Immagini della pagina
PDF
ePub

tionale fournissait la matière et dont la façon lui appartenait. De là cet archaïsme qu'on a blâme. Mieux eût valu le comprendre; mieux eût valu voir que le démocrate devait être plus Romain dans la forme à mesure qu'il se montrait plus révolutionnaire dans le fond; il prenait la langue du vieux Caton en démolissant son héritage.

Et verba antiqui multùm furate Catonis.

Nous n'admirerons pas non plus si Salluste eut Thucydide devant les yeux. Sur quoi pouvait-il donc reporter sa pensée quand il se rejetait en arrière, si ce n'est sur Thucydide? C'était son allié naturel, sa ressemblance fatale; il se reconnaissait appelé chez les Romains à la même vocation que, chez les Grecs, l'ami de Périclès; il aimait son génie, il lisait assidûment son œuvre, sans en être ébranlé; il se proposait la rivalité, et peut-être, car les ambitions de l'esprit sont insatiables, il se promettait la victoire. L'historien grec était un de ses familiers et de ses amis; la distance des temps n'était pas un obstacle à ce commerce: il y a entre les grands hommes des rapports et des conférences ne savons pas.

que nous

Encore un coup, comprenons Salluste dans l'originalité de sa vaste et complexe nature; voluptueux, regrettant admirablement la sévérité des mœurs antiques; déprédateur inexorable de l'Afrique, criant qu'il faut mettre un frein à la corruption et à l'avidité de l'argent; cherchant à la fois les émotions du style et celles de l'action; politique consommé, adressant à César, dès son retour des Gaules, des conseils suivis plus tard par le dictateur; venant prendre séance entre Thucydide et Machiavel. La supériorité de son génie et l'audace de sa conduite irritèrent la colère de ses ennemis. L'affranchi de Pompée vomit contre lui les plus basses injures : on ne sait quel déclamateur (1) imagina une double invective de Salluste contre Cicéron et de Cicéron contre Salluste, où il

(1) Est-ce Vibius Crispus ou Marcius Porcius Latro?

employait la rhétorique à dégrader ces deux grands noms. Au surplus, Salluste pouvait dire comme Mirabeau, que peu d'hommes ont donné plus que lui prétexte à la calomnie et pâture à la médisance (1). Il dédaigna trop peut-être de ne pas heurter les esprits et les règles ordinaires, se reposant avec sécurité sur la consistance de sa gloire. Ne sentait-il pas qu'il était avec César le politique le plus intelligent de la République romaine?

LERMINIER.

(1) Mémoires de Mirabeau, publiés par M. Lucas de Montigny, tom. IV, p. 276.

VOYAGES

DE

JAMES HOLMAN

AUTOUR DU MONDE'.

'Tous nos lecteurs probablement ne se rappellent pas le nom d'Holman ; mais aucun d'eux sans doute n'aura oublié le voyageur aveugle qu'on rencontrait successivement dans une île de l'Océanie et à la cour d'un petit prince africain, au pied des Cordillières américaines et au milieu des steppes de l'Asie. D'après les maigres détails que donnaient nos journaux sur ce singulier personnage, il était permis de se le représenter comme un homme riche qui voyageait accompagné de ses gens, entouré de leurs soins et ne rencontrant d'obstacles que ceux que l'or ne peut aplanir; comme un hypocondriaque qui, se trouvant mal en tous lieux, courait le monde pour s'échapper à lui-même, et dont le courage ne consistait guère qu'à savoir braver un mauvais climat, un mauvais gite et un mau

(1) Ou Excursions faites dans diverses parties de l'Afrique, l'Asie, l'Australasie et l'Amérique, depuis 1827 jusqu'à 1832. Londres, 1834.

vais dîner. Aujourd'hui nous savons que pas un des traits de ce portrait ne convient à notre voyageur. Le malheur qui l'a frappé n'a point aigri son caractère, et ses dispositions n'ont rien que de bienveillant. Privé du principal moyen d'information, il cherche à tirer de ceux qui lui restent le meilleur parti possible, et son but en voyageant est autant de s'instruire que de réparer sa santé. Ses ressources sont celles d'un officier à la demi-solde, ses compagnons les compatriotes que le hasard lui fait rencontrer en chemin, et il n'a pas même un domestique.

M. Holman était entré de bonne heure dans la marine royale, et il n'a été privé de la vue qu'à l'âge de vingt-cinq ans. Il devait alors avoir déjà couru beaucoup le monde; cependant il ne croit pas devoir parler de ses premières observations, peut-être parce qu'il les croit moins bonnes et moins exactes que celles qu'il a faites sans le secours des yeux. « On me demande souvent, dit-il, ce que peut apprendre en voyageant un homme qui ne voit rien ; et moi je demanderai à mon tour si les voyageurs ordinaires ne parlent que de ce qu'ils ont vu de leurs propres yeux? Non sans doute, chacun d'eux est obligé de s'en rapporter au témoignage d'autrui sur une foule de points qu'il a intérêt à bien connaître, et Humboldt luimême n'a pas été exempt de cette nécessité.

« A la vérité, dans les œuvres de la nature, l'aspect pittoresque est perdu pour moi, et dans les ouvrages des hommes je ne puis connaître que la forme, faire usage que du toucher. Mais cette privation même ne peut qu'exciter encore ma curiosité. Pour satisfaire à ce besoin d'apprendre, je suis obligé de multiplier les questions, et j'arrive ainsi presque nécessairement à connaitre quelques détails qui échappent au voyageur dont la vue peut tout embrasser à la fois. Privé de ce moyen rapide d'information, je n'obtiens rien qu'à l'aide d'un examen patient, que par une sorte d'investigation analytique, et au moyen d'inductions et de déductions; la conséquence en est que je me trouve dans l'heureuse impossibilité de juger légèrement des choses.

« Je crois que, malgré la perte de mes yeux, je visite dans le cours de mes voyages autant de points curieux que le plus grand nombre de mes compatriotes, et que me faisant décrire les choses sur les lieux, je puis m'en former une idée tout aussi juste. D'ailleurs, je ne néglige jamais de prendre des notes sur ce que j'ai appris, du moins autant qu'il en faut pour être ensuite certain de la fidélité de mes souvenirs. »

A entendre le pauvre homme, on croirait volontiers qu'il n'y a, pour apprendre, de meilleur moyen que de renoncer à l'usage de ses yeux; et il est vrai que l'on trouve dans son livre plusieurs renseignemens curieux qu'un voyageur ordinaire eût probablement négligé de recueillir. Cepen

dant tout n'est pas profit, et on s'aperçoit souvent que l'auteur se fait illusion sur le degré d'intérêt que présentent les diverses informations qu'il nous transmet; celles qui lui ont coûté le plus de peine à acquérir sont presque toujours à ses yeux les plus importantes. Il met aussi un certain amour-propre à n'omettre aucune des circonstances qui eussent pu être indiquées par un observateur doué de tous ses sens : ainsi il nous apprendra que non loin du cap Finistère on eut en vue onze voiles, dont plusieurs semblaient appartenir à une même escadre; qu'en telle partie de la côte d'Afrique, dont le nom ne se trouve pas même sur nos cartes, la sonde rapportait un sable gris piqueté de points blancs, etc., etc.

Du reste ces détails, tout oiseux qu'ils sont, n'impatientent pas trop; peut-être même font-ils qu'on s'intéresse davantage à l'auteur, car au soin qu'il prend pour qu'on ne s'aperçoive pas de ce qui lui manque, on voit qu'il ne le sent lui-même que trop profondément. Il n'est pas parfaitement réconcilié avec son état de cécité, et il est toujours porté à faire comme ceux qui ont des yeux. Le matelot placé en vigie signale-t-il une terre, le pauvre aveugle monte au haut du mât, « non pour voir, dit-il, mais pour prendre de l'exercice. » Dieu sait si pareille idée lui est jamais venue quand pour les clair-voyans il n'y avait rien à regarder!

Des quatre volumes dont doit se composer l'ouvrage de M. Holman, nous n'avons encore que le premier qui embrasse un espace d'environ treize mois, et est principalement relatif aux établissemens anglais, situés dans le golfe de Benin.

Parti d'Angleterre au commencement de juillet 1827, il arriva à SierraLeone dans le mois de septembre, ayant visité en chemin Madère, Ténériffe et les îles du Cap-Vert. Toute cette partie de son récit ne nous semble pas offrir un très grand intérêt; cependant les personnes qui s'occupent de recherches statistiques liront peut-être avec utilité ce qui concerne la fabrication des vins, le commerce de l'orseille, etc.

Le séjour à Sierra-Leone, au contraire, fournit, quoique très court, matière à plusieurs chapitres pleins de faits, et de faits en général très altachans. Certes, pour avoir réuni dans l'espace de trente-trois jours, et sous des circonstances aussi défavorables, une pareille masse de renseignemens, il a fallu une prodigieuse activité d'esprit. Nous extrairons de cette portion de l'ouvrage un fragment sur le Boulam, pays limitrophe de la colonie de Sierra-Leone. Dans ce qui se rapporte à cette colonie elle-même ainsi qu'à celle de Fernando-Po, nous trouverions également beaucoup à citer; mais nous réserverons cela pour un autre article dans lequel nous essaierons de donner une idée des établissemens fondes sur la côte d'Afrique pour la suppression de la traite.

« IndietroContinua »