à la danse. D'ailleurs, il avait eu le malheur de tracer avec trop de vérité, dans la Revue des Deux Mondes, les campagnes et les négociations politiques d'un haut fonctionnaire du gouvernement de juillet, qui a déclaré qu'il briserait son épée plutôt que de voir son historien à la tête de l'Académie Royale de musique. Quel malheur pour la France, si l'épée que portait ce grand général, quand il fut défait à Almanacid et surpris à Drissa, eût été mise en pièces! Il a bien fallu se rendre à de si hautes raisons. On doit quelques égards à ses amis politiques, et M. Thiers, qui veut nous gouverner militairement, a beaucoup plus besoin des généraux de l'empire que d'un directeur d'Opéra.

Sur les ordres de l'empereur de Russie, M. Demidoff, qui usait noblement en France d'une immense fortune, se dispose à regagner St.-Pétersbourg, où il doit fixer sa résidence. C'est M. Thiers qui s'est rendu acquéreur de la voiture de ville et de l'attelage de M. Demidoff dans la vente qu'il a faite avant son départ. On dit que M. Thiers cherche aussi à acheter un cheval de bataille.

L'espace nous manque pour parler des débuts de Mme Dorval au Théâtre Français dans Henri III, où elle s'est montrée digne de sa haute réputation. Nous y reviendrons prochainement.

A l'Opéra, la représentation de Nourrit a été des plus brillantes. La Dame Blanche a produit son effet accoutumé. Dès les premières mesures de l'air de Nourrit, l'enthousiasme était au comble, et les bravos ont éclaté plus spontanés et plus bruyans que s'il s'était agi de sa symphonie en ut mineur ou d'une cavatine de Cimarosa; et pourtant cet air commun et trivial est, sans contredit, le plus faible morceau de cet ouvrage, plein de grace et de fraîcheur, et dans lequel se trouvent des beautés incontestables. La Dame Blanche n'est pas une œuvre complètement originale, elle relève plus ou moins de Rossini; la mélodie est souvent italienne, l'orchestre vide et peu soigné; mais, malgré tous ces défauts, cette partition restera, parce qu'elle offre des chants heureux et des motifs écrits avec un sentiment profond et vrai. La Dame Blanche est une œuvre de conscience, et Boieldieu un homme d'esprit et de talent qu'il faut bien se garder de confondre avec les musiciens d'aujourd'hui; il n'a fait, après tout, qu'ordonner ses compositions sur celles du grand maître, il a pris la forme et non l'idée, comme font certains compositeurs : il l'a imité, les autres le volent. La Vestale a été moins heureuse; un air de Boieldieu suffisait pour épuiser toutes les sensations musicales, et bien des gens regrettaient à la fin que le spectacle ne se fût pas terminé par l'acte de la Dame Blanche, car cette savante musique de Spontini avait troublé leurs douces impressions, et comme enveloppé ces chants légers et gracieux qui déjà commençaient à se réveiller dans leurs cerveaux. Voilà pourtant comme on a fait notre public: on l'a tellement accoutumé à ces musiques faciles et vulgaires, qu'il ne se donne plus la peine de comprendre une œuvre sérieuse, et toute composition originale qui ne procède pas par les moyens usités depuis six ans est pour lui une fugue inextricable.

Ce soir-là, faute de sentir les beautés grandioses de l'école de Gluck, il s'ennuyait mortellement, et vous entendiez des gens très sensés vous dire que la Vestale était une musique trop savante pour des oreilles françaises. Or ce qui fait depuis trente ans la gloire de la Vestale en France comme en Allemagne, c'est la mélodie, rien que la mélodie, car pour la science, c'est une œuvre au niveau, peut-être même au-dessous de la Dame Blanche. Le chant abonde dans la Vestale, seulement il est le plus souvent privé du rythme dont les Italiens se sont fait de nos jours un moyen d'effet si puissant; mais n'importe, pour être plus latente, la mélodie n'en existe pas moins: il s'agit de vouloir la chercher. Il n'est rien dans Gluck de plus frais et de plus pur que le chœur des vestales au premier acte; c'est là un chant heureux et simple et plein de mélancolie virgilienne. Après les fatigues du soir et toutes les austérités du sanctuaire, c'est ainsi que devaient rêver et se plaindre les jeunes filles du Latium. Me Falcon a très bien compris le caractère de la jeune prêtresse; l'expression douce et triste de son visage répandait une teinte charmante sur les premières scènes. C'était une chose intéressante de voir cette jeune fille, hier encore à ses débuts, s'aventurer aujourd'hui seule et sans tradition dans cette grande musique. Elle a joué la Vestale

avec sa belle voix, ses larmes et son inspiration, comme la veille elle avait joué Anna de Mozart, comme demain elle jouerait Ophélie ou Juliette.

Dernièrement, tandis que Don Juan était en répétition à l'Opéra, on s'occupait aussi à Vienne du chef-d'œuvre; le soir même où Mile Falcon chantait pour la première fois le rôle de Julia, Mme Devrient le reprenait sur le théâtre de Kanigstadt.

La sympathie musicale est grande entre les deux pays. A Berlin, la musique de Spontini a été reçue avec enthousiasme; les Allemands ont pour la Vestale une admiration qui date de long-temps, et l'on connaît cette phrase, un peu maniérée, de Jean-Paul : « Qu'on m'exécute à Manheim la Vestale de Spontini, et vous verrez si j'ai sur mon émotion le même empire qu'elle aura sur mon ame. »

— Il paraît que depuis quelque temps M. Jules Janin consacre sa plume à l'intelligence en bayette. Un procès de la sixième chambre correctionnelle nous a fait savoir que M. Janin, poursuivi aujourd'hui comme plagiaire et contrefacteur par les propriétaires de l'Echo Britannique, sert quelquefois à ses admirateurs des morceaux qu'il prend à droite et à gauche, et qu'il signe de son nom. C'est ainsi, du moins, que la chose est arrivée à l'égard des aventures de Gaspard Hauser, qui ont fait verser tant de larmes aux jeunes lecteurs du Journal des Enfans.

M. Janin n'ayant point répondu à l'appel de son nom, Me Bethmont, avocat de la partie civile, s'est mis à lire l'Echo Britannique, tandis que M. l'avocat du roi collationnait sur un article du Journal des Enfans, au bas duquel on lit Jules Janin.

-C'est identiquement la même chose, si l'on en excepte quelques lignes d'introduction, s'est écrié M. le substitut. · (Hilarité.)

L'avocat a fait remarquer que certaines fautes typographiques n'avaient pas même été corrigées, ce qui prouverait que l'article à été fait avec un ou deux coups de ciseau.

Sur les conclusions du ministère public, M. Jules Janin et le directeur du Journal des Enfans ont été condamnés à 125 fr. d'amende et à 500 fr. de dommages-intérêts.

-La seconde livraison du grand travail de M. Capefigue sur l'histoire de la réforme, de la ligue et du règne de Henri IV paraitra dans la seconde quinzaine de mai; elle contient les deux grandes scènes populaires de cette époque, la Saint-Barthélemy et les barricades. La physionomie de ces événemens est entièrement changée; les documens originaux puisés dans les registres de l'Hôtel-de-Ville de Paris, dans les archives espagnoles de Simancas, expliquent ces scènes de rues que des esprits vulgaires, se copiant les uns après les autres, avaient jetées dans les mêmes formes et empreintes du même esprit. C'est un curieux travail d'érudition et de critique que celui qu'achève M. Capefigue. Le règne de Henri IV formera la dernière livraison.

ELOA, OU LA SŒUR DES ANGES, par M. ZiÉGLER, COMPOSITIONS AU TRAIT SUR LE POÈME DE m. alfred de VIGNY. C'est une heureuse idée que d'avoir voulu appliquer cette manière au-trait de Flaxman et de Cornelius à une œuvre française, à Eloa, à cette Béatrix déchue, à cette Marguerite si angélique aussi, quoique abusée. Il y a d'ailleurs, dans le talent et la manière de M. Ziegler, des affinités secrètes qui devaient diriger le choix de son crayon vers M. Alfred de Vigny préférablement à

tout autre. Ce qui semble distinguer jusqu'ici M. Ziegler entre les artistes ses contemporains, c'est une grace fine et savante, une étude lente et consciencieuse qui n'ôte rien à la délicatesse ni à l'efflorescence, c'est une inspiration méditée, élaborée et sincère. Or ces traits, dont M. Ziegler nous offre quelques-uns, sont applicables surtout à M. Alfred de Vigny et à sa muse d'un goût si rare. Au commencement d'Eloa, on voit naître cette vierge-archange d'une larme que Jésus a versée sur Lazare mort. La divine larme est recueillie par l'urne de diamant des séraphins, et portée aux pieds de l'Eternel, dont un regard y fait éclore une forme blanche et grandissante. M. Ziegler a montré cette présentation de la divine larme dans la première de ses compositions. Or, suivant nous, toute poésie de M. Alfred de Vigny est engendrée par un procédé assez semblable, par un mode de transfiguration exquise et merveilleuse. Il ne donne jamais dans ses vers ses larmes à l'état de larmes, mais il les métamorphose, il en fait éclore des êtres comme Dolorida, Symétha, Eloa. S'il veut exhaler les angoisses du génie et la solitude de cœur du poète, il ne s'en décharge pas directement par une effusion toute lyrique, comme le ferait M. de Lamartine, mais il crée Moïse. Un tel poète est favorable, on le sent, au crayon, et il présente, jusque dans son monde le plus idéal, des tableaux et des formes qui se peuvent saisir. Girodet, s'il eût vécu, et s'il se fût appliqué à ce jeune poète qu'il aimait déjà, y eût excellé plus que personne. L'œuvre de M. Ziegler sur Eloa se compose de douze dessins, dont les sujets sont : 4° La présentation de la divine larme dans l'urne par deux séraphins; 2o l'éclosion de la vierge-archange, dont l'aile tout d'abord s'enfle du bonheur de vivre, et qui répond me voilà à l'ordre de Dieu; 3o la modestie pudique, l'aile rabaissée et les yeux voilés de la vierge sous les hommages et les pluies de fleurs que lui prodiguent ses compagnes; 4o sa studieuse gravité au milieu des anges réunis pour l'instruire; cette composition nous a semblé la plus belle de toutes peut-être. L'œil ouvert et attentif d'Eloa, lorsqu'on lui raconte l'ange déchu, contraste avec toutes les paupières baissées des anges enseignans :

Et l'on crut qu'Eloa le maudirait.... mais non,
L'effroi n'altéra point son paisible visage.

La cinquième composition, qui exprime sa rêverie solitaire et vague aux confins du ciel, est d'une expressive simplicité. Les suivantes représentent les diverses scènes à distance avec l'archange mystérieux qu'elle a enfin aperçu. Mais les deux dernières, par leur contraste rapide, traduisent surtout admirablement la pensée du poète. Cet archange si soumis, si suppliant et si beau, qui, par la magie de sa prunelle, force la vierge pure, la fille d'une larme de Jésus, à descendre vers lui tremblante et subjuguée, de même que Béatrix élevait Dante aux sphères du ciel par la force de son regard, cet archange est le même qui, l'instant d'après, ravit et froisse d'un bras impitoyable la vierge qui a cédé. Le moment qui précède et le moment qui suit toute séduction trouvent là des types accomplis qui, une fois vus, ne s'oublient pas. Le dessinateur a dégagé et rendu plus réelle la moralité et le sens final du poème. Félicitons M. Ziegler d'avoir donné chez nous l'exemple de cette manière simple, en même temps que profonde et sentie, d'illustrer de belles œuvres et d'interpréter un art par

un autre.

F. BULOZ.

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